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GALILEE

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étendre le pouvoir dus clefs à des questions qui ne sont pas du domaine de la foi. Evidemment, si l’opinion du mouvement de la terre était réellement contraire à la Sle.-Ecriture, aux décrets des Souverains Pontifes et des conciles, je serais prêt à l’attaquer et à détester ses auteurs, avec autant d’ardeur quej’en mets à la défendre comme la plus vraisemblable et la mieux fondée’. »

En iG34, Descartes assurait ses correspondants de son respect pour les décisions de Rome, mais exprimait ouvertement son espoir qu’elles ne seraient pas indéliniment maintenues : « Je ne perds pas tout à fait espérance qu’il n’en arrive ainsi que des antipodes, qui avoient esté quasi en mesme sorte condamnez autresfois^. »

Gassendi, un grand ami de Galilée, parle en ces termes : o Je respecte la décision par laquelle quelques cardinaux, à ce que l’on dit, ont approuvé l’opinion de l’immobilité de la terre… Je n’estime pas néanmoins que ce soit un article de foi : je ne sache pas, en elTet, que les cardinaux l’aient ainsi déclaré, ni que leur décret ait été promulgué et reçu dans toute l’Eglise, mais leiu- décision doit être considérée comme un préjugé qui est nécessairement d’un très grand poids dans l’esprit des lidèles 3. »

Gassendi faisait bien la distinction entre l’obéissance extérieure due aux décrets des congrégations et l’assentiment intérieur dont la simple prudence humaine faisait une obligation à quiconque ne voyait pas le bien-fondé du système de Copernic. Certains hommes d’Eglise montraient moins de délicatesse. Le P. Mersenne, par exemple, ne se lassait pas de témoigner publiquement son admiration pour Galilée :

« Tous ceux qui ont écrit contre ce grand homme, 

écrivait-il, ne sont quasi pas dignes qu’on les nomme’. » Le P. Campanella, Dominicain, allait plus loin et publiait un ouvrage pour montrer que le système de Copernic n’était pas contraire à l’Ecriture ^.

Tous les personnages dont il vient d’être question sont antérieurs à Newton. A mesure que les travaux du fondateur de la Mécanique céleste furent connus du monde savant, les probabilités amassées depuis un siècle en faveur du système de Copernic s’allirmèrent et se coordonnèrent. Parallèlement, l’interprétation métaphorique des textes de la Bible controversés devint de plus en plus raisonnable. L’Eglise, pourtant, ne se hâta point de retirer ses défenses, et, jusqu’en 1767, nul ne pourra enseigner ouvertement le mouvement de la terre, s’il veut rester fidèle à la lettre du catalogue de l’Index. Empressons-nous d’ajouter que si cette lettre donnait quelques scrupules à des laïques comme Eustaclie Manfredi, elle était déjà considérée comme lettre morte par des religieux comme Boscovicli.

Ceci nous amène à examiner cette dernière objection, souvent formulée dans la presse radicale, que la condamnation de Galilée eut de funestes effets au point de vue du progrès de la science. Précisons la question. II ne s’agit pas démontrer que les écoles, les académies, les observatoires continuèrent à vivre et à travailler : la réponse serait aisée, mais elle ne résoudrait pas l’objection. On peut facilement supposer que, du fait des décrets de l’Index, les observations sélénographiques, les mesures du méridien

1. Op. G<i/., t. W, p. 161.

2. Correspondance (Edit. Adain-Tannery t. I, p. 288.

— Cf. t. I, p. 270.

3. Epistolæ très de motu inipiesso a motore translato^ Pari », 1643, t. III, p. 471.

4. Correspondance (Edit..dani-Tanneiy t. I, p. 5T8. h, Thoinæ Campanellæ ord. Prædic. DUputaltonum…

libri quatuor, Pans, 1637.

terrestre ou les expériences sur la diffraction ne pouvaient guère être gênées. Ce qu’il faut examiner, c’est la répercussion que l’attitude défavorable de l’autorité ecclésiasti(iuea pu avoir dans la ligne même où les disciples de Copernic avaient dirigé le mouvement astronomique, et le retard que les décrets ont pu apporter au triomphe du système copernicien.

L.a question est complexe et, parce que l’on n’a pas su l’envisager d’assez haut, les réponses que l’on y a faites sont fort peu satisfaisantes.

Faisons remarquer d’abord que, quelles qu’aient été les idées personnelles de ses promoteurs, le système qui fait du soleil le centre de circulation des planètes, est, au sens propre, une théorie physique’. Comme tel, il ne doit pas avoir la prétention d’expliquer la nature intime des réalités, mais bien de représenter, aussi exactement que possible, les mouvements des astres et leurs combinaisons compliquées. Or, pour qu’une théorie soit bonne, pour qu’elle soit préférable à une autre, il faut avant tout qu’elle ait pour elle des raisons logiques, et c’est dans le choix des hypothèses fondamentales delà théorieque l’exigence logique doit intervenir. Pour expliquer la circulation apparente des astres, deux systèmes sonten présence, celui de Ptolémée et celui de Copernic ; l’un fait l’hypothèse que la terre est immobile et que le ciel tourne, l’autre fait l’hypothèse inverse. De ces deux hypothèses il s’agit de savoir laquelle doit être acceptée ; pour ce faire, on compare successivement le système entier des représentations théoriques ploléméennes, d’une part, et le système entier des représentations théoriques coperniciennes, d’autre part, avec le système entier des données d’observation. Tant que les données d’observation furent peu nombreuses, comme cela avait lieu à l’époque de Copernic, l’un et l’autre système {)araissait bien s’accorder avec les apparences : le savant n’avait donc aucune raison physique de fixer son choix ; s’il choisissait la première hypothèse plutôt que la seconde, c’était pour des raisons tout extrinsèques. A mesure q<ie les observations de Tycho, de Galilée, de Scheiner, de Halley eurent précisé dans le détail un nombre plus grand de phénomènes dont la théorie devait rendre compte, l’hypothèse de Ptolémée apparut de plus en plus inapte à son but ; puis l’on s’aperçut que le système que fondait cette hypothèse offrait des conséquences en contradiction manifeste avec les lois observées. De ce jour, on se rendit compte qu’il faudrait l’abandonner, — ou lemodilier.

C’est à dessein que nous opposons ces deux mots : parce que l’expérience frappe de contradiction certaines conséquences d’une théorie, il ne faut pas conclure que l’on doit la rejeter sous peine d’illogisme. Un physicien pourra s’efforcer, en sauvegardant l’hypothèse fondamentale, de multiplier les corrections pour rétablir l’accord ; un autre préférera changer l’une des suppositions essentielles qui portent le système entier. S’ils parviennent tous deux au résultat, ils sont logiques tous deux, et il est permis à l’un comme à l’autre de se déclarer satisfait. Mais alors doivent intervenir des motifs qui ne relèvent pas de la logique et qui peuvent, très justement, faire préférer l’œuvre de l’un à l’œuvre de l’autre. Ces motifssontce que l’on appelle des raisons de bon sens : arguments d’autorité et arguments scripturaires, raisons d’harmonie et d’unité trouvent alors leur place naturelle et légitime. Seulement, empressons-nous de le remarquer, les raisons de bon sens ne s’imposent pas avec la même implacable rigueur que les règles de la logique ; elles ne s’imposent pas en même temps, avec la même clarté, à tous

1. Cf. P. Duhcin, La Théorie physique, Paris, 1906.