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ÉVOLUTION (DOCTRINE MORALE DE L’)

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pas que je Testime, suivant le paradoxal Scliopenhauer, le fond même des choses et l’unique résultat que puisse atteindre le « vouloir-vivre >< — mais avec Joseph de Maistre et tous les chrétiens, je la pense inhérente à notre monde actuel, conséquence, châtiment et chez les meilleurs, réparation du péché. L’événement central de l’iiistoire est une cruciflxion.

Sinous abaissons nos regards des hauteurs théoloiriques à l’examen de la réalité expérimentale, la condition de notre nature est d’être phj’siquement sensible et fragile, et d’être moralement génitrice de désirs indétinis ; l’irréalisatiou inévitable d’un grand nombre d’entre eux entraînera, plus tard comme depuis toujours, la peine intérieure.

Quant au règne du dévouement jiarfait, il suppose que « la camisole de force » de l’Etat a pu contrebalancer les appétits primitifs, les diminuer, les exténuer, et à la lin les détruire. La sève, égoïste aux racines de l’arbre, fleurit en altruisme au sommet. N’est-il pas diflicile de croire à une si radicale transformation d’un être par une force extérieure ? C’est, à la lettre, une dénaturation qui, commencée dès les temps préhistoriques, se poursuivrait sous nosyeux : est-il possible de dénaturer sans détruire ? Le fond même des êtres est-il matière neutre, mobile, indéfiniment plastique ? J’entends bien les évolutionnistes laflirmer — mais les paléontologues nous montrent une multitude d’espèces disparues parce que, rel>elles aux modlGcations essentielles, elles n’ont pu s’adapter à des conditions trop nouvelles ; et, rappelons-le à ces positivistes fanatiques de la seule expérience, tout ce que nous connaissons de faits avérés sur la nature humaine, nous la révèle beaucoup moins flexible, malgré des changements de surface, que fixe et invariable.

Ne sojons pas, cependant, des contradicteurs intraitables. — Soit ! dirons-nous aux évolutionnistes, et que votre avenir se réalise ! II y a tout de même une petite difficulté : nous sommes les hommes d’à présent ; nous ne serons plus sur nos pieds dans mille ans ni même dans cent ans. C’est aujourd’hui que nous incombe la charge de vivre. Le temps que vous prophétisez est loin ; en l’attendant, de quoi vivrons-nous ?


D) Conséquences de la morale évolutionnists.

— Indiquons, pour achever cette discussion, quelques conséquences logiques de l’Evolutionnisme.

Le but de la vie, et tout ce qui lui donne de la xaleur, c’est le plaisir sous ses mille formes : sensuelles, esthétiqvies, intellectuelles. Le plaisir est notre raison d’être ; qu’il vienne à manquer irréparal)lement, par une maladie incurable, une ruine définitive, une déception profonde, ou quelque autre de ces tragiques accidents phj’siques ou psychologiques auxquels tout homme est exposé, il n’y a qu’un parti à prendre : « s’en aller », « s’évader », « en finir », « se délivrer ». On a beaucoup de mots adoucis pour désigner cette lâcheté horrible ; mais tous ont le même sens : c’est le suicide ; voilà une première conséquence logicjue, et d’ailleurs avouée par nos adversaires.

« La vraie cause de l’existence personnelle

n’est pas un cadeau de Dieu… Si donc le malheureux. .. ne rencontre pas dans le cours de son existence le bonheur auquel il pouvait aspirer ; si celle-ci, au contraire, ne lui apporte que misère, maladie et soufi"rance, il est absolument incontestable et hors de doute qu’il a le droit d’y mettre fin par la mort volontaire, par le suicide… La mort volontaire, qui met fin aux soufl’rances, est un acte de libération. » (Cf. E. Hæckel, Les merveilles de la vie, p. loo-ioi.) Notre fécond Le Dantkc, qui ne perd jamais une

occasion d’aflirmer son évolutionnisme mécaniste, est du même avis que E. Hæckel. (Cf. par exemple L’Athéisme, p. loo.)

Le même Hæckel va nous étaler, dans toute la hideuse logique du système, une seconde conclusion énorme.

Le monde progresse sans cesse ; il est un « élan vital » ; et le précepte essentiel de la morale est : oliéis à la loi du progrès. Entendu 1 mais le monde est chargé de déchets qui alourdissent sa course : ce sont les infirmes, les idiots, les incurables, l’innombrable et lamentable légion des inutiles, des éclopés, des dégénérés, des malchanceux. Ils embarrassent l’espèce humaine, ternissent sa beauté, gaspillent des ressources, font souche de malingres, et entretiennent dans l’humanité le foyer contagieux du mal. Ils sont le lest qui empêche le ballon de bondir aux nues. Pour entrer dans les desseins éternels du monde, que faut-il en faire ? Les sacrifier. Quiconque les élève, les soigne et prolonge leur vie, contredit le précepte primordial ; sans exagération aucune, il est immoral ; les hôpitaux sont des institutions regrettai )les, les sœurs infirmières, fomme les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul et tant d’autres, se A-ouenl à une œuvre absurde et msuvaise. La vraie moraij se pratiquait sur le rocher des Apothètef, et l’on nous représente comme xin idéal la sélection Spartiate. (Cf. Maurice Barri" lui-même. Voyage de Sparte, ). 281.

« Dans leur ensemble, ces grandes vues rationnelles

m’enchantent. Voici l’un des points du globe où l’on essaya de construire une humanité supérieure… ») (f Des centaines de milliersdemaladesinguérissables, des aliénés, des lépreux, des cancéreux sont conservés artificiellement en Aie, leurs soufl’rances sont prolongées sans aucune utilité pour eux ni pour la bociété… Quelle somme efl’royable de douleurs… pour les malades eux-mêmes, que de chagrins et de soucis pour leur famille, que de pe ; es pour les particuliers et de dépenses pour l’Etat ! Combien ces soufl’rances et ces dépenses pourraient être diminuées si on se décidait enfin à délivrer du fardeau de la vie les ir ! guérissal)les ! Les anciens Spartiates devaient leur force physique et leur énergie intellectuelle à l’ancienne coutume de tuer le ? enfants faibles et contrefaits. Celle-ci existe encore aujourd’hui chez beaucoup de jirimitifs et de barbares. Lorsqu’cn 1868 (dans le chap. vu de mon LListoire de la Création), je mis en évidence les avantages de cette sélection spartiale pour l’amélioration de la race, il s’éleva dans les feuilles pieuses une véritable tempête d’indignation, ce qui a Leu du reste chaque fois que la raison s’oppose aux préjugés régnants et aux croj’ances traditionnelles. Je le demande cependant : quel avantage l’humanité a-t-elle à conserver à la vie et à élever des milliers d’infirmes, de sourdsnuiets, de crétins ? Quelle utilité ces misérables tirent-ils eux-mêmes de lerr existence ? N’esl-il pas plus rationnel de trancher dès le dél>ut le mal qui les atteint, eux et’eurs familles ? » (E. Hæckel, Les meri-eilles de lavie, p. io5-io6.)

H. Spencer, quoique moins féroce et plus insinuant, dit la même chose : ’< Nourrir les incapables aux dépens des capables, c’est une grande cruauté. C’est une réserve de misère, amassée à dessein pour les générations futures. On ne peut faire un plus triste cadeau à la postérité que de l’encombrer d’un nombre toujours croissant d’imbéciles, de paresseux et de criminels. Aider les méchants à se multiplier, c’est au fond préparer malicieusement à nos descendants une foule d’ennemis. On a le droit de se demander si la sotte philanthropie qui ne pense qu’à adoucir les maux du moment et persiste à ne pas voir les maux indirects, ne produit pas au total