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ques, (le nouvelles forces entraient en jeu, reprcsentées par de puissantes individualités, non plus comcenti’ées dans des groupes solidaires. C’est à ces individus que vont les lioniuiages, à eux dont l’action se fait sentir sur le cours des événements humains, beaucoup plus que la puissance problémati que des dieux, relégués dans l’Olympe. C’est le trionipUe de l’anthroponiorpliisnie le plus radical, de la dépendance totale reconnue d’homme à homme. C’est aussi, du nuiins en riy : ueur de logique, la ruine du sentiment religieux, que ces apothéoses de souverains : car ces rois, si grands qu’ils soient, ne sont que des hommes, la déilioation ollicielle ne change pas leur nature intime, et, au fond, l’homme est moins dépendant de son dieu que celui-ci ne l’est de l’homme : — si l’homme fait les dieux, c’est aussi lui qui les défait. En même temps, le mythe, déjà u rationalisé » par Euripide, achève de perdre son caractère d’histoire sainte, puisque, d’après l’explication d’Evhémère, le passé des dieux s’explique par l’histoire présente : comme les Ptolémées ou les Séleucides, ils n’ont été que des bienfaiteurs humains, vivant dans le souvenir des hommes.

Si la limite entre l’humain et le divin se volatilise, on voit de même s’estomper les distinctions entre les diû’crenles divinités. La mythologie grecque ^’altère, les physionomies des dieux perdent de leur netteté, les traits individuels s’obscurcissent, les attributs se déplacent capricieusement d’une divinité à l’autre. Déjà, dans les temps antérieurs, la iiiuUii)licité même des dieux, la personnification des a.livités naturelles et hunuiines, le cai’actère indécis .i.- certaines divinités avaient préparé ce mouvement syncrétiste, que retenait la puissance traditionnelle de la cité. Kien n’y met plus obstacle, dans cette fusion des idées et des races, qui caractérise l’hellénisme. Ce syncrétisme, — moins puissant sur les divinités, étroitement liées à un groupe social bien déterminé, comme Athéna, — atteint surtout les dieux à physionomie universelle, tels que Zeus, ou en rapport plus intime avec les grandes forces naturelles, comme Dionysos ou Déméter. Les inscriptions attestent l’assimilation fréi]uente d’isis avec Démêler, Aphrodite, — d’Osiris avec Dion}S08, Adonis,

— de Sérapis avec.sclépios, Zeus, Dionysos, — de la déesse thrace lîendis avec Artémis, Hécate, Perséphone, — des Cabires de Samothrace avec les Dioscures. On identifie même le Dieu des Juifs avec Z£Ù4 vUi-’ji. Ce serait pourtant une erreur de croire que ce mouvement syncrétiste ait abouti à un monothéisme strict, surtout dans les classes populaires :

« Les idées, dit M. Faumxl, deviennent moins distinctes, 

mais il n’en sort pas une idée unique de la divinité. Ce syncrétisme a détruit la vie de la sculpir. re religieuse ; il n’a rien fait pour le monothéisme, ..ais il a fait beaucoup pour le scepticisme et pour ii’s superstitions les plus grossières. » (Tlie cuits of lliii Greek States, Oxford, 18y6, I, p. 83.) Dans les plnlosophies néo pythagoricienne et néo-platonIl icnne, on sent l’elTort pour organiser la hiérarchie d"s dieux sous un chef suprême, — Zeus ou Osiris, peu importe le nom ; — on ne trouve pas la transrendance, nettement reconnue, d’un Dieu unique. (liez les Stoïciens, cette transcendance relative est encore compromise par le panthéisme du système ; il n’y a qu’un dieu, parce qu’il n’y a qu’un monde harmonieux, dont ce dieu n’est que l’âme, éternelle omme le monde qu’elle pénètre et vivifie. — Bien que favorisant la curiosité religieuse, ce syncrétisme sera un des principaux obstacles à la dill’usion du Christianisme. Uien de plus opposé aux idées courantes, que l’exelusivisnu^ doctrinal de la religion chrétienne, son intransigeance morale, son horreur

de tout compromis avec les cultes païens. Le chrétien devait vivre au milieu du monde, au milieu même de sa famille, comme n’en étant pas, et, suivant la parole austère du Maître, iienlre son àme pour la sauver.

Par un phénomène remarquable qui a fait coml )arer la période alexandrine à la llcnaissance (, I. IvAEnsT, op. cit., p. 2/17), cette épo(iue de civilisation rafiinée est toute pénétrée de superstition. Le culte abstrait de la Fortune (’l~<Jy : ^i) i)rend un développement extraordinaire, comme si hs bouleversements qui avaient suivi la conquête macédonienne, eussent excité dans l’homme un sentiment plus vif de sa dépendance vis-à-vis du Destin. xVlors que dans Homère la Moira représentait la destinée régulière, assignant à l’homme sa place dans l’ordre universel, Tyelié est la destinée instable et capricieuse, s’imposant d’autant plus aux esi)rits que la croyance en une règle absolue de justice s’alfaiblit davantage. L’astrologie chaldéenne, de plus en plus envahissante, renforce ces tendances fatalistes. Les papyrus, qtii ont survécu aux destructions systématii |ues, ordonnées par les empereurs, nous révèlent l’inlluence grandissante de la nuigie. Enfin, le culte des démons prend une singulière extension. Nous l’avons vu, la dcmonologie n’était pas absente de la religion populaire : elle y tenait même une place, dont les textes anciens ne nous permettent peut-être pas d’apprécier toute l’importance. Cette croyance aux démons avait déjà été recueillie par des poètes, comme Hiisiouiî, cjui intercalait entre les dieux et les hommes une catégorie d’êtres intermédiaires, distincts des héros. Des vestiges de cette même conception se retrouvent plus tard chez les Pythagoriciens et Platon. Xkxocrate, disciple de Platon, introduisit celle doctrine dans l’Académie, et la systématisa. Au temps de l’Hellénisme, elle fut reprise et obtint un succès extraordinaire, peut-être sous rinlluence des idées orientales. Plutahque s’en fit le principal interprète. Pour lui, les démons sont des êtres invisibles, aériens, habitant l’espace entre la terre et la lune, intelligents, mais sujets aux passions et à l’erreur, les uns mauvais, — et c’est à eux que s’adressent les rites et les fêles lugubres, — les autres bons, comprenant même des âmes justes, dégagées de tout élément matériel, messagers et serviteurs des dieux auprès des hommes, et qu’il est utile de se concilier par des prières et des sacrifices. Ce culte, agréable au Dieu suprême, légitimait toutes les cérémonies populaires, et, d’autre part, l’existence de démons mauvais permettait de défendre la mythologie, en mettant au compte de ces êtres pervers les fables qu’il était difficile d’attribuer aux dieux. Celte conception du rôle intermédiaire des démons entre Dieu ou les dieux et les honmies se retrouvera, plus accentuée encore, chez Maxime de ÏVH (ne siècle après Jésus-Christ), plus minutieusement exposée chez Porphyre : avec l’école néo-platonicienne, le culte des dénions, sous l’influence du Mazdéisme, finira par dégénérer en Ihéurgie et en cérémonies magiques.

Ces quelques remarques sur le développement du fatalisme et de la démonologie nous ont déjà fait pénétrer dans lapériode romaine. Celle-ci, en effet, devait continuer les errements de l’époque alexandrine, servilisme, flatterie, inquiétude superstitieuse. Comme ils avaient déifié.lexandre et les dynasties qui lui succédèrent, les Grecs d’Asie et d’Europe, vaincus par les Romains, transformèrent en adoration l’obéissance à leurs nouveaux maîtres. Dès le début du second siècle avant Jésus-Christ, d’un élan spontané, ils organisaient un véritable culte, avec temples, fêtes et jeux, en l’honneur de la déesse