Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/280

Cette page n’a pas encore été corrigée

547

IDEALISME

548

des centres d’actions ou de réactions réciproques et qu’on appelle les corps — critique de l’idéalisme immatérialiste de Berkeley. — Non pas, au demeurant, que les arguments destinés à justilier ces trois thèses ne doivent répondre à chaque fois qu’à la forme d’idéalisme mise en regard de chacune d’elles : une symétrie aussi rigoureuse risquerait d’être par trop artifleielle, et il suffit qu’à chaque fois ce soit plutôt telle forme d’idéalisme qu’ils atteignent principalement.

II. — Critique de l’idéalisme phénoméniste — Nécessité d’un fondement réel aux possibilités permanentes de sensations.

1° Qu’on regarde les corps, avec St. Mill, comme des « possibilités permanentes de sensations » ou, plus exactement, qu’on les appelle ainsi, cela, en un sens, ne fait rien à l’alTaire, et les réalistes les plus décidés n’y trouveraient guère à redire, pourvu que cette possibilité réponde à quelque chose, pourvu qu’on accorde l’existence d’une réalité actuelle qui la fonde et dont elle soit comme le signe, pourvu que par la dite formule on entende tout simplement cette réalité même. Il est très vrai que quand je dis :

« Tel tableau se trouve au musée », cela signifie que, 

si je vais au musée, j’y éprouverai cet ensemble de sensations qui répondent à ce que nous appelons un tableau, — oui, mais à une condition pourtant : c’est que ce tableau se trouve en effet au musée, autrement, pas de sensation de tableau à attendre. Ne jouerait-on pas dans l’espèce sur le mol possibilité ? Ne confondrait-on pas la simple possibilité logique ou intrinsèque, laquelle consiste dans l’absence de contradiction interne entre les éléments d’une chose ou d’une affirmation quelconque, avec la possibilité extrinsèque ou effective, qui ajoute à la première une relation à une cause extér.ieiire, caïKible de réaliser pour tout de bon la chose dont il s’agit et ainsi di’justifier en dernière analyse l’affirmation correspondante ? Il n’y a aucune contradiction à ce que je voie un tableau ni à ce que j’affirme en voir un : eucore faut-il, pour que cela soit vraiment et. si l’on ose dire, concrètement possible, qu’il y ait quelque réalité actuelle, redisons-le, qui soil à même de déterminer en moi cette perception et cette affirmation. Faille de quoi toutes les absences de contradiction (lu monde n’y feraient rien et, comme l’a dit quelqu’un, la possibilité de sensation dont on parle ne serait ni plus ni moins qu’une sensation impossible. 2° Répondra-t-on que cette réalité qui fonde, et qui doit nécessairement fonder la possibilité des sensations, c’est la réalité du moi. créant par une action inconsciente ses représentations sensibles avec tout leur contenu ? Nous y viendrons tout à l’heure, mais, en attendant, ce ne sont toujours pas les idéalistes à la manière de Hume ou de Mill qui peuvent chercher un refuge de ce cùté. Car le moi lui-même, dans leur système, n’est pas réel, il n’est, lui non plus, que l’idée abstraite, illusoirement réalisée, de la possibilité permanente de nos états intérieurs (cf. supra). Il ne reste de réel, tout compte fait, que ces états eux-mêmes, ou que les sensations : je ne suis, à chaque instant, que la sensation ou le groupe de sensations que j’éprouve actuellement. Sans doute, si elles sont actuelles, ou plutôt une fois qu’elles sont actuelles, il n’y a pas à s’étonner qu’elles soient possibles ; mais aussi bien n’est-ce pas tout à fait de quoi il s’agit. L’actualité d’un fait est assurément la meilleure preuve de sa possibilité, mais elle n’en est pas le fondement ou le principe. Si l’on préfère, autre chose est de savoir qu’un fait est possible, sans plus, autre chose de savoir comment il l’est ; et

voilà juste, ici même, la vraie question ; non pas, encore un coup,.si les sensations étaient possibles, mais comment elles l’étaient, avant d’être (ou de redevenir ) actuelles. Et il saute aux yeux, d’après ces explications mêmes, que ce n’est pas leur actualité présente qui pouvait assurer tout à l’heure à leur possibilité le fondement que nous cherchons, puisque précisément cette actualité n’était pas encore tout à l’heure, puisque tout à l’heure ces sensations n’étaient précisément que possibles. A moins qu’un possible ne soit par hasard le principe (actuel) de sa propre possibilité — nous voilà aux prises avec une logomachie inintelligible.

30 II y a plus, ou pire. Le possible n’est pas seulement dans cette théorie le principe de sa propre possibilité : il est aussi cause de l’actualité elle-même. Car enfin, si le moi, en tant que réalité substantielle, n’existe point et s’il n’y a pas davantage de réalités substantielles hors de moi, s’il ne reste, tout compte fait, que mes sensations, on ne voit plus d’où ces sensations peuvent bien procéder que d’elles-mêmes ; on ne voit plus comment, de possibles qu’elles étaient d’abord, elles peuvent devenir actuelles autrement que par elles-mêmes — si tant est qu’on puisse parler de la sorte et que ces formules, pour peu qu’on les presse, ne se résolvent pas en manifestes contradictions, une sensation possible étant une sensation qui n’existe pas encore, mais qui peut seulement exister, et ce qui n’existe pas encore ne pouvant se donner (pas plus qu’aux autres) l’existence que précisément il ne possède pas.

4° En résumé, rien n’empêche, à la rigueur, d’appeler les corps des i< possibilités permanentes de sensations », à condition d’admettre une réalité actuelle qui y réponde. Autrement, le possible serait le principe de sa propre possibilité, ce qui répugne. Bien plus, il le serait de l’actualité elle-même, ce qui est encore plus choquant. Il y a donc au moins une cause actuelle, quelle qu’elle soit, de nos sensations.

III. — Critique de l’idéalisme subjectif. — Extériorité de la cause actuelle requise pour les sensations.

1° Passons cependant sur ces difficultés, propres à la Ihèse pliénoméniste de Hume et de Mill, et considérons l’idéalisme d’un point de vue moins étroit, chez ceux qui admettent la réalité du moi et croient y trouver la cause actuelle exigée par nos idées des choses sensibles. En premier lieu, si le moi est tout daas les sensations, s’il les explique à lui tout seul, si la sensation complexe « tableau », pour en revenir au même exemple, ne dépend absolument d’aucune condition extérieure, comment se fait-il que j’aie besoin d’aller au musée pour l’éprouver ? Comment se fait-il que d’autres ne l’éprouvent qu’en y allant comme moi ? On répondra sans doute que c’est parce que là seulement, eux et moi nous éprouvons aussi les sensations suggestives qui, en vertu des lois de l’association, ramènent dans notre conscience le groupe « tableau » tout entier. Transeat, mais ces sensations suggestives elles-mêmes, poirrquoi ne les éprouvons-nous qu’au musée ? Inutile d’invoquer d’autres associations : il faudra bien, en fin de compte, s’arrêter à une sensation, à un groupe de sensations primitives, au sujet desquelles la même question se reposera impitoyablement : pourquoi ne les avons-nous que là ? — On répliquera derechef que c’est vraiment nous faire la partie trop belle que de parler ici du musée comme d’une chose réellement extérieure, auquel cas nous n’avons pas trop de peine à établir que la sensation « tableau », exclusivement possible là même, répond conséquemmeut à