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HERESIE

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Mais la peine de mort ?

20 On doit dire : même la peine de mort, si elle est nécessaire, se justifie.

En réalité, cette peine s’explique très bien par les circonstances historiques. Cette explication suffit amplement. Les décisions pontiticales valaient pour l’époque, le temps, les circonstances où elles étaient données. Les papes statuaient sur une question d’oppoitiinilé, question essentiellement contingente et relative : étant données les circonstances, les princes de^’aient appliquer les lois en vigueur. Ces décisions n’avaient pas un caractère absolu et universel ; les Papes ne décrétaient pas que ces lois devaient être appliquées absolument et toujours. Sans contredire le moins du monde leurs prédécesseurs, les papes d’aujourd’lini peuvent fort bien conseiller et prescrire la tolérance aux princes chrétiens. La peine de mort se justifie par la nécessité. A. une époque, elle a pu être nécessaire et salutaire ; à raison des temps, des idées, des mœurs qui ont changé, ce châtiment extrême peut être jugé actuellement inopportun, et même dangereux. La Chambre française, à une majorité assez considérable, vient de voter le maintien de la peine de mort : dans cinq ou dix ans, si les circonstances ont changé, une nouvelle Chambre pourrait en juger autrement.

Or, au moyen âge, l’ordre religieux et l’ordre politique étaient intimement unis, et pour ainsi dire se compénétraient ; un violateur de la loi religieuse, qui était une loi organique de l’Etat, était en même temps un perturbateur de l’ordre public, et le crime d’hérésie, détruisant la religion, s’attaquait au fondement même de l’Etat. (Abbé Deville, I.e droit canon et le droit naturel, p. 201 sqq., Lyon, 1880.) Quoi d’étonnant que ce crime fût puni d’un châtiment très grave ? En définitive, la peine capitale est réservée aux grands crimes, à ceux qui vont plus directement contre le bien essentiel de l’Etat. Or il est certain que le premier bien, le bien le plus essentiel, le bien primordial, fondamental pour un Etat, c’est la religion. Par conséquent, celui qui tend à détruire cette unité religieuse qui fait l’unité nationale, est le plus grand criminel, parce que, en réalité, il prépare des catastrophes pour son pays, et cela, au point de vue spirituel et temporel, c’est la perte des âmes et la ruine de l’Elat.

Bien plus. l’Iiistoire le montre, en ce temps-lâ, les hérétiques ne se contentaient pas d’attaquer la doctrine de l’Eglise, mais ils propageaient souvent un enseignement immoral, des pratiques innomablcs, contre le droit naturel, ils proposaient et défendaient àprement des théories tout à la fois anticatholiques, antipatriotiques, antisociales (cf. Vacandard, Vlnq., p. gi, Hérésie cathare ; Vermeehsch, La Tolérance, p. 178 sqq.) ; ils fomentaient des séditions, des révoltes contre le pouvoir légitime, et en combattant l’Eglise elle-même, ils n’employaient pas seulement des armes spirituelles, comme la parole, les écrits, la prédication, la persuasion, mais ils usaient en vérité et fréquemment du glaive matériel ; ils mettaient à mort les prêtres, renversaient les églises…, et commettaient toute sorte de crimes et d’abominations. Je ne cite que quelques noms de sectes : les Albigeois, les Vaudois, les Protestants, principalement en Allemagne, les Huguenots en France… Les hérétiques constituaient par conséquent le plus grave danger au point de vue religieux et social.

L’Etat n’avait-il pas le droit et le devoir de punir de pareils criminels, et d’arrêter par un châtiment exemplaire ceux qui auraient été tentés de les imiter’.'

Joseph DR Maistue a eu raison d’écrire : « L’hérésiarque, l’hérétique obstiné et le propagateur de l’hérésie

1 doivent cire rangés incontestablement au rang des plus grands criminels. Le sophiste moderne qui disserte à l’aise dans son cabinet, ne s’embarrasse guère que les arguments de Luther aient produit la guerre de trente ans ; mais les anciens législateurs, sachant tout ce que ces funestes doctrines pouvaient eoiiter aux hommes, punissaient très justement du dernier supplice un crime capable d’ébranler la société jusque dans ses bases, et de la baigner dans le sang. » (Lettres à un gentilhomme russe sur l’Inquisition espagnole ; deuxième lettre. — Cf. Mgr Paqi et. Droit public de l’Eglise, p. 298, Québec, 1908.)

M. VacandaLrd trouve qu’en parlant ainsi on force légèrement la note apologétique : « Ce qui est vrai, écrit-il, c’est qu’au moyen âge il n’y eut guère d’hérésie qui n’eût des attaches avec une secte antisociale… Mais, en fait, les tribunaux de l’Inquisition ne condamnèrent pas seulement les hérésies, qui étaient de nature à causer un trouble ou un bouleversement social ; ils frappèrent toutes les hérésies en bloc cl chaque hérésie comme telle. Nous statuons, dit expressément Frédéric II, que le crime d’hérésie, quel que soit le nom de la secte, soit mis au rang des crimes publics… Et de la sorte tombera sous le coup de la loi quiconque s’écartera de la foi catholique, ne fut-ce qu’en un seul article. » (L’Inquisition, p. 284.) M. Vacantlard, en aflirmant que l’on condamnait l’hérésie comme telle, voudrait-il prétendre que l’on frappait le crime d’hérésie, en le considérant comme tel au point de vue religieux, et nullement en fonction de l’ordre social ? — A notre tour, nous lui dirions qu’il force la note historique, qu’il exagère. Bien plus, le texte même de Frédéric II, qu’il cite, précise ce point… « Nous statuons, dit l’empereur, que le crime d’hérésie, quel que soit le nom de la secte, soit mis au rang des crimes publics. >

Aussi, toute hérésie extérieurement manifestée, quel que soit le nom de la secte…, est considérée comme crime publie, délit social, et puni comme tel : car, toute hérésie, quelle qu’elle soit, quand même elle aurait un caractère purement spéculatif, est, et est considérée à cette époque comme délit social, atteignant l’ordre public, parce qu’elle tend à rompre l’unité religieuse, qui est, et est regardée comme le premier bien social, le fondement de la société. A tort ou à raison, l’unité religieuse faisait l’unité de la pairie.

Sans doute, au point de vue abstrait, spéculatif, 01 peut considérer l’hérésie sous un double aspect comme délit religieux et comme crime civil. Mais encore une fois, en pratique, dans l’ordre réel, concret, à cette époque, ces deux points de vue se compénétraient. Le dévouement à la religion était la forme la plus élevée du dévouement à la patrie. Mgr Douais a pu très justement écrire : « Par son hérésie, il (l’hérétique) se mettait hors de la société religieuse. L’inquisiteur, en le livrant, déclarait que, à partir de ce jour, il n’appartenait plus à la société religieuse. La cour séculière, seule compétente désormais, avait qualité pour arguer de ce fait contre lui. Pourquoi, et qu’est-ce’.que cela pouvait lui faire ([ue cet homme rejetât le symbole en tout ou en parlie. fut cathare, néo-manichéen, hércliqucen un mol ? La situation actuelle du monde politique ne nous aidi pas à en voir la conséquence. En réalité, cet héréli que, parce qu’hérétique, divisait le territoire plac sous le sceptre impérial. Et comme l’hérésie pullulai aux xii’et XIII’siècles et que les hérétiques nnmbreu formaient des masses profondes, le tort fait à la pui ; sance politique était réel et grand. Donc elle arguai contre l’hérétique du fait de son hérésie. Elle lui iniligeait la peine du feu, non en vertu de la sentence inquisitoriale, mais aux termes de la conslitulion de