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Dictionnaire Apologétique de la Foi Catholique



AGNOSTICISME. —
Première partie : I. Origine du mot. II. L’agnosticisme n’est pas le scepticisme universel ; III. ni l’incrédulité ; IV. ni l’athéisme. V. Psychologie de l’agnosticisme au point de vue catholique.


Deuxième partie : VI. L’agnosticisme pur ; VII. L’agnosticisme croyant ou dogmatique ; VIII. L’agnosticisme larvé ou des modernistes.

PREMIÈRE PARTIE

I. — Origine du mot. — Le mot agnosticisme a été jeté dans la circulation en 1869 par Henri Huxley. Parvenu à l’âge d’homme, Huxley reconnut un jour qu’il n’était plus chrétien, mais libre penseur. « La plupart de mes contemporains, dit-il, pensaient avoir atteint une certaine gnose et prétendaient avoir résolu le problème de l’existence ; j’étais parfaitement sûr de ne rien savoir sur ce sujet et bien convaincu que le problème est insoluble ; et, comme j’avais Hume et Kant de mon côté, je ne croyais pas présomptueux de m’en tenir à mon opinion. » Huxley faisait partie de la Metaphysical Society, club dont les membres professaient chacun un système défini ; il lui vint à l’esprit de se faire comme les autres une étiquette, et il lui sembla que pour bien montrer l’antithèse de sa pensée et des vues philosophiques ou théologiques de ceux qui prétendaient si bien savoir tant de choses qu’il ignorait, l’épithète d’agnostique serait très convenable. « J’en fis donc parade à la Société de Métaphysique, pour montrer que moi aussi, comme les autres renards, j’avais une queue ; et, à ma grande satisfaction, le mot, qui eut pour parrain le Spectator, réussit. » Huxley, Agnosticism, 1889.

L’agnosticisme est une méthode ou une doctrine subtile, l’attitude agnostique est des plus instables ; d’autre part, le mot est devenu populaire, surtout dans les pays de langue anglaise, grâce à la propagande et à la polémique. Aussi ne faut-il pas s’étonner que ce terme soit fréquemment employé abusivement soit dans la conversation familière, soit dans les ouvrages de controverse. Le premier soin de l’apologiste sera donc de bien se rendre compte du sens que l’adversaire donne à ce mot, soit qu’il se pare de l’épithète d’agnostique, soit — comme le font les modernistes — qu’il prétende ne pas la mériter. Pour écarter les équivoques et poser nettement la question, avant d’aborder l’étude directe du sujet, nous procéderons par élimination et essaierons de pénétrer dans la psychologie de l’agnosticisme, tout en discutant chemin faisant quelques-unes des conséquences de cette doctrine.

II. — L’agnosticisme n’est pas le scepticisme universel, bien que souvent il y conduise. — L’agnosticisme est un scepticisme partiel, commun à des doctrines d’ailleurs très différentes, qui s’accordent à déclarer l’absolu, ou la chose en soi, inconnaissable. Les formes modernes du scepticisme universel sont le phénoménisme et certaines variétés du monisme. Beaucoup de ceux qui se disent agnostiques sont des adversaires, plus ou moins conscients, du réalisme naturel à l’esprit humain, et sont partisans d’un phénoménisme, sensualiste ou idéaliste, empirique ou rationnel, plus ou moins mitigé. D’autres soi-disant agnostiques répètent après Clifford, Bain, etc., les formules d’un monisme qui, en psychologie, nie toute distinction réelle entre la matière et l’esprit, et qui, en métaphysique, nie la transcendance du divin. (Cf. Maher, Psychology, London, 1903, p. 524.) Moniste ou phénoméniste — souvent c’est tout un — cette classe d’agnostiques emploie des arguments tellement contraires au réalisme du sens commun, tellement opposés à l’idée naturelle à tous d’un Dieu distinct du monde, que le grand public confond souvent l’agnosticisme avec ces formes modernes du scepticisme universel. La méprise est d’autant plus facile, qu’il se trouve partout des philosophes amateurs qui, voyant l’agnosticisme à la mode, couvrent de cette étiquette les idées floues qui sont le fond de leurs systèmes. Voyant si fréquemment appliquer la célèbre boutade de Hodgson : « Ce que vous ignorez totalement, donnez-le pour l’explication de tout le reste », le public se persuade qu’agnosticisme et pyrrhonisme sont identiques. Facile est la méprise, mais c’est une méprise.

En effet, le monisme et le phénoménisme ne sont pas l’agnosticisme. Spinoza, le grand ancêtre de nos monistes, n’a-t-il pas écrit : Cognitio aeternæ et infinitæ essentiæ Dei, quant unaquæque idea [cujuscumque corporis, vel rei singularis actu existentis] involvit, est adæquata et perfecta. Mens humana adæquatam habet cognitionem aeternæ et infinitæ essentiæ Dei ? (Eth., 2, 45-47.) Dieu, d’après un mot de Hegel, n’est qu’autant qu’il est connu. Quant au reste, la philosophie spéculalive ne s’était-elle pas donné la mission de le reconstruire en entier, tout, jusqu’à l’histoire ? — Par ailleurs, pour un phénoméniste radical, les phénomènes constituent l’unique réalité. Il n’y a donc point de place pour l’agnosticisme dans le phénoménisme. Car si, comme on le