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nombreux auteurs. On ne peut pas dire néanmoins que leur opinion, assurément probable et même très prolialile, constitue une doctrine de l’Eylise, certaine, unanimement professée. La peine de mort a toujours eu quebiues adversaires parmi les anciens Pères, notamment saint Augustin (cf. Vacandard, /, ’// ; nuisilioii, p. 20 s(i.). Le docteur de la grâce reconnaît à l’Eglise le droit d’infliger aux rebelles des pénalités temporelles, comme ramende, la confiscation, l’exil…, même en recourant au bras séculier ; mais, au nom de la cliarité, de la mansuétude qui caractérise l’Eglise, il ne veut pas verser le sang. (Cf. Ciioupin, ]’aleur des décisions du S. Siège, p. 229. ; Vrrmefrscu, l.a Tolérance, p. 81 sqq., Paris, Louvain, 1912.)

Dans les temps modernes, bon nombre d’auteurs ont repris cette thèse du grand docteur. On peut citer Vecciiiotti, /ns/. canon., vol. II, lib. iv, cap. i, § l, p. ?>) sq., et p. 46 sq., Taurini, 1868 ; le cardinal SoGLiA, Insl. jur. pubL, 1. I, cap. i, § 8, p. 1O8 (cet ouvrage a été approuvé par Grégoire XVI et Pie IX), Paris, 18/|/i ; le cardinal Cavagnis, Inst. jur. puliL, vol. I, cap. II, art. vi, §8, De poena eapitali, n. 807, et § g, n. 319, De Tribunali Inquisilionis, p. 209 sq., Romae, 1906 ; le P. Biederlack, ancien professeur de droit canonique à l’Université grégorienne (dans ses feuilles lithograpliiées, le professeur enseigne que l’Eglise a droit à tous les moyens nécessaires pour atteindre sa lin ; or la peine de mort n’est pas nécessaire à l’Eglise pour atteindre sa lin. Donc…) ; le P. Brandi, Civiltà catlolica, Del piitere coattivo délia Cliiesd, juin 1902 ; Mgr Douais (lievue pratique d’apologétique, 15 janvier 1909, p. 602) ; Vermeersch, L’EgCiseet le droit de glaie, dans Htudcs, t. CXX’^II, p. 473 sqq., 20 fév. 1911 ; La Tolérance, p. 69 sqq. ; DE la Biuère (Etudes, t. GXXIX, p. 1 19 sqq., 5 oet. 191 1). Voici comment l’évêque de Beauvais, signalant cette controverse, exprime son sentiment :

« La question n’est pas de savoir théoriquement

si elle (rEglise)n’aurait pas pu être compétente, c’est-à-dire iniliger la peine de mort. Que des théologiens et des canonistes en discutent, soit ; qu’ils reconnaissent à l’Eglise ce pouvoir juridique, à l’exemple de Suarez, peu nous importe ; pure théorie et rien de plus.

« Pour moi, d’ailleurs, je ne le lui accorde pas ; car

d’abord la peine de mort n’est nullement médicinale ; et dans l’Eglise toutes les peines tendent à la correction’ ; ensuite elle était inutile, puisque la prison perpétuelle sullisail àéloigner de la société religieuse le péril ipie l’hérétique lui fai :  ; ait courir. La [leine de mort ne lui est nullement nécessaire j^our atteindre sa lin. Mais qu’importe mon opinion ? En réalité, l’Eglise n’a jamais admis la peine de mort dans son droit. Elle l’a même résolument écartée. Tel est le fait ; il est aussi significatif que considérable… Il me semble que c’est assez pour nous, historiens, qui cherchons à délinir le pouoir de l’inquisiteur et son étendue : il n’avait pas qualité pour iniliger la peine de mort, ni directement, c’est entendu ; ajoutons, ni indirectement : autrement, que signilierail la conduite constante de l’Eglise, d’une part repoussant de son sein la peine de mort, d’autre part, enseignant la responsabilité

« lo/a/e et juridique des actes indirects ?

Pouripioi lui infliger une contradiction aussi inutile que violente ? »

Le grand argument, ou même l’unique argument apporté jiar les partisans de la peine de mort, est le suivant : l’Eglise est une société parfaite à l’égal de

1. Dans aa généralité, cette assertion devrait être contestée : il y a, même au for ecclésiastique, des peines vindicatives que les canonistes distinguent des censures ou (tciiies médicinales.

Tome II.

la société politique. Or une société parfaite a droit à tous les moyens nécessaires à sa conservation et à sa défense, et, parmi eux, comme nous le voyons par l’exemple de la société civile, est le droit de glaive. Donc de même l’Eglise a ce droit. Une distinolion s’impose ici. L’Eglise, en effet, est une société i)arfaite, à l’égal de la société politique, mais elle a une hn ditl’érente, surnaturelle, supérieure, le salut éternel des Ames, tandis que la société civile a pour fin immédiate la félicité temporelle. La lin de l’Eglise est obtenue par la sanetilication des âmes, chose tout intime, intérieure ; pourproduire cet clfet, les moyens extérieurs sont sans doute nécessaires, appi’opriés, utiles, mais insutlisants ; leur ellicacilé n’est pas universelle. « On peut, par crainte de la peine temporelle, s’abstenir de tout acte extérieurement mauvais et se laisser aller, en même temps, à des intentions mauvaises, ou se complaire en des actes qui ont l’apparence extérieure sans les conditions intérieures essentiellement requises. L’ordre externe est nécessaire à l’Eglise, puisqu’elle est une société ; ajoutons même qu’il facilite beaucoup l’acquisition de la lin chrétienne et de l’ordre intérieur. Il fait disparaître les scandales et autres empêchements ; toutefois il ne saurait sutlire. » (Cavagms, Droit public, naturel et ecclésiastique, n. 335, p. 24’-)La fin de la société civile est au contraire, de soi, plutôt externe, regarde directement la vie présente, et est assez eflicacement obtenue par les moyens extérieurs. Les peines temporel les, en elfet, sont de leur nature eflicaces à maintenir les hommes dans l’ordre extérieur, et conséqncmnient suffisantes et proportionnées à l’acquisition de la fin civile.

Cela posé, on dit en mineure : Or une société parfaite a droit à tous les moyens honnêtes et nécessaires à sa conservation et àsa défense. Ce principe est vrai, et il vaut pour l’Eglise comme pour l’Elat. Mais on ajoute : et la société civile a sans contredit le droit de glaive… Celte proposition est encore vraie. Donc, de même l’Eglise. Cette conclusion n’est pas légitime, n’est pas contenue dans les prémisses, parce que dans la mineure il y a une proposition sous-entendue que l’on n’énonce pas et qui est cependant la vraie raison de la conclusion, telle qu’on la lire, à savoir : si l’Etat a sans contredit le droit de glaive, il faut attribuer ce même pouvoir à l’Eglise, qui est une société parfaite, à l’égal de la société politique.

Voilà en réalité le raisonnement, et ce raisonnement est un sophisme. En effet, à deux sociétés parfaites ne conviennent pas les mêmes droits considérés pour ainsi dire matériellement et spéciliquemenl, mais formellement et génériquemenl : c’est-à-dire toute société parfaite a plein droit, dans son ordre, à tous les moyens nécessaires à sa fin ; mais si deux sociétés parfaites ont une fin différente, la diversité des moyenspeut provenir de la diversité des fins, et partant les droits peuvent être spécifiquement différents, — par conséquent, de ce que tel pouvoir appartient à l’Eglise, on n’a pas le droit de conclure que le même pouvoir appartient à l’Elat ; mais la réciproque est vraie, à moins qu’on ne prouve qu’il y a la même raison dans les deux cas. Aussi, dece que la société civile a le droit de glaive, on ne peut légitime- ment conclure que cemêmedroit appartient à l’Eglise, à moins qu’on ne démontre que.nécessa ire à l’Etat pour atteindre sa fin, il l’est éi^fl/enieH/ à l’Eglis, ". Incontestablement, si l’on fait cette preuve, il faut admettre que l’Eglise aie droit de glaive ; mais cette nécessité ne peut pas être déduite du concept générique de société parfaite. Donc toute la question dépend de la nécessité du droit de glaive pour l’Eglise. Et cette nécessité n’a jamais été reconnue par lEglise. (Cf. CwxGSis, /nst. jur. publ.,. I, n.312, 11, p.203, Roiue, 1906.)