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FAMILLE

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Aation inouïe des femmes insjnrait la terreur du mariage à ceux qui pouvaient y songer. En vain Auguste, au nom du patriotisme et pour la consei’vation des familles et de l’Etat, fait-il des lois pour encourager les unions et leur fécondité ; il punit et récompense, mais ne fait qu’aggraver le mal. Les mariages ne sont j)lus que des unions passagères, le divorce et l’adultère deviennent choses courantes. Dès lors la législation va forcément changer ; tandis que la famille était naguère régie à peu près exclusivement par les mœurs, toute autorité morale perdant son ellicacilé là où il n’y a plus de mœurs, la loi de la Cité va intervenir au sein des familles : le despotisme des Césars y trouvera d’ailleurs son compte par la suppression d’un sérieux élément de résistance à leur omnipotence. Sous l’influence de ces considérations diverses, la femme, qui ne veut plus supporter son ancienne servitude, devient pratiquement indépendante. La Cité limite à son égard les droits du père et du mari : le premier doit la doter et ne peut plus briser son mariage ; elle soustrait par degrés sa personne et ses biens aux pouvoirs du second. Désormais c’est le juge jniblic qui prononcera les peines contre la femme mariée, même adultère, et le mari devient administrateur seulement de la dot, restituable en cas de veuvage ou de divorce. Même au point de vue matériel, la distinction s’accuse de plus en plus entre les intérêts desépoux. Dufait des mœurs et delaloi, le lien conjugal se relâche, le mariage cesse d'être tenu pour une union respectable et durable. La femme est de plus en plus rattachée à ses enfants, au point de vue des droits successoraux notamment ; mais cet effet se produit de pareille façon, que lesdits enfants soient légitimes ou naturels. En tout cas, jamais elle ne sera associée à l’exercice de la patria potestas.

Cette puissance elle-même subit une transformation profonde. A mesure que, par le contact avec d’autres peuples et sous l’influence de la religion chrétienne, les idées de liberté et de dignité humaines se développent, la patria potestas apparaît comme une tyrannie insupportable aux mains d’hommes sans principes ni affections. En même temps, la Cité entend réglementer les rapports du pater avec ses subordonnés. La magistrature publique remplace la justice domestique pour la connaissance et la répression des délits, et elle protège la personne physique des enfants, que le père ne peut plus condamner à mort, ni même corriger corporellement, si ce n’est sous le contrôle du juge et par son ordre. Le mariage d’un descendant n’est plus laissé à l’absolue discrétion du père : si celui-ci refuse ou néglige de le marier, le magistrat l’y forcera, comme, s’il le déshérite, son testament sera cassé, s’il le maltraite, l’empereur l’obligera à l'émanciper. L’enfant n’est plus un instrument de crédit, il ne saurait être vendu ou mis en gage. — Une évolution analogue se produit quant aux biens. Tandis que la liberté de tester subit chez le paterfamilias des restrictions de forme et de fond en faveur des personnes soumises à sa puissance, la loi finit par constituer aux enfants, sous forme de pécules divers, une fortune personnelle dont ils disposent librement, même par testament. Enfin on en vient à reconnaître au juge, dans certainscas graves, le droit de frapper le père de déchéance absolue ou au moins de lui imposer 1 émancipation de son fils.

Par suite de ces changements profonds, la famille, enclos muré naguèrp où le pater régnait sans partage, est de plus en plus soumise aux lois de la Cité. Quelque chose subsiste néanmoins de la conception antique du groupe familial. Malgré certains teflipéraments dus aux empereurs chrétiens, jamais la mère n’a eu sa part légitime dans l'éducation des enfants. Quoique amoindrie, la puissance paternelle

subsiste, perpétuelle en principe, aux mains du chef sur toute sa descendance réelle ou fîctive, au détriment du père naturel quel que soit l'âge de celui-ci. Enfin, jusqu’au Bas-Empire, il n’y a pas de famille sans jus tæ nuptiae ; l’entrée en est ouverte par les empereurs chrétiens à l’enfant né du concubinat. qui pourra être légitimé et assimilé au fils légitime.

C. La famille en Germanie. — Les coutumes germaniques donnent à l'époux sur sa femme un pouvoir perpétuel et sans limites, comprenant le droit de vie et de mort. Mais, si la femme est toujours placée dans une quasi-tutelle, ce n’est pas à raison d’une infériorité intellectuelle que les Germains n’ont jamais admise, c’est à cause de son impuissance à porter les armes. Incapable plus de fait que de droit, l'épouse a une personnalité, un j^atrimoine, qui au besoin sera défendu contre le mari, sinon par elle-même, du moins par un parent ou le représentant qu’elle a choisi. La monogamie est la règle très générale et le devoir de fidélité commun aux deux époux. Si, du vivant du père, la mère n’exerce pas la puissance sur ses enfants, la veuve, à défaut de fils majeur, succède à une partie de cette autorité, et ses droits sont à peu près ceux d’une tutrice légale, sauf l’obligation pour elle de se faire assister dans les actes juridiques par le plus proche parent.

En Germanie comme dans la Rome primitive, le principe patriarcal est le fondement de la famille se gouvernant elle-même comme une sorte d’Etat indépendant. La puissance du chef ne le cède en rien à la patria potestas comme énergie et intensité, qu’elle porte sur la personne ou sur les biens. Il semble cependant qu’outre des restrictions traditionnelles et religieuses, son exercice subisse un contrôle plus étroit de la part du conseil des proches qui réunissait les fils et les pères, les parents maternels et les parents paternels. Mais, par ailleurs, il y a des différences profondes, he mitndiiim germain est fondé sur le lien du sang exclusivement. Il s’exerce indifféremment sur les enfants légitimes ou naturels. Surtout il n’est pas perpétuel et cesse quand le fils a pris une personnalité distincte, peut-être même par l’atteinte d’une majorité.

§ 2. La famille dans l’ancien droit français

A nous en tenir même à notre pays, il est impossible de suivre dans le détail le développement de l’institution familiale depuis le jour où, après s'être heurtés. Barbares et Romains coexistent et se fondent sur la terre française jusqu’au moment où le pouvoir royal sera affermi. Nous dirons seulement que la famillemonogame, avecle mariage chrétien indissoluble et l’autorité paternelle pour fondements, est l’origine même de l’Etat français. Serrée autour de son chef qui

« règne » (le mot est dans les textes), elle est, après

la tourmente des viii" et ix siècles, la seule force sociale demeurant organisée. Sur son modèle, avec un caractère plus patriarcal que souverain, toutes les autorités plus générales se constitueront par la suite, depuis celle du baron féodal sur son fief jusqu'à celle du roi, gardien des libertés et de la paix publique, qui, presque uniquement fondée sur le prestige moral, conservera jusqu'à latin, si l’on en croit Mkhcier dans son Tableau de Paris, « un front populaire ». La famille fortement organisée a fait la France : elle aimait la Maison de France en qui elle se reconnaissait et qui, comme elle, représentait la tradition, l’hérédité, le pouvoir tempéré et stable. Et la royauté lui rendait cet intérêt affectueux : jusqu’aux derniers jours on voit le roi intervenir comme arl)itre, comme protecteur de la dignité familiale, de l’honneur et de la tranquillité domestiques,