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EVOLUTION (DOCTRINE MORALE DE L’)

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une plus grande somme de misère que l’égoïsme extrême. .. « (Cf. Introduction ci la science sociale, p. 368 et suiv. du cliap. xiv, qui traite de la préparation à la science sociale par la biologie.)

Le même auteur, écrivant, dans L’individu contre l’Etat, le chapitre intitulé : Les péchés des législateurs, met au nombre de ces pécher Tassistance sociale accordée aux faibles, et il s’élève contre les gouvernements paternels qui introduisent la morale de la famille dans l’Etat. (Il n’est pas dans les habitudes de H. Spencer de condenser sa pensée en des formules brèves. Les lecteurs curieux, qui ne pourraient lire les textes dans les ouvrages mêmes, trouveront de longues et très topiques citations dans l’opuscule de G. Fonskgrive : Solidarité, Pitié, Charité. Science et religion, Bloud, igo/J.)

Ces conclusions sont dures, mais elles sont exigées par la logique de l’évolulionnisme ; et, tous les évolutionnistes, qu’ils soient crîiment mécanistes, ou qu’à l’exemple de Renan et de Nietzsche, ils se teintent d’un idéalisme nébuleux, les admettent et la plupart osent les énoncer.

Il est de la nature des graines, quand elles ont été mises en terre, de germer ; et de même les idées, introduites dans les esprits, tendent à leur réalisation. C’est ce qui arrive pour ces doctrines. Des législateurs et des médecins les défendent ; en jgo’i, en Saxe, « un projet de loi fut présenté qui avait pour objet d’autoriser les médecins à donner aux malades incurables qui le demanderaient une mort rapide et sans souffrance. » (E. Fraxox, Les fondements du dci’oir, p. I74-) Le docteur J. Regxailt, comliattant dans La Revue du 15 juin igoô le livre du docteur Guermonprez : L’assassinat médical et le respect de lu vie humaine, a écrit : « Il n’est peut-être pas très éloigne, le jour où l’euthanasie, qui est qualiliée d’assassinat par Guermonprez et qui, d’après les lois modernes, est, en effet, un crime, sera considérée, dans certaines conditions, comme un acte de solidarité et de suprême charité. » Un romancier, célè])re maintenant dans l’Europe entière, Robert Hugh Bkxsox a pu, sans invraisemblance, montrer ces doctrines, appliquées dans la future humanité positiviste. (Cf. Le Maître <^/ « 7H0/ ; c ?e.) Suivant les désirs d’E. Hæckel et du docteur Regnault, la légalité consacrera l’usage en le réglementant : « Xaturellement cet acte de compassion ne devrait pas être soumis à la volonté exclusive d’un seul médecin, mais devrait être décidé par une commission de médecins compétents et consciencieux. » (Les merveilles de la vie, p. io5-ioG.)

Enfin, j’indique une troisième conséquence, qui égale, en l>eauté, les précédentes.

Le monde progresse et se perfectionne par la « concurrence vitale ». Aucun évolutionniste, depuis Darwin, ne néglige le mot ni la chose. Tous les êtres luttent i)our vivre ; les herbes se disputent le terrain, les arbres l’air et la lumière ; les poules picorent les grains, les renards et les honmies mangent les poules. Pour arriver au maximum de vie, les forts meurtrissent les faibles. Le monde est un vaste champ de l)ataille ; des hécatombes y gisent dont s’engraissent les vainqueurs. C’est une loi belle et bonne ; car, les meilleurs triomphent et portent plus haut la perfection de la vie.

L’Humanité n’est pasun mondeà part, « un empire dans un enij)ire », elle est une espèce à travers les autres espèces, et ne grandit que par la même loi : le bien-être de l’Iiumanité existante et le progrès vers la perfection finale sont assurés l’un et l’autre par cette discipline bienfaisante et sévère, à laquelle toute la nature animée est assujettie : discipline impitoyable, loi inexorable, qui mènent au bonheur,

mais qui ne fléchissent jamais pour éviter d’infliger* des souffrances partielles et temporaires. La pauvreté des incapables, la détresse des impriulcnts, le dénùment des paresseux, cet écrasement des faibles par les forts, qui laisse un si grand nombre dans

« les bas-fonds de la misère » sont les décrets d’une

bienveillance immense et prévoyante. (H. Spenceu, L’individu contre l Etat, chap. m.)

L’important, « l’unique nécessaire », c’est d’être fort, et celui qui pousse plus loin que tous les autres la puissance et la domination, tel un Napoléon, tel un Bismarck, tels les « rois « industriels de lvmérique, Pierpont Morgan ou Rockfeller, est le meilleur ouvrier du progrès, il est un bienfaiteur qui fait avancer le plan universel, et travaille efficacement au « surhomme ». C’est le héros, c’est le saint selon la morale évolutionniste.

Nous retournons aux Aieilles formules de Hobbes et de Spinoza. La force est identifiée au droit ; l’esclavage est légitime (cf. F. Brunetière, Sur les chemins de la croyance, Y*- 269) ; les plus dures inégalités sont glorifiées. Le pouvoir n’est plus un service, une charge, un dévouement, mais une exploitation. Les chefs, maîtres, patrons ou rois ne sont pas des chênes vénéral)Ies et bienfaisants qui épandcnt autour d’eux l’ombre protectrice, ils s’engraissent de leurs inférieurs comme d’un fumier ; et, la multitude doit être assez récompensée de ses sacrifices parleur splendide vigueur : « Humanum paucisvivit genus. » Quelques-unes des plus Ijelles parmi les vertus chré tiennes, l’humilité, la patience, la douceur, la bonté sont mauvaises, et il faut effacer de nos cœurs le Sermon sur la Montagne.

Conclusion. — Il ne serait que trop facile de relever d’autres griefs à la charge de l’Evolutionnisme en morale, par exemple, l’insuffisance des sanctions et l’omission complète de tout ce qui a trait à l’obligation morale. C’est assez d’avoir montré que l’Evolutionnisme, entendu à la façon de Spencer ou d’Hæckel, n’engendre pas une morale, mais l’amoralisme i)ur ; quand il s’orne, comme dans le Cours de morale de Jules Payot, de beaux mots et de nobles préceptes, c’est par illogisme, grâce à la protestation instinctive du cœur et surtout à l’influence chrétienne encore persistante.

Toutefois on doit lui accorder pour éloge qu’aûn de se prouver lui-même il a exploré toute l’histoire et noté, avec un soin méticuleux, les particularités et les variations des mœurs, selon les temps et les pays ; jamais il ne remplacera la morale éternelle, mais il aura aidé au progrès de l’histoire des mœurs et de cette « plaisante justice » qui excitait la verve de Pascal. Cela est un gain.

Quant à conclure une alliance entre la morale évolutionniste et la morale catholique, sous prétexte que, partant l’une de l’animalité primitive et l’autre du péché originel, elles nous invitent toutes les deux à la lutte contre nous-mêmes et à la mortification pour le progrès, ce fut le dessein momentané de Brunetière (Questions actuelles, p. qq-iôS), mais l’opposition des doctrines est trop profonde, la similitude trop partielle et trop superficielle et ce dessein est aussi chimériqpie que périlleux.

Fo/r/ quelques indications bibliographiques. — f’n astérisque signale les volumes à l’Index ou qui exigent les plus fortes réserves.

H. Spencer, * Les bases de la morale évolutionniste. " L’individu contre l’Etat. — Ch. Darwin, * La Descendance de l homme. — E. Hæckel, * L.es Merveilles delà Vie. "Les Enigmes de l’Univers. —