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ÉVOLUTION (DOCTRINE MORALE DE L')

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elles naturalistes l’ont souvent étudié, les moralistes beaucoup moins ; pourtant il vise au gouvernement de la conduite autant qu'à l’explication des choses. Cet article comprendra un exposé et une appréciation.

I. — Exposé

A) L’Univers selon les Evolutionnistes. — L’Univers est constitué par une Force immense et formidable ; à l’origine il était dans un état chaotique, sans ordre, ni vie, ni beauté, ne méritant les noms ni de Cosmos, ni de monde, ni d’univers, qui tous impliquent l’idée d’ornement et de coordination. Mais lentement il s’organise et se perfectionne. En quoi consiste ce progrès ? Dans une plus grande complication. Ainsi un chêne est plus parfait qu’un brin de trèlîe, un vertébré est supérieur à une huitre, et un cerveau humain, d’une si Une et si riche structure, vaut mieux qu’un cerveau de cheval ou de singe. Les êtres ne s'élèvent pas les uns au-dessus des autres par l’adjonction d'éléments nouveaux et d’une autre nature que les précédents, comme le principe vital dans les plantes, l'àme sensitive dans les animaux, et l'àme spirituelle dans les hommes. Non, progresser c’est simplement passer du simple au complexe, du moins organisé au plus organisé, c’est multiplier les éléments et accroître leur intrication : ce qui donne naissance à des êtres nouveaux et meilleurs. (Cf. Herbert Spencer, Les premiers principes, trad. E. Gazelles, principalement les chapitres xiv, XV et XVI.)

L’Ecole dirait que tout s’accomplit dans l’ordre de la quantité, et quand il arrive à Spencer ou à Hæckel de parler qualité, opposant homogène à hétérogène, distinguant des êtres variés et divers, sous peine de contresens on doit entendre que ces qualités ne viennent pas des natures diverses des éléments, mais de leurs arrangements particuliers.

D’abord la nébuleuse, principe fécond de tous les êtres, se débrouille et forme des globes à la fois distincts et, malgré leurs rapides mouvements, se retenant les uns les autres dans un équilibre harmonieux.

Ces globes, en particulier notre terre, se tassent, les parties molles se stratilient, les mers se séparent des continents sur lesquels ne coulent plus que les rivières et les tleu^ es comme des artères bienfaisantes.

A un certain moment de l’organisation de notre planète, après des milliers et des milliers d’essais infructueux, des combinaisons chimiques plus complexes Unissent par réussir (cf. sur cette « génération spontanée ; > déconcertante, entre autres passai ; es, les p. 2y-30 du Monisme d’E. Hæckel, traduction de G. Vacher de Lapougc), et oilà les premiers vivants, Mouèrcs d’IIæckel, Balhybius d’Huxley, ou protistes quclcon([ues dont les journaux annoncent de temps à autre, à grand fracas, qu’ils viennent enlin d'être refaits dans les laboratoires des chimistes. (Cf. Revue pratique d’Apolog., iQOÔ-igcô, tome I, p. 468et s(H(.siu' les radiobesde M. Burke — et même revue, njoG-iyo^, tome III, p. ! -- et sqq. sur les expériences de M. Sté])hane Leduc.)

Les vivants, très rudiuicnlaires, se multiplient, se diversilient, luttent les uns contre les autres, les plus forts triom[)lient, et insensiblement se perfectionnent. « ÏN’aluranon facit saltus », disaient les anciens, et dans un sens nouveau, beaucoup de modernes disent : « L'élan vital », parti de si bas, monte par degrés jusqu’aux vertébrés et jusqu'à l’homme et continuera indéliniment son ascension.

Les premiers hommes, issus des animaux supérieurs, furent très longtemps semblables aux bêtes par la figure et le sentiment. Egoïstes, « lubriques et

féroces », selon les expressions de Taine, n’ayant quasi aucune connaissance dans leurs cerveaux épais, ils vivaient misérablement et dans des luttes continuelles. Les sauvages, Fuégiens, Iroquois, ou Bantous seraient quelques tj-pes des hommes presque primitifs, restés en arrière et liges dans leur barbarie, pendant que leurs congénères en Asie et en Europe se sont élevés et civilisés. (Cf. Salomon ReiNACH, Cultes, mythes et religions, tome I, introduction — et Orpheus, p. 6, | 12.)

L’univers, malgré ces retards partiels et comme ces témoins de son trajet laissés sur la route, suit toujours la même loi du progrès. Nous sommes, nous, Européens du xx* siècle, le terme de letTort universel vers le mieux, mais nous n’en sommes que le terme actuel et provisoire, nullement le terme délinitif. Avec lenteur mais sûreté, nous nous acheminons, selon le mot de Nietzsche, vers des « surhommes » à qui pauvi-eté, ignorances, maladies, vices seront inconnus. Chacun mettra son propre bonheur dans le bonheur des autres ; l'égoïsme aura vécu ; on se disputera les occasions de se dévouer ; la plus pure morale sera passée dans le sang, devenue instinctive, et irrésistible. (Cf. H. Spencer, Les bases de la morale é'>'olutionniste, cliap. xiii.) « L'âge d’or », le « Paradis terrestre » ne sont pas derrière nous, mais devant nous. Descartes déjà (et. Discours de la méthode, 6^ partie), et à la tin du xaiii' siècle CoNDORCET (cf. toutc VL’sfjuisse des progrès de l’esprit humain), s'étaient bercés d’espérances semblables ; GuYAU mourant s’y raccrochait comme à une foi religieuse : « Je suis bien siir que ce que j’ai de meilleur en moi me survivra. Non, pas un de mes rêves peut-être ne sera perdu, d’autres les reprendront, les rêveront après moi, jusqu'à ce qu’ils s’achèvent un jour. C’est à force de vagues mourantes que la mer réussit à façonner sa grève, à dessiner le lit immense où elle se meut. » (L’Lrréligion de ias’enir, p. 458. Les lignes citées sont une partie de l’inscription gravée sur la tombe d^ Guyau, à Menton.)

Tout cet avenir est assuré. (Cf. H. Spencer, Statique sociale, p. 80.) k Le progrès n’est point un accident, mais une nécessité. Loin d'être le produit de l’art, la civilisation est une phase de la nature, comme le développement de rembr30n ou l'éclosion d’une fleur… Il est sûr que ce que nous appelons le mal et l’immoralité doit disparaître. » Des lois inflexibles rythment le développement de la nature ; aussi sûrement qu’une barciue empoitée par le cours d’un ileuve glisse à la mer, aussi immanquablement, quoique non sans heurts ni cahots, l’humanilc est entraînée vers la perfection.

B) L’histoire évolutionniste de la morale. —La théorie évoiutionniste implique une histoire critique de nos idées morales et leur en substitue d’autres insi)irées par la nou^ elle conception du monde.

Tout honnne, arrivé à l'âge de raison, porte au ciel de son esprit des étoiles très pures, qui, voilées parfois, finissent toujours par vaincre les nuages ; ce sont les idées du bien et du mal, du devoir, de la responsabilité, des sanctions inévitai)les ; ce sont encore des appréciations comme celle-ci : se dévouer est beau ; il y a des biens, par exenqile, la patrie, la vérité. Dieu, qui sont plus précieux que la Aie, et, à l’occasion, plutôt que de les méconnaître, il faudrait savoir mourir. Ces idées ne demeurent point isolées et froides, elles sont vivantes, respectées, redoutées, vénérées ; tout un cortège de sentiments les plus varies, depuis la haine jus(iu'à l’enthousiasme, accompagne, dans chaque cœur d’homme, ces reines immortelles.

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