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FIN JUSTIFIE LES MOYENS

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sous le titre : Extraits des assertions dangereuses et pernicieuses que tes soi-disant Jésuites ont soutenues. Mais il en fut tout autrement en pays germanique : dès 1682, le suisse Heidegger, dans son Ilistoria papatus, reprit l’aceusation de Pascal ; et les nombreuses citations qu’a recueillies le P. Reichmann prouvent qu elle devint, peu à peu, un lieu commun de la polémique protestante. Lorsque au lendemain de 1848 les missions de Jésuites rayonnèrent à travers l’Allemagne, pamphlets et feuilles volantes circulèrent pour discréditer ces prédicateurs, accusés d’enseigner, dans le secret du confessionnal, que la fin justifie les moyens. A Francfort-sur-le-Mein, dans l’automne de 1862, ces libelles se répandirent en grand nombre ; el du haut de la chaire le P. Rou, jésuite, s’offrit à gratifier d’une somme de i.ooo florins quiconque pourrait montrer à la faculté de droit de Bonn, ou bien à celle de Heidelberg, un livre signé d’un Jésuite et contenant cette formule ou même une formule équivalente. Un opuscule parut bientôt, signé du protestant Hannibal Fiscuer, (Ahurteihing der Jesuilensache, p. 5^. Leipzig, 18.53), où l’auteur avouait tout net que l’accusation n’était pas fondée ; mais elle continuait de s’attarder dans la foule des journaux hostiles à l’Eglise.

En 1861 le P. Roh, dans la chaire de Halle, renouvela l’offre qu’il avait faite à Francfort, el déclai’a, pour plus de commodité, qu’on pourrait apporter à la faculté de droit de Halle le texte probant, en échange duquel il remettrait un millier de florins. Le défi demeurait sans réponse. Une brochure anonyme parut à Brème en 1863, intitulée.Jesuitenmorat oder Der Ziveck lieiligt die Mittel : mais le texte formel que réclamait le P. Roh y faisait défaut ; et cette brochure, uniquement destinée à soulever l’opinion, n’affronta le verdict d’aucune des facultés auxquelles le P. Roh, d’avance, se soumettait.

En 1868 le pasteur Macrer, de Bergzabern, se déclara prêt à faire la preuve devant la faculté de droit de Heidelberg, où professait el régnait, depuis 1861, l’illustre professeur Bi.untschi.i, ennemi acharné des Jésuites ; le P. Roh, sans récuser ce tribunal, demanda simplement qu’aux professeurs de Heidelberg, fussent adjoints les membres de quelque autre faculté de droit. Maurer refusa, et se contenta de publier dans une brochure : JVeuer Jesuilenspiegel (Mannheim, 1868) la preuve qu’il croyait avoir découverte. Ce qui tout d’abord résultait implicitement, et du silence gardé seize ans durant par les.idversaires du P. Roh, el de la brochure même de Maurer, c’est qu’en faveur de l’accusation les Provinciales n’avaient apporté aucune preuve décisive, puisque, pour en trouver une, on avait, après seize ans de délai, fini par chercher ailleurs. Mais Maurer, enfin, croyait avoir pris un casuiste en llagrant délit, casulste notoire parmi les spécialistes, maintes fois réimprimé, et qui même avait e)i les honneiu’s d’un résumé : c’était le Jésuite Busemkaum, auteur d’une Aledulta tlieologiæ moralis publiée pour la ])remière fois à Miinsler en 1650.

Ce casuiste examine le cas d’un pénitent qui fut condamné parune « sentencemalériellemenlinjuste », et qui veut s’évader. Buseudiaum est assez enclin à permettre le fait même de l’évasion, « à moins que le bien public n’exige le contraire », ou bien « à moins que la charité ne conseille le contraire » (au cas, par exenqile, où la fuite entraînerait pour le garilien un plus grand dommage que celui ( c le

prisonnier subit dans sa geôle). Cet hypotliéliipu’prisonnier dont Busembaum considère l’évasion comme licite, va peut-être tromper ses gardiens, en leur donnant quelque so])orifique, en leur créant une occasion de s’absenter ; il a peut-être briser ses

chaînes. Busembaum estime que devant la conscience ces moyens sont permis ; car, dit-il, « lorsque la fin est licite, les moyens aussi sont licites ». El Maurer triomphant s’exclame : Enfin j’ai la preuve ! Mais pour annihiler cette preuve il suffit de lire les deux phrases textuelles de Busembaum :

(Heo) licet fugere. ne capiaitir, vel eliam a minisiro apprehendente se excutere : non tamen illi vim inferre, vulnerando, percutiendo.

Licet etiam, snltem in foro conscientiae, custodes (præcisavi el injuria), rfetiyjcre, Iradendo v. gr. cihum et potum ut sopiantur, vel procurando ut alisint : item vincula et carceres effringere ; quia cuni finis est licitus, etiam média sunt licita. (Lib. iv, cap. 3, dub.’j ; édil. de Paris, 1655, p. 4g5-’197.)

Les moyens sont licites, quand la lin est licite, dit Busembaum ; mais il parle de mojens qu’à tort ou à raison il juge indifférents en soi : la ruse, qui fourvoie le gardien ; le soporifique, qui l’assoupit ; le bris de chaînes, qui ren<l la liberté. Quant aux moyens qu’il juge mauvais en soi, les voies de fait, les blessures, les coups, la violence, il est le premier, dans ces paragraphes mêmes pour lesquels on l’incrimine, à en proscrire formellement l’emploi ; et c’est précisément de ces deux paragraphes, cités ainsi dans leur intégralité, que le P. Roh put s’armer victorieusement, dans une brochure de 1861, dont le long titre allemand peut se traduire : « La vieille chanson : la fin justifie les moyens, améliorée dans le texte et pourvue d’une nouvelle mélodie. »

Il y remontrait à Maurer ipi’aux yeux de Busembaum la lin ne justifie pas tous les moyens. Pour s’en convaincre pleinement et pour interpréteV avec exactitude un autre passage incriminé du même casuiste relatif à l’usage du mariage, il n’.y a ait, d’ailleurs, qu’à lire Busembaum lui-même, qui dit formellement en un endroit :

Præceptum naturale negativum, protiihens rem intrinsece malam, non licet violare, ne quidem oh mclum mortis. (Lib. i, tract. 2, cap..’1, dub. 2 ; édil. de Paris, 1657, p. Sg.)

En 1870, François HiBKR, dans son Wvre : Jesuitenmoral (Berne, 1870, p. 8), revint à la charge, en induisant, d’un passage du P. Gury, que saint Alphonse UH LiGuoRi avait blâmé Busembaum de dire qu’on pouvait faire du mal pour produire du bien ; mais on prouva à François Huber qu’il n’avait compris ni Gury ni Ligviori ni Busembaum el que saint Liguori n’avait jamais eu la jjensée de prêter à Busembaum cette maxime.

Un quart de siècle après, un théologien protestant de Strasbourg, M. Paul Ghuknberg, dans la Xeilsclirift fur Kirchengeschichte, XV (18g5), p. /|36-437, reprit l’étude de Busembaum et conclut sans ambages que ni dans ce casuiste, ni dans aucun autre de sa connaissance on n’avait jusqu’ici trouvé aucun texte établissant que les Jésuites, au nom de la fin, légitiment les moyens.

Mais la formule était si courante que la foule des journalistes la eonsidérnient comme prouA-ée. En 1890, le vicaire Riouter, de Duisburg. réclamait encore les preuves, il les attendait en vain. Sûre d’elleuièiue et provocante, elle s’étalait toujours, et repoussait les <Iéfis de ceux qui l’interrogeaient sur son identité.

Le 31 mars igo3, l’abbc Dashach, député au Landtag prussien, rej)ril, en doublant la mise, le pari ilu P. Roh. Il offrit, lui. en échange du texte convaincant el toujours insaisissable, 2.000 florins. Le comte Paul DR IIoENSBRŒCH, Sorti (jnelipu- tenq)S auparavant de la.Société de Jésus el de l’Eglise Romaine, releva le gant : dans un article que publia en igoS la revue Deutschland, et qui devint ensuite