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EXEMPTION DES REGULIERS

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concile du Vatican, ne saurait être contesté. Le Souverain Pvntife a reçu, de droit divin, juridiction immédiate sur tous les fidèles et toutes les collectivités ecclésiastiques. Il n’est donc pas obligé, pour exercer cette juridiction, de passerpar l’intermédiaire des autorités subordonnées, mais il a le droit d’entrer en contact direct avec leurs inférieurs. Sans doute l’épiscopat est lui aussi de droit divin et le Pape ne peut le supprimer ni formellement ni équivalemment ; mais il lui appartient, dans une large mesure, de déterminer, d’augmenter ou de restreindre son autorité quant aux lieux, aux personnes et aux objets. Il dépend donc de lui de réserver à son for exclusif, même sur les territoires diocésains, certaines catégories de personnes et d’établissements. Il lui est même loisible, comme nous le voyons en certains endroits par l’institution des prélatures exemptes, de créer en plein diocèse de véritables enclaves apostoliques, de vrais territoires séparés. (Cf. Werxz, Jus décrétalium, tome II, tit. 38.)

On serait mal fondé à estimer cet exercice du pouvoir pontifical contraire à l’unité hiérarchique. L’unité légitime n’est pas une uniformité matérielle et absolue, renfermée dans un cadre rigide, mais l’ordre conforme à la divine constitution de l’Eglise. Cette uniformité de dessin n’existe pas dans le gouvernement civil : dans le même lieu et à l’égard des mêmes personnes on voit fonctionner des organismes indépendants lesunsdes autres et reliés par leur jonction au pouvoir central.

Et ce principe de la juridiction immédiate du Pape, qui fonde l’exemption, en justifie par lui-même l’opportunilc. Il est utile que dans une société dogmatique, comme l’Eglise, les principes essentiels de sa constitution soient concrètes dans des institutions vivantes, que les prérogatives du pouvoir pontifical soient manifestées et maintenues en perpétuel exercice dans les faits.

Cette connexion intime de l’exemption avec la plénitude de la juridiction apostolique explique pourquoi elle a compté parmi ses adversaires presque tous les adversaires de la primauté du Pape, en particulier les gallicans. Elle explique aussi pourquoi le Saint-Siège a vu une atteinte à ses droits dans les actes tentés contre l’usage légitime de l’exemption. Cf. Pie IX, Ex epistola 26 octobre 1 865 ; et Léon XIII, dans le Lisre Blanc du Saint-Siège, ch. IL — Voir aussi Pie VI,. 4 » ciore/n /rJe/, prop. 84, art.^, ap. Denzinger-Bann-wart, 1690 (1453).

2° Au point de vue pratique, l’exemption regarde V administration intérieure des communautés et leurs relations au dehors. Examinons ce double aspect.

a) En ce qui concerne la vie domestique, les convenances naturelles demandent qu’on lui laisse une certaine autonomie, et que la famille religieuse s’administre par elle-même. Ces instituts ont leurs constitutions, leurs traditions, leur esprit : ce sont leurs éléments vitaux ; pour être utile, leur gouvernement doit s’y accommoder : du dehors il est difficile de s’en pénétrer, au milieu surtout des objets multiples qui absorbent la sollicitude épiscopale. Sans doute, puisqu’il s’agit d’une institution à quelque égard publique, d’une association qui a reçu du pouvoir ecclésiastique son existence canonique et les règles qui la gouvernent, cette autonomie doit être tempérée par le contrôle et la haute direction de l’autorité. Mais si cette surintendance est réservée totalement aux chefs du diocèse, il est facile de le comprendre, sous une apparence d’unité hiérarchique il sera malaisé d’éviter l’anarchie. La plupart des instituts sont répandus dans plusieurs diocèses ; ceux qui servent le plus puissamment les besoins généraux de l’Eglise, dans de nombreux pays.

« Leur administration intérieure, dit justement un

écrivain, dépendra-t-elle d’un seul évêque, celui de la maison mère, par exemple ? Ce sera remplacer la distinction des juridictions par leur confusion, et, en étendant les pouvoirs d’un évêque hors de ses limites hiérarchiques, sur un terrain soumis à l’autorité d’un autre évêque (son supérieur, peut-être, par la dignité du siège), créer entre les deux prélats une situation tout au moins délicate. Chaque évêque, au contraire, conservera-t-il un empire autonome sur les maisons religieuses de son diocèse ? Mais alors qui pourvoira au gouvernement général de l’institut ? Soumis à des forces indépendantes, et souvent divergentes, il se désagrégera. » Que si, pour résoudre la difficulté, on ne laisse subsister que des institutsdiocésains, leur vie sera comprimée, leur service restreint : dans une société catholique, il y a des exigences d’un caractère général ; il faut, pour y pourvoir, des organes plus larges que les sectionnements locaux. Pour ne citer qu’un exemple, « jamais les congrégations purement diocésainesne pourraient supporter la tâche pénible des missions étrangères : un corps à l’étroit, sans air et sans espace pour se développer, sollicité par des préoccupations régionales, ne saurait avoir assez de vitalité pour entreprendre, soutenir une œuvre aussi lourde, aussi ardue que celle de l’évangélisation contemporaine, avec son nombreux personnel, ses orphelinats, ses écoles, ses léproseries, ses collèges, voire même ses universités et ses observatoires ». Il n’y a qu’une solution, laisser aux instituts leur extension extradiocésaine et assurer l’unité de leur vie par un sage tempérament de dépendance et d’autonomie relatives.

Mais, en dehors même des services à rendre, et à s’en tenir aux seules exigences du bien propre des instituts, l’expérience montre le besoin d’une vie une, circulant à l’intérieur d’organismes assez développés. De là cette tendance progressive à l’unification des maisons d’un même ordre, qui marque l’histoire de la discipline. Les grandes créations religieuses du xiii<^ siècle préfèrent au système des anciens monastères séparés la centralisation administrative par provinces sous un général unique ; et, depuis le concile de Trente jusqu’à nos jours, le législateur, à plusieurs reprises, a ordonné ou secondé l’union de maisons ou de groupements indépendants en des corps plus vastes et plus compacts sous l’autorité de chapitres généraux.

b) C’est dans les relations extérieures des communautés que l’exemption prêtait le plus à la critique. Sous ce rapport, elle créait, au cœur des diocèses, non seulement des corps indépendants quant à leur vie intime, mais des centres d’action autonome qui rayonnaient au dehors sur un territoire et des fidèles soumis à une autorité propre.

Ici encore le droit du Pape était incontestable. Il a juridiction pour députer lui même, dans toute l’Eglise, des ouvriers apostoliques ne relevant que de son autorité. Les fruits abondants de leur ministèi-e ont justifié cette mission pontificale. A certaines heures troublées, au milieu des vicissitudes de la vie de l’Eglise, il fut utile que le vicaire de Jésus-Christ eîit sous la main ces milices en contact immédiat avec lui.

Toutefois, on ne peut en disconvenir, dans le jeu normal des institutions ecclésiastiques cette activité externe des communautés exemptes était de nature à produire des heurts. La question se posait surtout avi sujet des ordres à vœux solennels ; car, pour la plupart, les congrégations à vœux simples dépendent dans leurs ministères de la juridiction épiscopale.

En ce qui touche les premiers, le concile de Trente

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