Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/293

Cette page n’a pas encore été corrigée

573

IMMANE.XCE (DOCTRINE DE L)

574

désir de la religion chrétienne, qui se trouvera ainsi jioslulée par le plein épanouissement Je la vie.

Deux traits caractérisent cette apologétique immanentiste :

i) Désintéressement des arguments tirés de l’Iiistoire.

Les paroles prononcées par M. Schmiedbl dans une conférence donnée devant les protestants libéraux de Suisse et publiée en igo6, sous ce titre : Vie Persan Jesu im Streite der Meinimgen der Gegemvart (Leipzig, 1906, p. 29), donnent de ce désintéressement cette expression extrême qui définit les situations.

« …Un mot sur la signification que la personne de

Jésus a poiu- notre piété personnelle. Si, dans toute la liberté de nos rcoLerclies, nous nous attachons, comme je fais, à des points que d’autres rejettent, ceci n’intéresse en rien notre culte. Pour moi, je ne dis pas même de Jésus qu’il soit unique ; car ou bien ce terme ne dit rien, — chaque homme étant unique en quelque façon, — ou il dit trop. Mon avoir religieux le plus intime ne souffrirait aucun dommage, si je devais me persuader aujourd’hui que Jésus n’a point existé. J’y perdrais peut-être de ne pouvoir plus attacher mes regards sur lui comme sur un homme réel ; mais je saurais que toute la piété que je possède depuis longtemps, ne serait point perdue, pour ne pouvoir plus se rattacher à lui… Sans doute comme historienje puis dire que cette hjpothèsen’est pas vraisemblable. Ma vie religieuse ne serait point troublée non plus, si Jésus m’apparaissait comme un exalté à cause de ses prétentions à la messianité ou si je voyais en lui quelque chose que je ne pusse approuver… Ma piété n’a pas besoin non plus de voir en Jésus un modèle absolument parfait, et je ne serais point troublé, si je trouvais quelque autre qui l’eût surpassé… au reste il est liors de doute que sous certains rapports il a été surpassé… Mais jusqu’ici nul ne m’a montré un homme qui ait été plus grand que Jésus dans ce qui fait sa valeur propre. »

Les principes de Schleiermacher, rappelés plus haut, commandent logiquement cette attitude.

2) Importance exclusive attribuée aux arguments subjectifs.

L’apologiste, qui s’inspire de la doctrine de l’immanence, tirera du dedans la preuve et parfois le contenu de la révélation chrétienne. Préoccupé exclusivement de manifester les convenances qui existent entre les aspirations positives de l’homme et cette révélation, il s’efforcera de découvrir dans le fait intérieur l’exigence proprement dite du fait extérieur.

Aussi bien, les deux faits doivent-ils nécessairement coïncider, voire même s’identifier l’un avec l’autre, si, avec la connaissance religieuse, nous entrons d’emblée dans l’ordre subjectif, c’est-à-dire dans un ordre de faits psychologiques, de déterniinations et de dispositions intimes du sujet lui-même, dont la suite constitue sa vie personnelle.

« Eliminer le moi ne serait pas ici chose possible ; 

car ce serait éliminer du même coup la matière et tarir la source vive de la connaissance. Une vieille illusion fait croire que l’on connaît Dieu comme l’on connaît les phénomènes de la nature et que la vie religieuse naît ensuite de cette connaissance objective par une sorte d’application pratique. C’est le contraire qui est vrai. Dieun’est pas un phénomène qu’on puisse observer hors de soi, ni une vérité démontrable par raisonnement logique. Qui ne le sent pas en son cœur, ne le trouvera jamais au dehors. L’objet de la connaissance religieuse ne se révèle que dans le sujet, par le phénomène religieux lui-même. Il en est de la conscience religieuse comme de la conscience

morale. Dans celle-ci, nous sentons le sujet obligé, et cette obligation même constitue la révélation de l’objet moral qui nous oblige. Il n’y a pas de bien connu hors de là. De même dans la religion : nous ne prenons jamais conscience de notre piété, sans que, dans le même temps que nous nous sentons religieusement éams, nous ne percevions, dans cette émotion même, plus ou moins obscurément, l’objet et la cause delà religion, c’est-à-dire Dicu.jj (Sabatier, £squissc d’une l’itilosopltie de la Religion d’après la psychologie et t’Iiistoire, p. 879.)

Plus clairement encore, le même auteur marque la valeur exclusive des arguments subjectifs pour fonder la conviction religieuse, quand il s’exprime ainsi :

« …Non seulement la connaissance religieuse ne

saurait jamais dépouiller son caractère subjectif ; mais eWc n’est autre chose, en réalité, que cette subjectivité même de la piété, considérée dans son action et son développement légitimes. » (Ibid., p. 381.)

Ne gardant de l’histoire de Jésus que les suggestions d’un symbolisaie religieux, l’apologiste, qui a donné une adhésion au moins implicite à la doctrine de l’immanence, enfermera donc dans le subjectivisme tout le déveloi)pement de sa démonstration chrétienne.

Article II. — Ex.’Imen de la Doctrixe

1. — Opposition de l’immanentisme et de la pensée catholique. — La religion catholique a la prétention de s’appuyer sur nne communication de Dieu aux hommes, non seulement individuelle et intérieure, mais extrinsèque et sociale. Elle reconnaît comme motifs de sa crédibilité autre chose que l’expérience du divin. Elle estime même cette expérience peu apte à fournir par elle-même un critère normalement suffisant de la vérité. Elle en appelle à des faits positifs. Elle y voit des signes divins qui l’authentiquent. Dans sa théologie, elle insiste sur la distinction de la créature et du Créateur. Si elle reconnaît la présence de Dieu en un cliacun, et d’une manière spéciale dans l’àme juste, elle sauvegarde, jusque dans l’intimité de cette présence, la distinction du fini et de l’infini.

Elle ne fait point de la foi, de la conscience religieuse, de la révélation, des termes synonymes. Et parce qu’elle se donne comme une religion surnaturelle, elle neveutpas être considérée comme exigée par le développement purement naturel de la vie.

Il est donc évident que l’immanentisme devait nécessairement entrer en conflit avec la pensée catholique. Le conflit s’est produit quand, quoique présentée sous des formes le plus souvent atténuées, la doctrine de l’immanence attira l’attention. Aussi estce à formuler cette opposition, qu’est consacrée une partie notable de l’Encyclique Pascendi.

2. — Causes de cette opposition. — L’opposition que nous venons de signaler, entre l’immanentisme et la pensée catholique, n’est point arbitraire. Elle a sa raison d’être dans l’irréductibilité des deux attitudes intellectuelles vis-à-vis de vérités qui sont essentielles.

On peut s’en convaincre, en constatant les vérités que nie l’immanence et celle qu’elle déforme.

A. — Vérités que nie la doctrine de l’immanence

i) La distinction réelle entre Dieu et le monde.

Exclusivement préoccupé de l’immanence divine, méconnaissant par suite la transcendance de Dieu, l’immanentisme, quand on le développe dans la logi-