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EXEGESE

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reste, il ne faut pas leur savoir gré de la subdivision très défectueuse des sens bibliques, telle quils l’ont formulée dans le distique célèbre :

Littera gesta docet, quid credas allegoria, Moralis quid agas, quo tendas anagogia.

Cf. Prat, Origène, 1907, p. 178. Le sens littéral, aussi bien que le sens spirituel, peut être dit propliétique, moral, mystique et anagogique, d’après son objet.

De tout temps, aussi bien chez les Juifs que chez les Chrétiens, le commentaire des Eorilures a sup])osé l’existence du double sens littéral et spirituel. Cette persuasion ne s’explique pas suflisamment par le préjugé juif, accepté en partie par les premières générations chrétiennes, savoir qu’il y a dans la Bible tout ce qu’il est utile à l’houime de connaître. Au contraire, cette idée ne paraît avoir été qu’un corollaire de la foi dans la transcendance du Livre inspiré. J.-C. et les Apôtres ont cru au sens spirituel des Ecritures. Pour les croyants, ce fait est à lui seul d’une autorité indiscutable. Aussi bien, la tradition chrétienne est unanime à ce sujet.

S. Justin, P. G., VI. 636, 566, 679, 781. S. Irénée, P. G., VII, io51-io52.S. Hippolyte, P. G., X, 689, 698. Tertullien, P. L., II, ^85-488. Clément d’Alex., P. G., IX, 55, 87. S. Cyprien, P. L., IV, 628. Origène, P. G., XI, 119. S. Hilaire, P. L., IX, 687, 520. S. Ambroise, P. L., XIV, 432. S. Ephrem, Be^^. bibl, 1893, p. 21, 162, 471, 482. S. Chrysostome, P. G., LI, 285, 867 ; LV, 209. S. Basile, P. G., XXIX, 281, 306, 465. S. Grégoire de Nysse. P. G., XLIV, 755-760, 34d, 1829. S. Grégoire de Naz., P. G., XXXVII, 1561, 1095. Théodoret, P. G.. LXXX, 457 ; LXXXII, 490 ; LXXI, 318. S. Jérôme, P. L., XXV, 1282, 1288, 147 ; XXIV, 260, 315 ; XXII, ioo5 ; XXV, 1027. S. Augustin, P. L., XLII, 2 1 8 ; XXXVIII, 876 ; XXXIV, 628 ; XLI, 626, 526.

Pour rincroyant lui-même, ce fait garde une signification considérable ; car on ne saurait le négliger qu’en s’écartant d’une tradition exégctique aussi ancienne que l’étude de la Bible elle-même.

Cette croyance n’introduit nécessairement ni confusion, ni arbitraire dans l’intelligence du texte, puisque, pour affirmer, avec certitude, l’existence d’un sens spirituel, il faut avoir un témoignage à ce sujet dans les monuments de la révélation. (Sur la manière dont les auteurs inspirés eux-mêmes ont connu les sens spirituels, voir Inspiration biblique.) S. Thomas va même jusqu’à enseigner que toute exégèse dogmatique se fonde en définitive sur la lettre ; il est d’avis que les sens spirituels de l’A. T. nous sont toujours enseignés quelque part dans le N. T. au sens littéral. Siim, TheoL, p. I, q. i, a. 10, ad i ; Qiiodl. VII, q. 6, a. 14, ad 4- Ce n’est, en définitive, qu’une application de la règle générale énoncée déjà par S. Irénée et Tertullien : Le texte oliscur doit se comprendre à la lumière de celui qui est clair.

b) A toutes les époques, l’exégèse a eu ses déficits et ses écarts. Ceux qui la représentaient ont payé tribut aux préjugés et au mauvais goût de leur temi)s. Mais, étudiée de près et sans parti pris, son liistoirc force de convenir que, malgré tout, elle s’est appliquée à rester méthodique. Sa loi souveraine a été celle du sens naturel des mots et du contexte. C’est précisément dans la détermination de ce contexte que les écoles et les générations ont différé, d’après leurs tendances philosophiques et littéraires. Les Scribes, qui étaient, avant tout, des juristes, ramènent toutes les Ecritures à l’intelligence de la Loi. Le théosophe Philon, ne voyant dans le récit l)ibli(iuc qu’une sorte de drame [)sychologiqiie, a suixn-donné son exégèse à la scieiuîe de l’àme humaine. Origène y a cherché surtout une révélation à la fois cosmique et historique donnant à connaître l’invisible dans le visible,

le présent dans le passé et l’avenir dans le présent. Les Pères des iv’et v* siècles, les latins principalement, préoccupés qu’ils étaient de formuler le dogme, ont demandé à l’Ecriture l’expression orthodoxe des doctrines qu’ils avaient à préciser et à défendre. Et ici, ils sesontattachésvolontiersàl’analogie de la foi. Cette même préoccupation sera plus sensible encore dans l’exégèse du xvi’siècle. Depuis la fin du xviiie, on lit la Bible à la lumière des découvertes modernes : textes et monuments. L’histoire, la connaissance des langues et la critique des textes, font incontestablement aux exégètes d’aujourd’hui une condition meilleure qu’à leurs devanciers. Tous les Pères, à l’exception de S. Jérôme, ont ignoré l’hébreu ; — S. Justin, Origène, S. Ephrem, Dorothée d’Antioche, S. Epiphane et, peut-être, S. Lucien n’en ont eu qu’une connaissance très imparfaite. Cf. C. J. Elliot, Hebrew learning dans « Dict. of Christian Biography », II, 850. La plupart des Pères latins, y compris S. Augustin, ne lisaient pas couramment le grec. Par malheur, la traduction latine, dont ils se servaient exclusivement jusqu’au v’siècle, était défectueuse. Ils ont racheté ces insuffisances par un sens très ferme de la tradition, et aussi parce qu’ils se sont attachés à la substance même des choses, qui restait identique, en dépit des infidélités accidentelles du traducteur. Que, dans ces conditions, l’exégèse des anciens ait donné néanmoins les résultats que nous connaissons, c’est là une preuve, et non la moindre, qu’elle n’allait pas à l’aventure.

IL Exégèse et dogme. — i. Les abus, a) Nous n’avons pas à justifier les abus. Que l’exégèse traditionnelle se soit parfois laissé conduire par des préoccupations dogmatiques, et qu’à cause de cela elle ait méconnu le sens et la portée du texte ; qu’elle soit devenue çà et là tendancieuse et polémique à l’excès, c’est un fait que l’apologiste doit reconnaître. Du moins, peut-il plaider ici les circonstances atténuantes.

D’abord, j)ourquoi reprocher aux exégètes catholiques ce qui a été le tort de tout le monde ? Dans l’inventaire entrepris par la critique moderne des travaux des anciens, ceux qui représentent l’exégèse traditionnelle ont mieux résisté que les commentaires des hétérodoxes. Que reste-t-il des spéculations des Gnostiques ? Les rêves que les millénaristes mettaient au compte des Prophètes et des Apôtres se sont évanouis. La discontinuité que les Manichéens disaient être entre la Loi et l’Evangile n’a pas été maintenue, même par la plupart des critiques incroyants. Dans la grande querelle arienne, les orthodoxes ont fait preuve d’une modération qu’il est permis de trouver excessive, par exemple quand il s’agit du texte fameux tant exploité par leurs adversaires : « Le Père est plus grand que moi ii, Jean, xiv, 28. Cf. Recherches de Science religieuse, 1910, p. 587.

C’est au cours de la controverse pélagienne que l’exégèse des Latins s’est peut-être trouvée le plus en défaut. S. Augustin, tout le premier, en a eu conscience ; il ne pouvait pas ne pas s’apercevoir des incertitudes de son argumentation par l’Ecriture ; mais il proteste que, dans celle question, il entend relever île quelques idées chrétiennes fondamentales, aussi nettement affirmées dans l’Ecriture que dans la tradition, et dont la certitude domine toutes les difficultés qu’on lui crée avec certains textes. La même observation s’applique aux théologiens scolasliques. qui se servent parfois de l’Ecriture non ])as tant pour construire que pour meubler. Il suffit d’avoir feuilleté la Somme de S. Thomas pour constater que I le texte dont il accompagne chacun de ses articles