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EXEGESE

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est plutôt une formule du dogme qu’une preuve rigoureuse. Ce texte, il l’apporte dans le sens qu’on lui donne couramment, celui qui figure dans la Glose ordinaire. Du reste, le plus souvent, il est ad rem, encore que le S. Docteur ne s’attarde pas à le faire voir.

C’est surtout dans la grande controverse entre catholiques et protestants que les tendances confessionnelles ont influencé l’exégèse. Dans les deux camps, on a tiré à soi l’Ecritm-e. De quel côté a-t-on abusé davantage ? A distance, nous pouvons mesurer le déchet subi respectivement par l’exégèse catholique et l’exégèse protestante des siècles derniers. Bien entendu, la comparaison ne doit porter que sur les textes vraiment représentatifs, qui, de part et d’autre, ont été proposés et défendus comme décisifs pour ou contre une position dogmatique. Or, du côté des catholiques, il y a bien peu de textes de cette catégorie qui soient aujourd’hui communément délaissés. Les plus compromis concernent le purgatoire et la nature de la foi. Encore faut-il observer qu’une interprétation ne doit pas être dite « catholique » par le fait seul qu’elle figure dans les Controverses de Bel-LARMiN, mais il faut voir encore si elle a eu pour elle le sentiment des grands exégètes d’alors, par exemple de Jansenius de Gand et de Maldonat. Plus d’une fois, ce dernier fait observer, à propos de telle ou telle explication qui lui plaît davantage, que son seul tort est d’être en faveur auprès des protestants, et, par contre-coup, en suspicion parmi les catholiques.

On n’a que l’embai’ras du choix pour faire voir combien l’exégèse protestante d’aujourd’hui, même quand elle entend rester confessionnelle, s’écarte de celle des grands exégètes réformés de jadis : Luther, Calvin, Mélanchton, etc. Ici, je me contente d’en appeler aux travaux sortis de l’école anglicane. Par leur science et leur méthode, Lightfoot, Sanday, Westcott, Hort, Liddon, Allen, Plummer, Milligan, Swete, Maj’or, Arm. Robinson, etc., sont, de nos jours, les a leaders » incontestés du renouveau des études bibliques à Oxford et à Cambridge. Or, que l’on compare leur exégèse des textes concernant la foi et les œuvres, la justification, le mérite, TEucharislie, l’Eglise : sa visibilité, sa hiérarchie, son magistère, le primat de Pierre ; et l’on constatera qu’elle se rapproche singulièrement de ceUe des catholiques, quand elle ne se confond pas avec elle. Il y aurait tout un livre à écrire à ce sujet. Je me borne à quelques brèves indications. A comparer W. Saxday, A crit. and exeg. comment, on ihe epistle ta tlie Bomans, 1900, p. 28, 31, 34, 91, 12g, 147, 220 avec le commentaire de Calvin sur la même épître. Quand on a lii, sur l’épître de S. Jacques, J. B. Mayor, The epistle of S.James, 1892 et Hort, The epistle ofS. James, 1909, on a une tout autre idée que Luther de « l’épître de paille », comme il l’appelait. Ces récents commentateurs trouvent que, siu" la justification parles œuvres, la doctrine de S.Jacques est compatible avec celle de S. Paul. Or, l’on sait que c’est le sentiment contraire qui avait amené Luther à retrancher l’épître du canon. H. B. Swete, The Apocalypse of S. John, 1906, p. ccix, et MiLLiGAX,.S’. Paul’s epistles ta the Thessal., 1908, p. 169, avancent loyalement que l’exégèse protestante s’est égarée pendant deux siècles en entendant du pape et de la Rome pontificale ce qui est dit dans le N. T. de l’Antéchrist et de la Rome de Néron. Ch. Bigg, Crit. and exeg. comm. on the epistles of S. Peter, 1901, p. 269, est bien près de voir dans la II" Pétri, i, 20 « omnis prophetia Scripturae propria interpretatione non fit i> une condamnation du sens privé en matière d’interprétation scripturaire. A. Plummer, An exeget. comment, on the Gospel according to S. Matthew, 1909, p. 229, entend S. Matth.,

XVI, 18, d’une primauté réellement conférée à S. Pierre. H. J. Holtzmann, Hand-Comment. zum i’. T., IV, p. iio, soutient que le chap. vi de S. Jean n’est intelligible que si on l’entend du rit eucharistique.

b) Une exégèse tendancieuse peut s’alliera la bonne foi. Elle résulte alors d’un sentiment qui est en soi très louable : le dévoîiment à ce que l’on croit être la vérité. C’est un fait qu’il n’est pas de reproche que les historiens s’adressent aussi souvent les uns aux autres. Comment expliquer qu’avec les mêmes documents ils arrivent à des conclusions si différentes, sinon par la diversité même des dispositions d’esprit qu’ils ont apportées à l’étude des textes ? L’exégèse indépendante n’est pas à l’abri, tant s’en faut, de ces surprises du préjugé ; elle est, pour le moins, tout autant systématique que l’exégèse traditionnelle. C’est ce qui explique, pour une bonne part, ses variations, dont A. Scuwbitzer vient d’écrire l’histoire : Von Reimarus zu Wrede, 1906. Il faudrait redire ici ce que nous avons écrit sur l’influence des préjugés et du parti pris dogmatique en matière de critique. Voir Critique biblique, c. 806. Qu’il suffise d’ajouter, aurisque deparaître paradoxal, que le croyant est en meilleure situation que l’incroyant pour faire une exégèse correcte des textes bibliques. Ces textes ont été écrits par des croyants, pour qui la religion n’était pas une pure afl’aire de curiosité et d’étude, pour qui Jésus n’était pas simplement un personnage historique, ni son œuvre un événement comme les autres. Les évangélistes et S. Paul nous ont fait part de choses qu’ils croient vraies et qu’ils ont aimées plus que leur vie : toute leur àine a passé dans leurs écrits. Qui donc est capable de les suivre jusqu’au bout : celui qui pense et aime comme eux, ou bien celui qui regarde du dehors, en spectateur indifl’érent ? Il est à croire qu’un Grec du temps de Périclès, enraciné dans la terre d’Hellade, imbu de culture grecque, ayant foi dans les origines et les destinées de sa race, se trouvait beaucoup mieux préparé à comprendre Homère que le plus fin des hellénistes modernes. Cf. S. Aug., De utilitate credendi, vi, 6. On adit, et il faut le répéter, qu’un incrédule est radicalement incapable d’écrire la Vie de Jésus ; tout au plus composera-t-il une de ces histoires sans souplesse ni chaleur, qui ne laissent entrevoir que le dessin extérieur de son existence.

Prétendre que l’incroyant est en meilleure posture vis-à-vis delà Bible, parce que son incroyance même lui laisse la liberté nécessaire pour juger l’auteur qu’il entreprend d’expliquer, c’est confondre l’exégèse avec la critique. L’exégèse n’a d’autre objet que le sens du texte, son rôle est d’en dégager la pensée de l’auteur ; quant à savoir si cette pensée est vraie ou fausse, c’est l’œuvre ultérieure de la critique. (Voir Critique biblique, col. 806.)

2. Développement du dogme et exégèse historique. a) Le danger le plus sérieux que la formule actuelle du dogme fait courir à l’interprétation des anciens textes est de méconnaître le développement doctrinal qui s’est fait de l’A. T. au Nouveau, et de celui-ci jusqu’à nos jours. Voir Dogme (Développement du). Si l’on n’y prend garde, on ne tient pas compte de la distance qui sépare deux textes l’un de l’autre, on voit dans le premier une plénitude de sens qui n’est en réalité que dans le second ; ici, le dogme est épanoui, tandis que là. il se trouve seulement en germe. La croyance d’un Dieu en trois personnes est spécifiquement chrétienne. C’est donc qu’elle n’est passuftisamment enseignée dans l’A. T., et l’exégète ignorerait le progrès de la révélation, qui interpréterait tout uniment de la seconde et de la troisième personne de la Trinité les passages des Ecritures-