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ÉVOLUTION (DOCTRINE MORALE DE L’)

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elle réelle ? oui, senible-t-il, en dépit, toutefois, d’une foule de cas déconcertants ; car que d’enfants débiles issus deparents vio : oureux, que de parents et d’enfants, que de frères qui n’ont pas l’air de famille ! et quant aux qualités artificiellement acquisespar les parents, par exemple l’art de jouer du piano ou du iolon, l’art de nager ou d’écrire, elles ne se transmettent pas ; cliacun doit, pour son propre compte, recommencer l’apprentissage.

Selon les scolastiques, le psychique, quoique d’une qualité à part et originale, est très lié aux organes, et, telle une vanne d’écluse qui, baissée ou levée jusqu’à des liauleurs diverses, arrête ou permet et mesure l’écoulement des eaux, l’état des organes entrave ou facilite et diversifie la pensée. Dans la proportion très imprécise et très difficile à déterminer où riiérédité régit les organismes, elle influe par contre-coup sur l’esprit.

J’estime cette tliéorie très juste, mais, sans nous enfoncer davantage dans la métaphj’sique, tenonsnous-en aux faits constatés. Cliaque nature apporte avcc soi deux choses : des capacités de sentir et de comprendre, variables selon les individus, mais ayant ceci de commun chez tous : c’est qu’elles sont d’abord vides. (Les spécialistes reconnaîtront là du premier coup d’oeil, une thèse de l’Ecole. CÂ. Mgr Mercier : Psychologie, p. 33 1 et sqq. 5’édition.) C’est l’ambiance multiforme qui peu à peu les remplit. L’innéité hcréditariste n’est pas plus acceptable, pour celui qui s’en tient à l’expérience, que l’innéité leibnizienne ou kantiste. — En plus des capacités vides, chaque nature apporte certaines inclinations parfois très marquées, et qui, si elles sont un peu fortes, ne tardent guère à se dessiner et à orienter la vie ; un tel est né pour être soldat et tel autre pour écrire, celui-ci est voué par sa complexion même à la musique et celui-là à l’éloquence, mais ni les capacités ni les inclinations ne sont nécessairement celles de la lignée. Cela est diversifié, inclassable, chaque cas est original, unique. imprévisil>le. Peut-être l’hérédité est-elle la loi, mais les exceptions sont les plus nombreuses, et c’est une loi cachée sous de tels entrecroisements de lois opposées, comme une source sous des pierrailles et des herbages, qu’il est impossible de la dégager et de préciser ce qu’elle donne ; et puisque, dans la réalité des faits, chaque cas apporte du nouveau et du divers et que l’hérédité n’est pas une cause fixe, régulière, uniforme, mais, dirais-je, capricieuse et bondissante hors de toute règle, a-t-elle pu consolider, enraciner et immobiliser uniformément, chez tous, les notions morales ?

Ces capacitéset ces inclinations ne sont pas davantage fixées une fois i)our toutes, rigides et fatales. L’éducation les modifie, les atténuant, les agrandissant, les précisant ou les diversifiant. Chaque année, comme le dit Le Play (cf. en particulier : La Réforme sociale, tome I", c. 28), la société subit une nouvelle invasion de « i)etits barbares » : ce sont les nouveaunés, ceux qui avaient insi)iré à l’antiquité cette délinition du méchant : « Malus, puer robustus. » En dépit des airirmalions évolulionnistes, nous ne faisons pas le bien du premier coup et infailliblement, comme l’oiseau son nid et le castor sa cabane. Il faut, pour nous y aider, des enseignements, de bons exemples, assez souvent quelqties taloches ; et ce n’est que lentement, par notre réflexion, les efforts de notre volonté, les secours religieux, et mille aides extérieures, que se constitue notre personnalité morale. Que chacun de ceux qui me lisent ouvre les yeux et se considère lui-même : f|ue serait-il sans telle ou telle influence d’une mère, d’un père, d’un jirèlre, de tels camarades, de tels livres ? Meilleur ou pire, assurément il serait autre et plus pauvre. Et. plus radica lement encore, que serait-il sans cette atmosphère civilisée où, semblable aux plantes qui par leurs feuilles se nourrissent inconsciemment de la lumière et de l’air de leur milieu, il a puisé, sans presque s’en apercevoir, une foule d’idées et de sentiments ? Selon la remarque d’Aristote, nous ne naissons pas

« tout faits et achevés », mais capables, avec le

secours d’autrui, de nous faire et de nous achever.

La loi d’hérédité psychologique ne nous paraît pas juste ; supposons-la vraie, de nouvelles dilîicultés se lèvent.

Tout à coup, à partir d’une date et d’un lieu déterminé, de nouveaux genres de vie apparaissent, par exemple, le Christianisme. Sous l’impulsion d’un homme, profondément difîérent de tous ceux qui avaient paru jusqu’alors, des milliers d’autres hommes, issus des races et des contrées les plus disparates, se plient à une discipline nouvelle et unifoi-me. Comment cette soudaineté et cette uniformité peuvent-elles s’accorder avec l’hérédité psychologique qui, dans le cas, aurait tendu à une permanence des divers états précédents ? La théorie héréditariste dit : le passé se continue, et la réalité répond : le passé se rompt, une nouveauté radicale s’inaugure, il n’y a pas suite, mais brisure et recommencement. Je cite le Christianisme, car il est de toutes les révolutions morales la i)lus étonnante, mais il n’est pas la seule, il y a eu le Bouddhisme, il y a eu le Mahométisme, il y a eu le Mormonisme, etc. (cf. H. Taine, Nouveaux essais de critique et d histoire, p. 182). Voilà des faits réels, que les évolulionnistes les expliquent !

Les phénomènes inverses se produisent, l’œuvre faite se défait. Ces décadences morales ne se peuventnier. Hélas ! sous nos yeux la France, par dépérissenient des vertus qui l’ont construite, est menacée de mourir, et, sans introduire en histoire à la place du fatalisme du progrès une autre espèce de fatalisme, j’ai le droit de constater que le déclin qui semble commencer chez nous s’est accompli dans toutes les nations de l’antiquité. Le climat restait le même, mêmes demeuraient les conditions, mais les cœurs changeaient, la discipline morale qui tenait droite et ferme la vie des citoyens volait en éclats, et, à Jérusalem, à Athènes, à Rome, à Byzance, c’était l’alTaiblissement, le marasme et la mort. Xe semblet-il pas que là encore l’hérédité est en défaut ? — surtout l’hérédité fatale, inévitable et infiexible des Spencer ? Comment les pères ont-ils engendré des fils aussi dissemblables, et comment les inutilesbavards de l’agora, au temps de saint Paul(.lc<. des Ap.. xvii, 21) peuvent-ils descendre des rudes vainqueurs de Xerxès ?

C) Examen de la morale évolutionniste. — La morale, dans ce système, est un luxe inutile. La nature, qui nous a acheminés sans nous au point où nous en sommes, suit son cours fatalement ; nous ne sommes que des pièces minimes inflexiblement engrenées dans le mouvement d’ensemble. Ce que je pense, je ne peux pas ne pas le penser, et de même je ne peux vouloir que ce que je veux, faire que ce que je fais ; tout système déterministe est la condamnation à mort de la morale ; et, celui des évolutionnistes plus encore que les autres, carie progrès est immanquable ; serais-je maitre de mes actes, je me désintéresserais du train de l’univers. Que la nature fasse seule ses afTaires, jiuisqu’ellc les fait si bien ! On ne porte pas de l’eau à la rivière ni du l)ois à la forêt, liien i)lus, mes interventions, nuiléclairées et fautives, ris(iueraient de contrarier les plans de la nature et de retarder sa marche. Dormons donc tranquilles et, si c’est possible, vivons heureux et sans souci !

L’on n’a que faire des préceptes et des conseils ;