Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/160

Cette page n’a pas encore été corrigée

Bo :

GNOSE

308

Dieu, et le monde l’a ignoré avec lui avant l’apparition de Jésus-Christ, lequel, lui, procède du Dieu véritable.

3’Entre le vrai Dieu et la création s’interpose une série fort compliquée d’êtres divins d’origine ; dans cette série, il se produit, à un point ou à l’autre, un désordre qui en trouble l’harmonie. Le monde sensible, y compris souvent son créateur, procède de cette faute originelle.

4° Il y a dans l’humanité des parties susceptibles de rédemption, comme dérivant, d’une façon ou de l’autre, du monde céleste, supérieur au Démiurge. Jésus-Christ est venu en ce monde pour les en dégager.

5" L’incarnation ne pouvant aboutir à une sérieuse union entre la divinité et la matière maudite, l’histoire évangélique s’explique par une union morale et transitoire entre un éou divin et la personne concrète de Jésus, ou encore par l’évolution d’une simple apparence d’humanité.

6° Il n’y a donc eu ni passion ni résurrection réelle du Christ ; l’avenir des prédestinés ne comporte aucune résurrection des corps.

)’Le divin égaré dans l’humanité, c’est-à-direl’ànie prédestinée, n’est pas solidaire de la chair qui l’opprime. Il faut s’efforcer d’annihiler la chair par l’ascèse (tendance rigoriste), ou tout au moins ne pas croire que l’esprit soit responsable de ses faiblesses (tendance libertiniste).

De telles idées ne pouvaient évidemment se réclamer de l’Ancien Testament. Celui-ci, du reste, était répudié universellement, comme inspiré par le Créateur. La grande Eglise tenait ferme à la Bible d’Israël et trouvait le moyen de concilier Jahvé avec le Père céleste. Les gnostiques n’yparvenaient pas. On peut voir, par la lettre de Ptolémée à Flora (Epi-PUANE, Hær., xxxiii, 3-^. Rééditée et commentée par Harxack dansles Sitzungsherichte de l’académie de Berlin, 1902, p. 50--b’^i), comment l’exégèse était pratiquée dans les cercles valentiniens. La loi mosaï <|ue y est ramenée, en partant de certains textes évangéliques, à trois autorités diCTérenles : Moïse, les Anciens d’Israël et Dieu. Dans ce qui est de Dieu, il faut distinguer entre les bons préceptes, ceux du Décalogue ou de la morale naturelle, que le Sauveur n’est pas venu abolir, mais accomplir ; les préceptes mauvais, comme celui du talion, abrogés par le Sauveur ; enfin ceux qui n’ont qu’une valeur d’ombre, de figure, ciunme les lois cérémonielles. Mais il est clair que cette loi divine, ainsi composée de bons et de mauvais préceptes, ne peut être attribuée à l’être infiniment parfait, pas plus, du reste, qu’à l’ennemi de tout bien. Elle est donc l’œuvre d’un dieu intermédiaire, du Créateur. Flora, dit le docteur en terminant, ne doit pas se troubler d’entendre dire que le mauvais esprit et l’esprit moyen (le Créateur) proviennent de l’Etre souverainement parfait. « Vous

« l’apprendrez. Dieu aidant, en recevant la tradition

apostolique, que nous aussi nous avons reçue par

« succession, avec l’usage de juger de toutes les doctrines

d’après l’enseignement du Sauveur. »

Cette attitude exégétique est, en somme, facile à comprendre. Pour les penseurs religieux du ii’siècle, tout comme pour nous, la eriticpie de la nature et de la loi est une perpétuelle tentation. L’iiomme a le droit de se plaindre de la brutalité des forces naturelles, et de s’en plaindre non seulement pour lui, mais pour tous les êtres vivants ; en d’autres termes, il est naturellement porté, de son point de vue très circonscrit, à déclarer que le monde est mal fait. De même la loi, établie pour des cas généraux, néglige et ne peut que négliger mille circonstances particulières, ce qui bien souvent la fait paraître absurde

et injuste. Au-dessus de ce monde et des misères, le cœur de l’homme pressent une intinie bonté, qui se manifeste dans l’amour et non dans la simple justice. Supposez un Grec cultivé dans cet état d’esprit, et mettez-le en rapport avec la Bible. L’Ancien Testament lui olTrira le dieu terrible qui crée sans doute, mais qui tout aussitôt punit sur la race humaine tout entière la faute de son premier couple ; qui se rcpent de l’avoir laissée se propager et la détruit, sauf une famille, avec la plupart des animaux, innocents assurément des fautes que l’on reproche aux hommes ; qui s’allie avec une peuplade d’aventuriers, la protège contre les autres nations, la lance en des expéditions de conquête et de pillage, réclame sa part du butin et préside au massacre des vaincus ; qui la dote d’une législation où, à côté de prescriptions éqidtables, il y en a de bizarres… Les penseurs gnostiques s’abstinrent de demander à l’allégorisme ce qu’en tiraient les orthodoxes. Comme ils avaient besoin de quelqu’un pour endosser la responsabilité de la nature et de la Loi, ils en chargèrent le Dieu d’Israël. L’Evangile, au contraire, où résonnait, à leur estimation, un timbre tout dilTérent, leur parut une révélation de la bonté suprême et de la perfection absolue.

Cette distribution des rôles pouvait paraître ingénieuse ; mais elle ne faisait au fond que reculer la ditriculté. Le Démiurge expliquait la Nature et la Loi. Mais comment l’expliquer lui-même ? Marcion ne chercha guère à résoudre cette énigme. Les autres n’y parvinrent qu’en intercalant entre le Dieu suprême et le Démiurge toute une série d’éons, dans lesquels la perfection allait en s’alléniiant à mesure qu’ils s’éloignaient du premier être, si bien qu’un désordre pouvait se produire et se produisait en elTet chez eux : solution arbitraire et incomplète, qui ne pouvait manquer de susciter les critiques les plus Aives.

On voit pourquoi, dans ces systèmes, l’Evangile de Jésus était le grand et, à vrai dire, le seul argument-On le percevait par des textes écrits, au nombre desquels figurèrent de bonne heure nos quatre évangiles canoniques (les Gnostiques ne citent jamais les Actes, ni, bien entendu, r.pocaIypse), et aussi par des traditions spéciales, soit écrites, soit orales. Ces traditions prétendaient reproduire, non pas l’histoire évangélique connue de tous, mais des entretiens secrets, le plus souvent postérieurs à la Résurrection, dans lesquels le Sauveur expliquait à ses apôtres, à Marie-Madeleine et autres femmes de son entovu-age. les iilus profonds mystères de la gnose. Delà les évangiles de Thomas, de Philippe, de Judas, les petites et grandes Questions de Marie, févangile de la Perfection, etc.D’autreslivres se réclamaient des anciens justes, d’Elie, de Moïse, d’.braham, d’Adam, d’Eve, de Seth surtout, qui, dans certains cercles, avait un rôle très important.

Il y avait aussi, dans les sectes comme dans la grande Eglise, des prophètes inspirés, dont les paroles étaient recueillies et formaient une autre catégorie de livres sacrés ; ainsi les prophètes Martiades et Marsanos chez les « Archontiques ». Chez les Basilidicns, on s’appuyait sur la tradition d’un certain Glaucias, soi-disant interprète de saint Pierre. Il y avait aussi un évangile de Basilide, pour lequel saint Matthieu et saint Luc avaient été mis à contribution, et des prophètes, Barkabbas et Barkoph dont les livres furent commentés par Isidore, fils de Basilide. Le chef de la secte avait lui-même écrit vingt-quatre livres d’u Excgétiques » sur son évangile. Valcntin, lui aussi, se réclamait d’un disciple des apôtres, Théodas, qui aurait eu saint Paul pour maître, et sa secte possédait un « évangile de la Vérité j.