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FAMILLE

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dans lesplus humbles milieux, dùt-il pour celas’occuper de mesquines querelles de ménage. Parmi les libertés collectives, si nombreuses sous l’ancien régime, la famille était l’une des plus fécondes et des plus respectées, comme centre des traditions, des croyances, des affections. « C’est la famille qu’on aimait, dit ïalleyranu, bien plus que les individus, que l’on ne connaissait pas encore. » Entre parents, la cohésion, la solidarité était telle que le déshonneur d’un seul rejaillit sur tous. L’état social tout entier reposait sur la constitution de la famille ; le Pouvoir civil, en général du moins, n’intervenait dans son fonctionnement qu’avec grande réserve, pour la maintenir surtout, exceptionnellement pour réprimer les trop graves abus.

L’ancienne famille française est fondée sur le mariage chrétien indissoluble. Sans doute les enfants nés hors mariage ne sont pas laissés sans protection, et leurs parents ont vis-à-vis d’eux des droits et des devoirs d’ailleurs strictement contrôles ; mais leur situation reste inférieure et ils ne peuvent prétendre ni au nom et aux prérogatives personnelles ni à la succession de levirs père et mère. Le niai-iage a dû être librement consenti par les deux époux, par la femme aussi bien que par le mari. Les mœurs assurent à l’épouse la même dignité qu’à l’époux, l’un et l’autreétant, nous dit Etienne PASQUiER, vis-à-vis des enfants les Araies images de Dieu sur la terre. Les mœurs encore, sinon toujours un texte exprès, associent la mère à son mari dans l’œuvre de l’éducation des enfants ; son aptitude personnelle à cette tâche, préconisée par la religion, est partout reconnue en pratique et, même en présence du père, elle exerce c( une certaine autorité civile raisonnable » (Merlix, Rép", vo Puissance paternelle). Les droits du père sur ses enfants sont maintenus considérables, mais l’influence chrétienne en a tempéré l’excessive rigueur : Nulle peine grave ne peut être définitivement jn’ononcée par lui sans appel au moins possible devant les tribunaux, et il n’est nulle part autorisé à metti’e à mort ou vendre un enfant. La puissance paternelle revêt ainsi un caractère plus humain et moderne, et son exercice est soumis au double contrôle de la mère et des tribunaux ; en outre, partout encore pratiquement, elle perd ses attributs les plus énergiques quand l’enfant a atteint un certain âge.

Les mœurs, en notre matière, atténuaient les divergences légales existant entre les pajs de droit écrit et les paj’S coutumiers. Ceux-ci par exemple, au xiiie siècle, avaient pleinement adopté la thèse chrétienne de la capacité complète de la femme, tenue seulement à la subordination au mari pendant le mariage dans l’intérêt d’une bonne administration jiour la communauté de biens créée de plein droit entre les époux par le mariage. La femme perdait son indépendance, plutôt que sa capacité, en se mariant : aussi la nullité de ses actes juridiques pouvait-elle être demandée par le sevil mari et non par elle. Si l’époux avait la direction exclusive du ménage, elle gardait la propriété de son patrimoine et avait droit à la moitié des biens meubles et acquêts de communauté. Le droit écrit, au contraire, s’inspirant du droit romain, n’établissait pas une communauté de biens et d’intérêts entre époux, et il considérait la puissance mai-itale comme une sorte de tutelle comportant une incapacité au moins partielle de la femme mariée, pleinement capable d’ailleurs si elle était fille ou veuve. Cette thèse, moins juste et rationnelle, s’est généralisée cependant vers le xvi’siècle : la femme mariée ne pourra agir en l’absence du mari qu’avec une autorisation de justice ; sinon, elle peut elle-même demander la nullité de ses propres actes. Son influence n’en reste pas moins très

grande au sein de la famille pour l’éducation des enfants.

Mêmes différences quanta l’autorité paternelle. Admise dans le midi à l’égard des seuls enfants légitimes, elle est perpétuelle en f)rincipe, sauf émancipation volontaire par le père de son fils ; elle confère en outre des pouvoirs considérables sur la personne et les biens de l’enfant : en 1663 par exemple, la Cour de Grenoble statue, comme tribunal d’appel, sur une condamnation à 22 ans de galères prononcée par un père de famille. La mère, il est vrai, légalement appelée à consentir au mariage de son fils, a pratiquement un rôle beaucoup plus étendu, et les parlements interviennent soit pour mitiger une condamnation paternelle, soit pour imposer l’émancipation d’un enfant ou même prononcer la déchéance de l’autorité paternelle. Dans les pays coutumiers, la règle légale est toute contraire. « Droit de puissance paternelle n’a lieu », disent Dumoulin et Loysel, ce qui signifie d’ailleurs que les droits du père, non concédés à perpétuité, disparaissent, au moins quant aux plus stricts, par l’effet delà majorité émancipatrice, tixée à 25 ans d’une façon générale au xv !  !  ! ’siècle. Mais le majeur n’échappait pas complètement à l’autorité paternelle : il devait à tout âge prendre le conseil de ses parents avant de se marier, et ceux-ci conservaient toujours un moyen de sanction fort efFicace, la faculté d’exhéréder leurs enfants dans un grand nombre de cas. De plus, le j)ouvoir royal donnait suite à toute demande d’internement formulée contre un membre d’une famille par son chef, jjour un motif sérieux : tel était le Arai caractère des lettres de cachet, procédé mis à la portée de tous, même des plus humbles, pour sauvegarder l’honneur familial compromis par un seul. Enfin, pour maintenir l’autorité du père dans de justes limites, les coutumes comptaient sur le pouvoir éventuel de réglementation et de surveillance reconnu aux parlements et surtout sur l’action permanente delà mère, ayant, même en présence du père, la jouissance, sinon l’exercice, de l’autorité domestique.

Bref, les différences entre le Nord et le Midi de la France existaient jikis dans les textes que dans les faits, et elles s’atténuent avec le temps. Pratiquement, au xviii siècle, la puissance paternelle est partout temporaire et limitée par l’intervention de la mère, des proches, du juge. Mais, partout aussi, le mariage et l’autorité paternelle, ces « deux assises sur lesquelles repose la famille », suivant le mot si juste de M. Glassox à l’Académie des sciences morales en 1897, étaient protégés par les lois et les mœurs traditionnelles, entourés d’un respect quasi religieux, honorés par tous, considérés comme inviolables. Les sentiments moraux qui, en dépit de certaines observations superficielles, dominaient encore, en 1789, dans la très grande majorité de la population française, maintenaient étroite la solidarité familiale, rendaient possibles et faciles l’exercice de tous les droits, l’exécution de tous les devoirs. Le pouvoir rojal s’inclinait devant l’institution familiale dont il reconnaissait l’origine divine, antérieure et supérieure à sa propre institution : la famille représentait à ses yeux le plus solide fondement de l’ordre social, une liberté traditionnelle, une autorité qu’il n’eût pu discuter et ébranler sans mettre la sienne en question.

§ 3. La famille aux temps modernes

A. Droit intermédiaire. — Le naturalisme révolutionnaire va au contraire s’attaquer à cet état de choses. Déjà les philosophes avaient préparé les voies en ridiculisant le mariage et la fidélité conjugale, enprècliant l’ii’réligion et le mépris des traditions, en niant