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EVOLUTION CREATRICE

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à l’intuition. L’intuition immédiate de la vie — donc de la durée qui est l'étoffe même de la vie, — véritable leitmotiv' des théories nouvelles, apparaît à nos réformateurs comme le seul fondement capable de soutenir la véritable et définitive philosophie. Pour l’avoir négligée, mécanicistes et tinalistes se sont trouvés impuissants en face du problème de l'être vivant. Il nous faut l’expliquer.

Tandis que le temps passe sur la matière brute sans y imprimer sa dent, l'être vivant dure, d’une durée vraie qui rappelle celle de la conscience, progresse comme elle, coule dans un flux dont le cours ne saurait être remonté, mûrit, vieillit, en un mot a une histoire, dont son présent dépend à tout instant. De même que votre état d'âme en ce moment se sépare de ceux qui l’ont précédé, parce qu’il est peint de toutes les nuances qui, jusqu'à ce jour, cette heure, cette minute ont coloré votre existence, de même, à tout instant, aux divers degrés de l'échelle Aitale, l’existence de chaque être, l’existence de cliaque espèce est fonction de tout le passé. Donc à chaque moment, jaillissement d’une forme al)solument nouvelle, incommensurable avec ses antécédents, le long d’une durée qui croît en inventant. C’est là l'évolution créatrice. (Cf. Ev. créât., pp. ii, l’j, 22, 29.)

A cette exigence de création que l’analyse découvre dans la durée, mécanicistes et linalistes opposent le système du « tout donné ».

A. — La chose est évidente s’il s’agit des mécanicistes. Le temps, introduit dans les calculs de la mécanique sous la forme d’une variable t, ne représente qu’un nombre d’unités, et demeure indifférent à la valeur de l’unité choisie, ou intervalle qui la constitue. Cet intervalle-unité peut donc varier de zéro à l’infini ou de l’infmi à zéro, par une vitesse indéGniment croissante ou indéfiniment ralentie, sans modifier en rien la justesse des équations. C’est dire que la durée n’a pas sa place dans l’explication mécanistique ; et cependant le monde dure ; donc la mécanique n’explique pas le monde.

A la mécanique, les anciens transformistes (Darvvix, Lamarck), pour expliquer le monde, ajoutaient les rencontres du hasard. La nouvelle école les défie d’expliquer par là, dans les organismes, la similitude de structure sur des lignes depuis longtemps séparées. Par exemple, chez l’homme et chez le peigne, des processus évolutifs tout différents aboutissent au développement d’une même rétine. Ici et là, mêmes parties essentielles, même ordre dans la disposition, mêmes particularités. Il n’y aurait pourtant dans ce double phénomène qu’une accumulation de variations accidentelles, par le concours de causes infinitésimales, que le hasard aurait amenées à se superposer, pour ranger leurs effets dans le même ordre. Prodige, que le hasard aurait dû renouveler nombre de fois, les causes à faire converger étant infiniment nombreuses, et leur résultat infiniment compliqué… Impossibilité !

B. — Aux finalistes, Véi créatrice adresse un double reproche.

i'^ reproche. — En arrêtant la forme de l’avenir dans un plan dessiné d’avance, les finalistes rendent cette forme indépendante de la durée ; elle resterait la même quand nous supposerions la marche du temps infiniment rapide. La durée n’aurait donc pas sa place nécessaire dans l’explication du monde. Et cependant le monde dure. Le finalisme est donc impuissant à expliquer le monde.

Réponse. — L’argument est sans valeur. La durée successive — le temps sur la terre — n’est possible que par sa coexistence avec une durée tota simul, où l’ayant et V après, sans se confondre, s’unissent dans un immuable présent. Pour le regard éternel — et le

temps suppose l'éternité — V imprévisible est un nonsens. Donc, de fait, les portes de l’avenir sont fermées, et sa forme dessinée.

2" rep/ot7/e adressé aux finalistes : ils assimilenlle travail de la nature au travail de l’ouvrier qui, copiant un modèle, découpe les pièces une à une, les assemble et les monte. Or tout autre est l’opération de la nature : elle ne fabrique pas, elle organise ; tout sort d’une cellule qui se dédouble…

Réponse. — Quel que soit le mode de formation, dans le travail réalisé les divers éléments obéissent à une même idée qui commande à l’ensemble : c’est là l’essentiel de la théorie finaliste, que nul sophisme ne pourra renverser.

C. — L'évolution, ou le passage du moins au plus, n’est possible qu'à une douljle condition : celle d'être complétée par une force et par une idée. Il lui faut une force qui, par une addition extrinsèque, ajoute à l'élan, et comble le déficit entre le point de départ et le terme d’arrivée. Il lui faut aussi une idée qui mesure, dirige, adapte l'élan, ainsi fortifié, à ce que doit être la forme finale. La raison de cette double condition, la voici : on ne se donne pas ce qu’on n’a pas. Le plus ne peut être au bout du progrès que s’il est d’une certaine manière au début ; la forme du terme ne peut procéder que d’un principe qui lapossède. L'évolution ne saurait donc être admise que sous l’influence active de la première cause, et réglée par la fin à réaliser, présente dès l’origine à l’intelligence du premier auteur. L’avenir est ainsi fermé I)ar le prévu, d’où est sorti l'évolué.

II. Le courant delà vie. — La nouvelle école ne renverse que pour construire ; voyons-la à l'œuvre. L’idée maîtresse est l’unicité de la vie, qui rayonnant d’un centre s’insinue dans la matière, la compénètre, s’accorde avec elle par une sorte de compromis ou modus vivendi qui est précisément l’organisation, et voici végétaux et animaux. En vertu de son élan, et jalouse d’actuer les virtualités, dont elle est riche, la vie ralentit le mouvement descendant de la matière, l’entraîne vers des formes plus hautes, des espèces à l’activité moins déterminées, jusqu'à ce qu’elle retrouve en l’homme son entière liberté. Ce courant-vie peut-il être admis ?

A. — Reportons-nous à la description qu’on nous en trace : « A un certain moment, en certains points

« de l’espace, un courant bien visible a pris nais « sance : ce courant de vie traversant les corps qu’il
« a organisés tour à tour, passant de génération en
« génération, s’est divisé entre les espèces et éparV pillé entre les individus sans rien perdre de sa
« force, s’intensifîant plutôt à mesure qu’il avan « çait… » (Ev. créât., p. 28.)

Ce courant n’est pas une « abstraction », une

« simple rubrique sous laquelle on inscrit tous les
« êtres vivants » (cf. ibid.) ; il a donc son existence

à lui. On nous le montre prenant naissance « en certains points de l’espace » : seule la matière occupe par elle-même l’espace ; il faut donc que ce courant soit matériel. D’ailleurs il est « bien visible » : il a donc des couleurs qiii s'étendent sur une surface : il peut être interrompu et renversé (cf. pp. 269, 278, 292 et passim) : autant de propriétés de la matière.

Cependant ce courant matériel, quand il prend naissance « bien visible », n’a pas encore rencontré la matière, et durant tout le cours de l'évolution ne se confondra pas avec la matière, parce que « le

« mouvement d’un courant est distinct de ce qu’il
« traverse » (p. 292). // est donc matériel sans être

matériel.

D’un autre côté, comment ce courant serait-il matériel, puisque dans ses virtualités il contient Fin-