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INCINERATION

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étrange que le choix de l’inhumation ou de la crémation eût seul échappé à cette loi. Et de fait, l’in(Uience est manil’este chez nombre de peuples : par exemple les Sémites, les Egyptiens, les disciples de Zoroaslre, les Grecs, les Romains, les Gaulois, les Germains… ; ces exemples autorisent l’induction dans beaucoup d’autres cas.

Au milieu de cette multiplicité d’usages, l’Eglise catholique adopta, dés son origine, l’inhumation comme mode unique de sépulture. Elle trouvait ce rite implanté depuis les patriarches dans le milieu juif où elle naissait ; cependant, comme il sera dit plus bas, elle le reçut, non à titre de simple tradition nationale, mais sous l’influence de sa propre doctrine religieuse ; ce fut l’inhumation qu’elle propagea exclusivement avec sa foi ; et en proportion des progrès du christianisme, les coutumes païennes de la crémation disparurent peu à peu. Quoi<|ue des cas d’incinération se soient produits dans la Prusse occidentale jusqu’après 1300, depuis longtemps l’usage était aboli dans toute l’Europe baptisée ; et, hors de l’Europe, l’inhumation devint, chez tous les peuples ou toutes les fractions de peuples pénétrés par la civilisation chrétienne, le rite unique des funérailles. Seules une partie des sectes religieuses des états asiatiques et des peuplades sauvages de r.frique, derOcéanie et de l’Amérique conservèrent la crémation, mêlée souvent aux praticiues les plus barbares.

Pendant des siècles l’inhumation demeura partout ailleurs en pacifique possession. On ne saurait voir une tentative pour ramener la crémation dans la pratique dont fait mention vers la lin du xiii » siècle (1299), la décritale de Bonifacb Ul, Detestandae feritutis (e. i, I. III, lit. 6 de Sepultiiris, dans les Exlrav. Comni. ; voir l’otthasl, n. 24881) : pour transporter plus aisément la dépouille mortelle des personnes de haut rang, quelques lidèles (nonnuUi fidèles) vidaient leur cadavre, le coupaient en morceaux et décharnaient ces fragments dans l’eau bouillante. Le pape réprouve énergiquement ce procédé abominable aux yeux de Dieu et des hommes ; il frappe d’excommunication, réservée au Saint-Siège, ceux qui s’en rendent coupables et défend d’accorder la sépulture religieuse aux restes ainsi maltraités.

Il faut attendre la Révolution française et les rêveries néo-païennes du Directoire pour voir renaître l’idée de la crémation. Un rapport aux Cinq-Cents, du 21 brumaire an V(12 novembre 1796), demanda pour tout citoyen le droit de l’aire brûler son cadavre ; le projet fut renvoyé à une commission et ne vint pas au vote. Deux ans plus tard, on proposa à l’adminislralion centrale du déparlement de la Seine la création à Montmartre d’un Columbarium destiné à recevoir les urnes funéraires. Quatre grandes portes dédiées à l’Enfance, à la Jeunesse, à la Virilité et à la Vieillesse y donneraient accès, et quatre roules sinueuses, images de la vie, conduiraient au monument central, sj-mbole du terme, une pj’ramide couronnée d’un trépied 1 Ces idées n’eurent à peu près pas de suite. Un corps seul fut brûlé, celui d’un enfant de quelques mois.

Ce n’est que vers la seconde moitié du xix’siècle que le projet entra dans une phase pratique, simultanément à l’épanouissemenl des doctrines athées et matérialistes. En 18^9 Jacob GniMji reprenait l’idée de l’incinération dans une communication à l’Académie de Berlin. Elle était soulevée de nouveau, en 1857, par Coi.ETTi à Padoue, en 1869, au congrès médical international de Florence, aux congrès de Milan, Naples, Venise, puis en 1871 à celui de Rome. En 1872, des expériences étaient faites à Padoue par BnuNETTi. En 18^3, le Sénat italien autorisait la cré mation et en 187/1 un four était construit à Milan. D’autres suivirent dans diverses villes de la péninsule. La première crémation y eut lieu à Milan en 1876. Déjà en 1874 une Anglaise avait été incinérée à Dresde. Un congrès fut tenu dans cette dernière ville en 1876 ; puis la crémation fut autorisée sur le territoire de Gotha. Hambourg, centre très irréligieux, la réclamait en 1884. Entre temps, des sociétés s’étaient formées pour la propagation de ce mode funéraire à Dresde, Gotha, Zurich, Londres, etc.

En France, l’idée s’était fait jour vers 1867, à l’occasion d’un projet de cimetière à Méry-sur-Oise ; le préfet de la Seine, baron Haussmann, l’écarla d’un mot dédaigneux : <r On nous a parlé de brûler les morts ; nous n’avons rien réjiondu. (Suuiires.) « (Sénat, séance du 2 avril 1867.) Mais, le 7 août 1879, le Conseil municipal acceptait le principe, en ouvrant un concours sur le meilleur mode de crémation. Bientôt (novembre 1883) M. CASiMiR-PÉniKR présentait à l’appui un projet de loi, qui ne put cependant pas aboutir durant la législature. Le 28 juillet 1885, le Conseil municipal, avec l’approbation du préfet de la Seine, votait la création d’un four au cimetière de l’Est. EnOn, le 30 mars 1886, le docteur Blatin, francmaçon notoire, fit adopter, au cours de la discussion de la loi sur la liberté des funérailles, un amendement, aux termes duquel tout citoyen, majeur ou mineur émancipé, peut adopter l’inhumation ou l’incinération pour son mode de sépulture. La loi fut promulguée le 15 novembre 1887 et rendue exécutoire par décret du président Carnot, du 27 avril 1889. (On trouvera le texte de ce décret dans les Questions actuelles, t. I-V, p. 216.)

Ces résultais sont dus en partie à l’activité d’une société fondée à Paris en 1880, sous le nom de Société pour la propagation de la crémation, nom qu’elle échangea, en 189^, contre celui de Société pour la propagation de l’incinération. Celle association a été reconnue d’utilité publique le 12 octobre 1897, parle président Fai : uk(M. Jules Méline, président du conseil, et M. Louis Barthou, ministre de l’intérieur). En 1905, elle comptait 643 membres, et 671 en 1910. Elle a tenu sa vingt-quatrième assemblée générale, le 21 mai 1905. Des rapports lus dans cette réunion il résulte qu’en 1906 l’Europe et l’Amérique possédaient 90 monuments crématoires (dont 29 pour les Etats-Unis, 1 2 pour la Grande-Bretagne, 30 pour l’Italie, 9 pour l’Allemagne…), et que jusqu’à cette date un peu plus de 1 26.000 incinérations y avaient élé pratiquées. Sur ce chiffre, le plus grand nondjre appartenait à la France, 73. 330 effectuées d’août 1889 à décembre 1904. Mais il faut ajouter que sur ces 73.330 cas, 3.484 incinérations seulement avaient été demandées par les familles ; le reste, près de 70.000, étaient des embryons (33.767) ou des débris d’hôpitaux (37.082), « cadavres déchiquetés dans les amphithéâtres ».

En 1907, le four de Paris incinéra 451 cadavres sur la demande des familles, et 403 en 1908. Le secrétaire général de la société, M. Georges Salomon, avouait que, depuis vingt ans, 4.690 corps seulement y avaient été brûlés par la volonté du défunt ou de la famille ; tout le reste avait élé apporté à l’appareil crématoire par mesure administrative.

En 1909 on comptait eu Europe 72 fours crématoires, dont 28 en Italie, 17 en Allemagne. 13 en Angleterre, 6 en Suisse, 4 en France, a en Suède, 1 en Norvège, i en Danemark ; — et en Amérique 87 fours dont 34 aux Etats-Unis, i au Canada, 1 dans l’Argentine, I dans le Guatemala. L’incinération fait de grands [irogrès aux Elats-Unis et en Allemagne. Dans ce dernier pays, de 1878 à 1903, on n’avait construit que 8 crématorium ; en 1908, leur nombre