Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/940

Cette page n’a pas encore été corrigée

1863

EXPERIENCE RELIGIEUSE

1864

livres sacrés, spécialement de l’Evangile, a créé, dans toutes les sectes qui se rattachent au Christ, un même style religieux. Sous cette uniformité du langage se cachent cependant autant de variétés de sentiments et d’expériences, qu’il se dissimule de divergences d’interprétation, les uns prenant le Christ sans sa divinité, d’autres sans son humilité, d’autres sans sa charité. Comment avoir vraiment la même émotion, quand on n’aime pas vraiment la même chose !

De même, la diffusion des livres chrétiens, vies de saints. Imitation de J.-C, traités mystiques, a vulgarisé dans nos pays certains types de vertus ou d’états extraordinaires : forcément ils impressionnent les imaginations et le langage. Impuissance à se décrire, ou hantise du style reçu, ou illusion toujours facile, ceux qui parlent de leurs expériences subissent d’autant plus cette influence, qu’ils sont moins séparés du Catholicisme et plus désireux de retrouver dans leur vie ce qu’ils adiuirent en lui.

Enfln — et jamais cette remarque n"est plus nécessaire que lorsqu’il s’agit de réalités subtiles comme les nuances des plus délicats sentiments de l’àme — c est pitié de voir les mêmes mots exprimer des intensités si différentes. Le seul terme feu exprime, à la fois, la chaleur qui brille, celle qui enflamme, celle qui met en fusion, celle qui volatilise ; le même mot amour désigne ou le badinage d’une affection naissante, ou le don généreux de soi, ou la passion dont on meurt. Il en va de même des mots caractéristiques des émotions religieuses. A des degrés si divers, parle-t-on bien des mêmes choses ?

3’Spécificité des expériences catholiques. — N’allons pas dire toutefois, par un pharisaïsme insupportable, que la charité de tout catholique est plus intense que celle d’un non-catholique. C’est invériflable à tout autre qu’à Dieu et, ainsi affirmé, c’est faux.

Si nous voulons indiquer un quelque chose inconnu hors de l’Eglise, il nous faut invoquer des raisons hors de conteste. En voici.

Il y a une forme d’humilité et d’abnégation qui nous est propre : celle qui consiste dans la soumission à l’autorité ^ Cette obéissance, quand elle n’est pas purement extérieure, suppose une mentalité spéciale : vue de foi qui reconnaît le Christ en personne dans son Eglise, ^ ?a’yos audit, me audit, Luc, x, 16, et don de soi jusqu’à l’intime de la volonté propre ; ces deux

« attitudes pratiques » appellent nécessairement une

réaction spéciale du sentiment.

De dire en quoi elle consiste est difficile et inutile vraisemblablement à qui ne la connaît pas par le dedans. Il suffit de remarquer qu’elle doit exister, de par la nature des choses, et que, s’il y a là un sacrifice dont l’esprit moderne ne peut méconnaître la difficulté, il doit y a^’oir une réponse divine particulière, qui le rémunère, et dont le charme goûté adoucit l’épreuve, au point d en rendre possible la continuité.

On en soupçonnera quelque chose en considérant cette autre note aussi indiscutable. De même que le protestantisme est basé sur l’évidence subjective et le libre examen, la vie catholique est basée sur l’évidence objective d’une démonstration rationnelle et placée sous un contrôle extérieur. De ce fait, elle participe à une sécurité et une certitude que l’àme d’un protestant ou d’un libre penseur ne peut pas connaître.

Il ne faut pas chercher ailleurs la cause profonde des différences qui existent entre expériences protes 1. Elle existe dans l’Eglise grecque, si proche de nous à d’autres égards ; mais, dans les sectes protestantes, elle n’a subsisté, ou ne s’est rétablie, qu’en contradiction avec les principes majeurs de la Réforme. De là des difficultés qu’on ne parvient à résoudre que par des compromis pratiques, dont l’incohérence est toujours plus ou moins vaguement perçue.

tantes et catholiques. Si semblables qu’elles soient sous de multiples aspects, surtout s’il s’agit de catholiques du type sentimental et affectif, il y a, même dans la conversion et la vie de ces derniers, un genre de certitude qui manque aux autres, assiu-ance et paix que donnent une foi non seulement sentie, mais raisonnée (partant, que l’intelligence soutient, quand le sentiment Aacille ou disparaît), et l’accord, facile à vérifier, avec un magistère et une hiérarchie visibles. Que cette tutelle laisse place au plein essor individuel et à la variété la plus grande des expériences, nous lavons indiqué ailleurs ; cf. art. Dogme, col. 1181. Elle nous maintient seulement entés sur la

« "N^^igne véritable », de qui procède toute sève de vie.

Jua., XV, I sq.

VII. Bibliographie. — Acatholiques : Outre les ouvrages cités dans le texte, cf. G. Arnold, Theologia experimentalis, d. i. Geistliche Erfahrungslehre. .., Francfort, 17 14 ; Schleiermacher, Reden an die Gehildeten unter ihren Verâchtern, Berlin, iy99, 2’éd. 1806, 3’éd. 1821… avec modifications ; Ath. Coquerel, fils, La conscience et la foi, in- 12, Paris, 186y ; Frank surtout, System der christ. Geii’issheit, 2 vol., Erlangen, 18’ ; g, occasion de polémiques multiples ; L.-F. Stearns, The évidence of Christian expérience, Xew-York, 1890 ; J. Kôstlin, Die Begriindung unserer sittl. relig. Ueberzeugung, Berlin, 1898 ; Der Glaube, 1896, et article Dogmatik dans la Realencykl 3., t. IV, p. 7^2, ^43 ; E. Ilaack, Ueber Jf’esen u. Bedeutung der chrisil. Erfahrung, Schv>€rin, 1894 ; J.-A. Porret, L’expérience chrétienne, son contenu et ses fondements, in-8’, Paris, 1896 ; E. Petran, Beitr. zur Verstandigung liber Begriffu. Wesen der sittl. relig. Erfahrung, Giitersloh, 1898 ; K. Wolf, Ursprung ii, Ver^vendung der relig. Erfalirungsbegriffes in der Theol.des ÀTX Jahrh., in-8, Giitersloh, 1906 ; C. >V. Hodge, Christian Expérience a. Dogmatic Theologv, dans Princeton theological ret’/eu’, 1910, p. 1 sq.

Catholiques : Contre les premières théories de la Réforme, Bellarmin, De Controversiis christ, fid., in-fol., Ingoldstadt, ib^3, t. III, De justificatione, 1, 1, c. iv sq., j). 940 sq. ; 1. III, c. i sq., p. 1094 sq. ; A. et V. Walenburch, />e Controv. fidei, in-fol., Cologne, t. II, 162 1, tract, vii, c. xxxi sq., lxxxiv sq.

Pour l’évolution protestante, voir Doellinger, Moehler, et G. Goyau, LJ Allemagne religieuse, le protestantisme, in-12, Paris, 1898, c. 11, p.’J2 sq.

A l’égard des positions récentes, Mgr Plantier, Le Christianisme de sentiment., 2 confér., 1840-41, dans Bei’. des se. ecclés.. 1879, ^’X.XX1X, p, 198 sq., 393 sq. et dans 0£u% : compl. ; J.-H. Newman réfutant ses propres thèses de 1841, L.ectures on certain difficulties felt bv Anglicans, in-8°, Londres, 1850, lect. III, nombreuses édit. ; H. Denziuger, Vier Bûcher on der religiôsen Erkenntniss, 2 vol., Wiirzbourg, 1856-7 ; J* Kleutgen, Théologie der Vorzeit, 2’éd., in-8% Munster, 1878, t. IV, dis ?. IV, c. 2, p. 372 sq. ; H. Avoine, Du sentiment moral et religieux, in-8% Paris, 1886 ; St. Harent, Expérience et foi, dans les Etudes, 1907, t. CXIII, p. 221 scj. ; X. Moisant, Dieu et Vexpérience en métaphysique, in-8°, Paris, 1907 ; L. Roure, En face du fait religieux,

-’2, ^air ?, , 1908 ; J. Lebreton,

L’EncYclique et la théologie moderniste, in-16, Paris, 1908 (édit. angl. et ital.) ; J. Bessmer, Die Religion u. das sog. Unterbe^i’usstsein, dans les Siimmen, 1909, t. LXXVI, p. 60-76 ; spécialement G. Michelet. Dieu et l’agnosticisme contemporain, in-12, Paris, 1909.

H. Pinard.