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tels que les entend l’Eglise, restent délicats à interpréter correctement par un système, et, de nos jours, certaines tendances ont surgi, qui vont à altérer la notion exacte de corporéité. Par sa passivité et sa position aux antipodes de la conscience, par sa discontinuité avec l’esprit et sa résistance aux analyses de la pensée, par la prise aussi qu’elle donne à la sotilTrance, la matière reste une chose nij-slérieuse et inquiétante, qu’une catégorie d’esprits cherchera toujours à dénigrer ou à faire disparaître. Sans la déclarer mauvaise, comme les gnostiques d’autrefois, plusieurs inclinent aujourd’hui à lui enlever son caractère d’élément primitif ou détinitif des choses. Ils la réduisent volontiers à un ensemble de lois, analogues à des habitudes tenaces, qui restreindraient l’activité de l’àme et l’empêcheraient d’aller jusqu’au bout de sa liberté native. Ces liaisons, qui entravent notre connaissance et notre activité, s’imposent à nous avec la rigidité d’un pli héréditaire ; mais il ne serait pas impossible de rejeter leur enveloppe, de ranimer la partie de nous-mêmes qui a échappé à notre spontanéité pour tomber dans ! ’ « automatisme ! ’. Au ternie de cet effort, se profile une libération qui ressemble de très prés à la spiritualité pure.

On aurait bien de la peine, souvent, à préciser le degré d’orthodoxie qu’il est possible de reconnaître à de semblables doctrines. Qu’il suflise, en réponse àce qu’elles insinuent, de rappeler le souci très net montré par l’Eglise de maintenir que la matière est, dans son fond, bonne et, de plus, durable. L’Eglise impose à notre foi l’existence d’une résurrection et de corps glorieux. Or parla, sans nier la place, peut-être fort grande, des « automatismes » dans notre matière (morète et actuelle, elle nous avertit d’y voir autre chose encore : à savoir un élément destiné à survi^ re, un principe capable d’une épuration qui n’est fias l’anéantissement.

B) L’Homme et les actrbs hommes. — Le sujet de cet article étant « l’Homme » et non « la Société >, nous ne retiendrons ici des enseignements du dogme que ceux pouvant fixer la situation des individus par rapporta l’ensemble du genre humain. Deux traits surtout sont notables et conviennent à notre but :

1° Primauté de /’(nrfniV », d’abord. — Aux yeux de l’Eglise, ce ne sont pas les races ni les Etats, c’est l’unité humaine, qui porte dans sa frêle et chétive personne la raison d’être et l’avenir de l’Humanité, l’our l’individu surtout, la société existe ; pour lui d’abord, elle doit aménager ses cadres, destinés à le recevoir et à le porter, aussi avantageusement que possible, vers son éternité.

2° Fixité du type individuel, ensuite. — Puisque la même fin est proposée par Dieu aux hommes de tous les temps et de tous les pays, puisque les mêmes moyens aussi leur sont offerts pour arriver à la sainteté béatifiante, il faut de toute nécessité admettre que toujours et partout, dans ses éléments constitutifs, l’homme fut et restera identique à lui-même.

Incessaramentdonc. et par myriades d’unités toutes homogènes entre elles, l’Humanité porte ses fruits.

Ainsi s’évanouit la vision, chère à beaucoup, du Progrés divin, qui, fondant les existences particulières dans un long et unique elTort pour dégager quelque surhomme, fait apercevoir dans les agrandissements de la race la réalité suprême. — Selon la religion du Progrès, l’intérêt émigré des individus dans la collection. Non seulement les individus, pris dans un devenir qui perfectionne essentiellement les générations, se différencient entre eux au cours des âges ; mais, de plus, leur sort apparaît subordonné au perfectionnement final ou total. Comme des gouttes d’eau

à un fleuve, ils apportent leur contingent d’énergie, leur dévouement momentané, et puis, dans le courant, ils disparaissent.

Une pareille interprétation du monde est inadmissible pour un chrétien. Il faut renoncer à l’adopter dans sa rigueur. Est-ce à dire qu’on n’en puisse rien garder ? Evidemment non. L’autonomie de substance que nous revendiquions pour l’homme au début de cette étude, l’indépendance dans la destinée que nous venons d’y ajouter, ne signifient pas émiettement de l’Univers. Les individus ne sont pas tellement isolés que leur noyau ne se frange d’une zone de liaisons et d’interdépendance. Par son insertion dans le monde, chaque monade devient un centre d’action mystérieuse, et peut-être indéfinie ; en tant qu’assujetti à constituer un même Cosmos, il est vraisemblable que Il tout lient à tout ». Par ailleurs, aucune direction de l’Eglise n’interdit d’imaginer au perfectionnement humain quelque utilisation générale ou quelque terme providentiel : peu à peu l’homme se situe mieux dans le monde et l’asservit. Qui pourrait dire que ce travail n’aura pas de lendemain ? Moins encore faut-il abandonner les vues réconfortantes qui montrent les faiblesses particulières englobées, soutenues, utilisées, par un puissant organisme social. Où trouverait-on un groupement plus intime que celui que la foi nous fait entrevoir dans le corps mj’stique du Christ ?

Ce qui nous est demandé, donc, ce n’est pas de dénouer tout lien, d’éparpiller toute agglomération, de fermer les yeux sur tout courant d’ensemble ; mais simplement d’éviter uneabsorption de l’individu qui le ferait, — non seulement agir sur le tout, mais disparaître au profit de tout, — non seulement entrer consciemment dans l’édification de quelque grande unité complexe, mais s’y dénaturer au cours des temps, et finalement s’y perdre. (Sur la distinction des âmes entre elles, voir la définition du V’concile de Lathas, Denzingbr, Enchir.’^', n’ ; 38 [6ai].)

C) L’Homme et le reste dc monde. — Ce n’est point encore assez pour la pensée catholique d’avoir abrité l’individu contre les empiétements de la race. Elle doit maintenant isoler la race elle-même du mouvement général de la vie et de la matière. En effet, relativement aux autres êtres pris dans l’univers actuel :

1° L’homme, au sentiment de l’Eglise, constitue une catégorie à part. — Par nature, il est d’un ordre supérieur à celui de tous les vivants qui l’entourent ; si bien qu’entre lui et eux il va discontinuité fondamentale, écartant toute possibilité de descendance pure. Les âmes humaines puisent leur être à une source indépendante de tout courant visible. Chaque naissance est le terme d’une création spéciale, s’effectuant, suivant l’opinion de beaucoup la plus sûre, à l’instant même où le corps s’anime.

2° L’Homme, par suite, se pose en centre de dignité et de finalité. En dépit d’apparences dont nous aurons à parler plus loin, son individualité a nourrir et à encadrer est le but assigné, non aux seules nations, mais à toute vie terrestre, et peut-être même, si nul être raisonnable fjue lui n’habite ce monde visible, à l’Univers entier.

3" Et cet isolement doit marquer dans l’histoire de son apparition au sein des choses. Non seulement en vertu de déductions a ^rior ; souvent hasardeuses, mais à cause de documents positifs consignés dans l’F.ciiture, le chrétien n’est pas libre dc se représenter absolument à son gré les origines historiques de l’Humanité. Surce point, sans doute, la lumière n’est faite qu’à demi. La Genèse est un genre d’histoire si spécial qu’il restera longtemps des doutes sur la signi-