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EXEGESE

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le commentaire des Scribes, l’arbitraire, l’intempérant, le subtil et l’absurde voisinaient pèle-mèle avec des interprétations plus sobres, mieux établies, qui devaient rester. Du reste, il ne faut pas perdre de vue que les Docteurs de la Loi ne sont pas dupes de leurs procédés exégétlques. Comme ils reconnaissent à leur tradition une valeur indépendante des textes, la j.reuve scripturaire n’est le plus souvent, à leurs yeux, qu’un conlirmatur, un ornement, bref un hommage rendu au Livre. Ce qu’ils tiennent pour indiscutable, c’est qu’il y a dans l’Ecriture « lettre et esprit)>. La formule n’est pas encore trouvée, mais la chose existe déjà, et elle remonte aussi haut que lexégèse biblique.

Weber, Jildische Theolo’^ie aitf Grand des Talmud, iSq^’^, p. 86, 109-125. E. SciiiiRER, Gescliichle des jiid. Volkes, 18983, II, p. 330 ; III, 548. L. AVogue, Ilisi. de la Bihle et de l’exégèse biLl. jusqu’à nos jours, 1881. W. Bâcher, 7)ie âltesie Terminologie der judiscli. Scliriftausleoung, 1899. L. Dobschiitz, Die ein fâche Bibelexegese der Tannaiten, 1893. H. S. Hirschfeld, Halachische Exégèse, 1840 ; Die Ilagadische Exégèse, 1847. W. Bâcher and Me Curdy. Bible Exegesis dans’J’Iie jeirisli Encrclopedia, igo3, III.

b) L’exégèse des Juifs vivant dispersés au milieu des Gentils ne différait pas essentiellement de celle pratiquée en Palestine. Son trait caractéristique a été (i l’allégorie ». C’est à Alexandrie, grâce surtout à Philon, que ce système d’herméneutique fut florissant. Le principe fondamental de l’interprétation allégorique appliquée à la Bil)le est d’ordre rationnel, savoir que le texte sacré ne saurait être pris au pied de la lettre, aussi souvent quentendu de la sorte il énoncerait quelque chose indigne de Dieu, contraire à la saine raison et à la morale, ou encore mettrait un passage de l’Ecriture en contradiction avec un autre. Dans tous ces cas, disaient les allégoristes, il faut supposer que Dieu a voulu donner à entendre autre chose que ce que la lettre paraît signifier de prime abord. C’était voir dans le texte biblique une allégorie, au sens littéraire du terme, ay/î-àvîcîvoj dire une chose pour en faire comprendre une autre.

Philon assimile l’Ecriture au composé humain, elle a corps et àme. De niigr. Abrah., 93 ; De conf. ling., 190. Quand rien ne s’j- oppose, il retient le sens corporel ou grammatical de la lettre (rj pr-d-j), — aujourd’hui, nous dirions que son commentaire est, dans ce cas, littéral, ou plutôt réaliste ; — ce qui ne l’empêche pas, même alors, d’éditier sur ce premier sens, qu’il estime infime, Ijon tout au plus pour un lecteur vulgaire, des considérations morales et mystiques. Quand il ne retient que l’àme ou mieux l’esprit de l’Ecriture, c’est-à-dire son sens allégorifjue. c’est le plus souvent dans les passages où les modernes ne voient qu’un sens littéral figuré, par exemple celui qui se dégage des anthropomorphismes. Il allégorise encore certaines lois dont il estime l’observation à la lettre impossible, ou même des événements qui lui paraissent incompatibles avec le caractère du texte sacré ; mais il est si loin de n’avoir reconnu aucune réalité à l’histoire biblique qu’il proteste expressément contre ceux qui allégorisent tout. De niigr. Abrah., 16. Du reste, il faut conenir que Philon s’exprime trop souvent d’une fa^oii confuse et fuyante. Il n’est pas rare que nous soyons end)arrassés pour dire si, oui ou non, son commentaire allégorique se substitue ou s’ajoute au commentaire littéral. C’est ni)tamment le cas de l’histoire des patriarches. Philon n’a codilié nulle part les règles du commentaire allégorique, mais il sait qu’il y en a ; à l’occasion il justiiie tantôt l’une et tantôt l’autre. Sieoi-rie », Philo von Alex, als Ausleger des A. T., p. 165.

Faut-il se représenter le thcosophe alexandrin

comme créant de toutes pièces l’allégorisme biblique ? Lui-même a protesté contre cette appréciation sommaire de son anivre. Il a conscience de ne rien innover, mais seulement de développer. Il connaît, autour de lui, trois sortes d’exégètes : des « littéralistes », dont il parle avec assez de dédain, même il les traite de sophistes ; des « rationalistes », apostats de la religion de leurs pères, qui n’ont droit qu’à son indignation ; enlin des « allégoristes » qui savent le secret d’accorder la Bible avec la culture hellénique. En plus de Aingt passages, il parle des devanciers qui lui ont ouvert la voie dans cette direction. Zeller, Die Philosophie der Griechen, 1903, III, 2, p. 285 ; E. Bré-HiER, Les idées phil. etrelig. de Philon d’Alexandrie, 1908, p. 55.

Avant Philon, il existe déjà à Alexandrie une exégèse allégorique traditionnelle. Comment en expliquer les origines ? C’est une question encore ouverte. A rencontre des conclusions de Frankel, de Siegfried, de ScHi’.RER, etc., il y a tendance aujourd’hui à rendre compte de tout par les influences helléniques. D’après M. Brkhier, op. cit., p. 45-61, le commentaire allégorique de la Bible serait un produit naturel de la culture judéo-alexandrine. Ce n’est pas en Palestine, mais en Egypte, aux portes d’Alexandrie, parmi les Thérapeutes, qu’il faudrait chercher les premiers précurseurs de Philon. M. Bréhier n’ignore pas que Philon, Quod omn. prob. lib., 12, dit expressément que les Esséniens, qui habitaient sur les bords de la mer Morte dès avant le règne d’Aristobule I" (io5 av. J.-C), allégorisent déjà à la façon des anciens, àoyctorporru :. Mais l’auteur ne reçoit pas le témoignage de Philon à ce sujet, il préfère s’en tenir à ce que celui-ci a écrit dans le traité De vita contemplativa, (Conybeare, p. G4), encore que l’authenticité et la portée réelle de cet écrit soient chaudement contestées.

Malgré tout, rien ne s’oppose à ce que nous maintenions un point d’attache entre le commentaire alexandrin et le commentaire palestinien. Il est vrai que les derniers livres du Canon hébraïque, quand ils utilisent les textes plus anciens, le font d’après une exégèse littérale ; bien plus, dans les écrits d’origine grecque, comme la Sagesse, ou encore dans l’Ecclésiastique, traduit en grec de bonne heure, on ne recourt pas à l’interprétation allégorique, de la façon dont on la pratiquait à Alexandrie. Mais on } rencontre çà et là des traits qui rappellent nettement le midras palestinien. Tout en retenant la réalité de l’histoire biblique, l’Ecclésiastique, xliv-l, et la Sagesse, x-xix, s’attachent à sa valeur didacticjuc. Là où le texte ancien s’était borné à rappeler le fait, l’auteur de la Sagesse met en relief le caractère « monumental » du lait, en s’aidant, à l’occasion, de la tradition populaire. Cf. x, 7 (Gen., XIX, 26) ; xvi, 5-7 (IVomb., xxi, 9). Ailleurs, xA’i, 20-21, il idéalise le fait à cause de la réalitéspirituelle qu’il figurait par avance (cf. Exod., xvi, 31 ; Aomb.. XI, 5-8 ; xxi, 5). Un autre exemple intéressant de sa manière est la façon dont il traite, au chap. xvii, la plaie des ténèbres survenues en Egypte ; non seulement à cause des dévelopi)einents qu’il donne à deux Aerscts de l’Exode, x. 22-23, mais encore parce qu’il j » asse des ténèbres extérieures aux ténèbres intérieures qui devaient remplir d’elfroi les Egyptiens. Dans le même lire, les Egyptiens ne sont j)lus simjilement les habitants de la vallée du Nil, mais les impies en général, et, par contre, les Israélites deviennent les justes. Ce caractère typique s’accuse encore dans l’absence de noms j^ropres. Adam s’ai>i)ell<’l’Homme, le .Juste se dit indill’éremmentdeJoseph.de Lolh et d’Abraham ; le Serviteur de Dieu, c’est Moïse ; le Pèlerin(fugitiO, c’est Jacob. Pas un j)alriarche n’est aj)pelé de son nom. Israël lui-même n’est nommé qu’une fois, xi, 5 ; partout ailleurs il est appelé « mon peuple >. IL Bois,