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IDEALISME

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fait d’être pensé, je ne suis pas logiquement contraint d’affirmer et de nier en même temps et sous le même rapport son indépendance à l’égard de ma pensée même. Car ce qui se trouve alors dépendre de celleci, ce n’est pas lèlre propre et substantiel du dit objet, lequel peut fort bien et précisément exister en lui-même pendant que je me le représente, comme il pouvait exister avant que je me le lusse représenté, comme il pourra exister après que j’aurai cessé de me le représenter : c’est cette sorte d’être accidentel ou de surcroît qu’il acquiert dans ma pensée, qui. à vrai dire, ne se distingue pas d’elle, qui en constitue proprement le contenu objectif et la valeur représentative. En un mot. je nie qu’il dépende de ma pensée dans son existence réelle, je suis obligé, si je m’entends moi-même, de reconnaître et d’alHi’mcr qu’il en dépend dans son existence idéale’ : qu"y a-t- : l là de contradictoire ? Ce n’est pas tout à fait la même chose, de concevoir un objet en dehors de la conception qu’on s’en fait, bref en ne le concevant point, et de le concevoir commee : >islant en lui-même en dehors de cette conception. — Répondra-t-on que même dans ce second cas c’est toujours le concevoir, comme existant en lui-même ou non, peu importe, et parlant qu’on a beau faire, cette conception étant un fait de conscience et la conscience ne pouvant s’évader d’elle-même, ce prétendu objet reste irrémédiablement un état du sujet ? Nous touchons peut-être ici le fond même de la question et, puisque nous y sommes, tachons d’en avoir le cœur net. Il y a quelque chose de fondé dans cette instance. En sa qualité d’acte éminemment vital, la connaissance est nécessairement immanente ; et l’on pourrait même dire que c’estde paraître lui garantir mieux quetouteautre doctrine ce caractère essentiel, qui vaut à l’idéalisme son prestigieux crédit. Mais il n’y a pas seulement l’immanence ou l’intériorité de notre connaissance : il y a aussi son objectivité, qui ne lui est pas moins essentielle, et, on peut le dire également, c’est l’explication de ce second caractère qui, en revanche, nous l’avons déjà vii, constitue pour les idéalistesune difficulté formidable. Ils essayent bien d’y échapper en faisant procéder du moi lui-même l’objet qu’il a conscience de percevoir, à telles enseignes que, tout compte fait, il ne connaîtrait jamais que lui-même ou son action ou les résultats de son action. Mais comme il est trop manifeste que, si le moi a conscience de percevoir des objets, il n’a pas conscience de les produire, il a fallu les lui faire produire par une activité inconsciente ; d’où l’on a été insensiblement amené, ces choses qu’il peut connaître et qu’il doit conséquemment produire allant à l’inlini, à étendre DU à élargira l’inlini cette partie inconsciente du moi ou ce moi inconscient ; jusqu’à l’ériger Gnalcment en moi absolu, identi<|ue au principe absolu des êtres, et qui, pour notre moi véritable, n’est ni i>lus ni moins qu’un non-moi : tant et si bien que la dilliculté renaissait telle qiu lie de savoir comment notre moi à nous peut, sans sortir de lui-même, connaître autre chose. En d’autres termes, — et il y a là une preuve nouvelle, digne d’être retenue, que le moi de Fichtc. créateur du non-moi, est bien ce que nous avons dit, une appellation éipiivoque de l’Absolu, — c’est de Dieu seul, cause première et unierselle. acte pur aussi, et acte de tous les intelligibles, qu’on doit dire que la raison de sa connaissance réside en dernière analysedans sa causalité et son actualité infinies, et qu’en ce sens il ne connaît jamais que lui-même et son action et les produits de son action. Mais quand il s’agit d’un être ou, comme dirait Fichte, d’un

1. Un pIiiliKsophe de l’Ecole dirait : « dans son être intentionnel ».

sujet fini, pareille interprétation devient par trop insoutenable ; on ne saurait plus expliquer sa connaissance par une causalité universelle, qui lui fait défaut, mais bien par l’objet même dont il subit et ne peut que subir l’action : le point délicat est seulement de l’expliquer de la sorte sans compromettre son immanence nécessaire Or il suffît pour cela, s’inspirant de la belle et profonde théorie scolastique des « espèces », d’admettre que notre connaissance résulte précisément de cette action de l’objet ( « iér/or/sée dans le sujet qui la subit : actualisée ou « informée » par celle-ci, conformée aussi et dès lors à l’objet d’où cette action émane, notre puissance de connaître entre aussitôt en exercice et engendre au dedans d’ellemême une représentation qui l’exprime telle qu’elle est devenue et partant, puisqu’elle est devenue conforme à l’objet, exprime également l’objet tel qu’il est, ou du moins tel qu’il agit sur elle. Ainsi notre connaissance se trouve-t-elle acquérir, sans préjudice de son inamissible intériorité, un contenu objectif inexplicable en toute autre hypothèse, n’y ayant plus de doute désormais qu’on ne peut en rendre compte que par l’influence d’un objet réel.’Voilà le redoublement idéal dont nous parlions tout à l’heure, voilà cet être de surcroit ou cette existence idéale que l’objet, tout en conservant par devers lui son être propre et son existence réelle, reçoit dans le sujet soumis à son action ou plutôt pénétré par son action et recevant par là même la révélation de l’extériorité. Application au problème delaconnaissance des lois universelles qui régissent le rapport de l’agent et du patient, cette théorie n’a rien qui ne s’accommode aux triples exigences de la psychologie, de la métaphysique et de la critique. Pour en revenir enfin à ce point particulier, la distinction qu’elle justifie, éclaircit et précise entre existence réelle et existence idéale de l’objet, n’a rien non plus qui ressemble, même de loin, à une contradiction. — Et qu’on ne dise pas que pareille distinction est irrecevable en l’espèce, attendu que les corps n’ont précisément de réalité que dans nos sensations (ou que pour eux existence idéale et existence réelle se confondent, comme dans le fait de conscience en tant que tel, ciijus esse, en ce sens, est percipi) : car c’est précisément aussi ce qu’il faudrait établir, et ce n’est pas la contradiction en cause qui l’établirait, puisqu’elle n’aurait de réalité elle-même que sous cette condition.

— Qu’on ne dise pas davantage que nous conmiettons nous-mème une pétition de principe, sinon un cercle vicieux, mais en sens contraire, en alBrmant d’emblée l’existence en soi ou indépendante des corps : ce serait méconnaître la vraie position du débat, tel qu’il s’agite présentement entre l’adversaire et nous. En toute exactitude, nous n’affirmons ni ne nions ici même soit l’une soit l’autre des deux thèses : nous nous bornons à maintenir contre les idéalistes que la seconde est tout au moins soutenable, nous n’affirmons pas pour le moment que les corps existent en soi. nous disons simplement qu’ils peuvent tout au moins exister de la sorte, plus exactement encore qu’on n’a pas réussi à prouver qu’ils ne puissent pas exister de la sorte. Quand on parle de contradiction, en ell’et, on ne sort pas du domaine des possibles : pour écarter la contradiction qu’on nous reproche, il nous suffit conséquemment que la distinction précitée soit possible, et nous n’avons pas besoin de la postuler comme réelle.

5" C’est donc en pure perte qucles idéalistes s’évertuent à décrier le réalisme comme une doctrine qui choquerait la raison. Ne pourrait-on pas, au surplus, retourner une telle accusation contre leur proiire système, en signalant les impasses où il se trouve logiquement acculé ? Car enfin, l’idéalisme subjectif, le