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IDEALISME

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riel, cette notion do substance dont Locke avait cru montrer le caraitiie illusoire, et rapporte nos représentations sensibles à la seule action directe de Dieu, selon les principes de l’idéologie de Malebranche, sans plus s’embarrasser, comme celui-ci, de ce superflu qui s’appelle la substance matérielle elle-même. Dieu, ou l’Esprit suprême, produisant en nous nos sensations suivant deslois régulières qu’il s’est fixées à lui-même, voilà donc l’unique principe extérieur de nos idées des corps et aussi des rapports invariables (lois de la nature) qui se constatent entre elles : les corps eux-mêmes, en tant que tels, en tant que distincts de nos idées, sont une pure invention de notre esprit.

a° L’idéuiisine (proprement} subjectif de Fichte découle, lui, presque en droite ligne du criticisme kantien ou de l’idéalisme transcendantal, dont on a même pu dire qu’il le contenait virtuellement (comme la théorie de la vision en Dieu et l’occasionnalisme de Malebranche contenaient virtuellement, au moins |)Our une part, l’immalérialisme berkeleyen). Pour l>ien l’entendre, il faut se reporter à la dilBculté fondamentale ou à l’une des diflicultés fondamentales que soulève l’idéalisme de Kanl et qui consiste à postuler, entre l’entendement et la sensibilité, une harmonie préétablie analogue à celle que le dogmatisme leibnizien postulait entre la pensée et les choses : si les sensations (resp. les intuitions) procèdent d’une source étrangèreà notre esprit, qui nous garantit qu’elles se prêteront toujours docilement à l’application de ses formes constitutives ou catégories ? Et d’ailleurs — autre ditlicullé, non moins grave — rapporter l’élément matériel de nos représentations à une action exercée sur nous par la (prétendue) chose en soi, n’est-ce pas trahir le principe même de la doctrine, suivant laquelle le principe de causalité n’a précisément d’usage légitime que dans le monde des phénomènes ? Au sentiment de Fichte, il n’y a qu’un moyen de résoudre cette double objection : c’est de faire dériver du sujet (ou du moi), non seulement la forme, mais aussi la matière de la connaissance, par la vertu d’un même acte synthétique créant à la fois catégories et intuitions, ou plutôt d’ajouter à l’aperception pui’e, principe des catégories, un acte d’ « imagination productive », qui crée les intuitions ; autrement dit, c’est de considérer la totalité du contenu de nos représentations, et donc le monde en son entier, comme le produit de notre moi, dont ce serait même la loi essentielle et comme la condition d’existence, de s’opposer ainsi dès l’origine un non-moi’.

3° Idéalisme pliénoménisle de Hume et St. Mill. Avec St. Mill enljn — etD. Hume son prédécesseur — l’idéalisme se dégage tout à fait, non seulement de la conception métaphysique du Governing Spirit, de Dieu auteur de nos idées des choses sensibles (Berkeley), mais encore de la notion critique d’une activité synthétique primitive de la pensée, engendrant a yjr/or ; le contenu total de ses représentations (Kant- Fichte). Et défait, si, selon eux, toute réalité extérieure quelconque se réduit au sujet, au moi, ce n’est plus à un moi qui recevrait ses idées d’une cause transcendante, ni non plus à je ne sais quel

t. Et par là même s’explif|uerait sans doute celle sorte de passade continuel du moi ou sujet fini au sujet ou moi infini dont il a été question tout à l’heure. Car le moi qui, par une loi nécessaire, s’oppose ainsi un nonmoi, c’est beaucoup moins notre moi individuel que le moi humain en général, considéré dans sa pure essence {Icitheit, littéralement « épotité » c’est même celui-ci exclusivement, et non celui-là : d’où il n’y a pas tellement loin il le concevoir comme un moi universel et absolu, identique au principe absolu des choses.

Tome II.

moi ou sujet en général, absolu même, à la façon allemande, mais bien au moi individuel, à moi, si l’on préfère, qui parle et qui pense, disons mieux, qui sens — bien plus, car ce moi lui-même est lui aussi, en tant que tel, une illusion, car Hume a eu beau jeu d’appliquer à la substance intérieure, à l’esprit, ou plutôt de retourner contre l’esprit la même analyse dissolvante et négative que Berkeley avait fait porter sur la substance extérieure ou matérielle

— bien plus, toute réalité donc se réduit à la sensation, à ma sensation même, n’y ayant rien ni au delà, ni au-dessus, niau-dessous, ni à côtéulu moins s’il.y a quelque chose, il m’échappe à tout jamais, il est pour moi comme s’il n’était pas. Je connais « mes événements », une « collection de sensations », une

« lile d’images internes », et c’est tout : encore une

fois, le moi n’est qu’une chimère, un simple titre nominal de faits généralisés, le caractère commun de mes faits intérieurs (à savoir précisément de m’apparaître comme intérieurs) détaché d’eux par abstraction et illusoirement réalisé à la faveur d’un mot. A fortiori n’y a-t-il point d’êtres extérieurs à la conscience et indépendants d’elle, corps ou esprits. Les corps en particulier ne sont, en bref, que des possibilités permanentes ou, si l’on aime mieux, des certitudes conditionnelles de sensations. Dire par exemple que tel tableau se trouve au musée revient à dire que y’e suis sur, si je vais au musée, d’y éprouver telle sensation complexe, mais purement subjective, à laquelle j’ai supposé, suivant l’erreur comnivme, une cause subsistante et objective que j’appelle un tableau. Et ilen vade même pour tout objet quelconque. Et ce fait général s’explique en dernière analyse par un simple processus d’association d’idées que régissent les deux lois suivantes : o) quand j’ai éprouvé une fois telle sensation dans telles circonstances, le retour des mêmes circonstances provoque le souvenir de cette sensation et l’attente de son retour ; / ;) quand une sensation donnée a été constamment associée à un groupe donné de sensations, le retour de la première provoque l’idée du groupe tout entier et l’attente de son retour, d’autant que cette attente s’est trouvée, en fait, habiluellemenl justitiée, cf. St. Mill, La philosophie de Ilamilton, trad. Gazelles, p. 212 sq.

4’Tels sont donc les trois types d’idéalisme rigoureux, proprement dit, que nous allons lâcher de soumettre à une critique approfondie. H ne s’agit guère d’autre chose que de ce qu’on appelle aujourd’hui le problème de l’existence du monde extérieur. Et si l’on veut bien y prendre garde, on constatera sans peine que ce problème général se subdivise en trois questions particulières, qui se trouvent précisément répondre, chacune à chacune, ou peu s’en faut, à ces trois formes d’idéalisme. Nous avons, en effet, à établir : 1° que nos sensations, envisagées dans leur contenu représentatif, ne se suffisent pas à elles-mêmes et ne s’expliquent point par elles- mêmes, ni même, exclusivement, par les lois qui président à leurs combinaisons diverses, bref qu’elles ont bien une cause actuelle et permanente, dont la réalité les fonde et les déborde tout ensemble — critique de l’idéalisme phénoméniste de Hume et de St. Mill ; 2° que celle cause actuelle et permanente de nos représentations n’est pas notre moi ou sujet, mais qu’elle lui est elfectivement extérieure ^ critique de l’idéalisme subjectif de Fichte ; 3" enfin que cette cause extérieure ou objective de nos sensations réside vraiment, et en gros, dans cet ensemble de substances, ou, si le mot paraissait trop fort à quelques-uns, de réalités étendues et résistantes, diversement colorées, sonores même pour quelques-unes, odorantes ou sapides, qui nous apparaissent comme

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