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APOCALYPSE

que le IVe Evangile, i, 3 ; et ss., la lettre de S. Paul aux Galates, ii, 9, et les Actes des Apôtres, iii, viii, nous montrent en des rapports si étroits et si caractéristiques avec le même Pierre, Jean, fils de Zébédée. Jean l’apôtre ou Jean le presbytre, disions-nous en commençant. Et puisque ce n’est pas le presbytre, c’est donc l’apôtre qui a composé l’Apocalypse. Je ne puis songer à en faire maintenant la preuve d’une manière positive. Au point de vue des témoignages, le problème de l’auteur de l’Apocalypse se confond avec celui de l’auteur du IVe Evangile. L’opposition des Aloges, qui pour Ladeuze se réduisent à Caius de Rome, et celle de Denys d’Alexandrie, sont trop manifestement inspirées, la première par des préoccupations de polémique anti-montaniste, la seconde par le souci d’enlever au millénarisme renaissant son principal point d’appui, pour que l’historien puisse y attacher beaucoup d’importance. Bousset le reconnaît sans peine. Le jugement défavorable porté sur l’Apocalypse par plusieurs Pères Grecs de la fin du iiie siècle et du commencement du ive s’explique en partie par la réaction anti-millénariste et en partie par l’autorité de Denys. Quant à l’Église syriaque, elle a pris, comme d’habitude, son mot d’ordre à Antioche. Au point de vue des critères internes, l’attribution de l’Apocalypse à Jean l’apôtre se présente dans des conditions plutôt favorables. Les tendances et les habitudes d’esprit qu’elle révèle chez son auteur n’étonnent pas chez le Jean de la lettre aux Galates et des Actes, dont les attaches juives sont encore si marquées. La seule difficulté sérieuse est celle qui naît de l’attribution au même auteur d’ouvrages aussi différents que l’Apocalypse et le IVe Evangile. Encore faut-il remarquer qu’on a longtemps exagéré ces différences et méconnu les points de ressemblance. La terminologie, l’usage commun de certains symboles, le rôle capital attribué à l’Esprit, la foi ardente et l’enthousiasme chrétien rapprochent étonnamment l’Apocalypse et le IVe Evangile et leur donnent un air de famille très marqué. La diversité profonde des matières traitées et des genres littéraires rend les différences intelligibles et ajoute beaucoup à ce que les ressemblances ont en elles-mêmes de frappant. Si, malgré tout, la difficullé d’une origine identique pour l’Apocalypse et le IVe Evangile subsiste jusqu’à un certain point, ce n’est pas à propos du premier de ces ouvrages mais plutôt à propos du second qu’elle doit être examinée.

B. Date. Trois dates ont été proposées par les Pères pour la composition de l’Apocalypse : la fin du règne de Domitien, la persécution de Néron, le règne de Claude. Cette dernière opinion a pour patron S. Epiphane. La seconde a été suggérée par un texte de Tertullien où l’exil de Jean à Patmos semble être rattaché à la persécution de Néron. La première se réclame de l’autorité de S. Irénée qui paraît, dans le cas, digne d’une particulière confiance. Le sentiment de l’évêque de Lyon est devenu celui du plus grand nombre des Pères et commentateurs des âges suivants.

L’étude des indications que l’Apocalypse elle-même peut fournir sur ce point a conduit les critiques contemporains à des conclusions divergentes. Plusieurs, en particulier parmi ceux qui se préoccupent de maintenir l’unité littéraire absolue du livre, ont été amenés à placer sa composition avant 70, sous Néron C. A. Scott, qui pourtant n’est point influencé par ce souci, vient d’écrire, à propos du commentaire de Swete, un chaleureux plaidodoyer en faveur de la date susdite (The Expositor, janvier 1907). Les lettres aux sept Églises, remarque-t-il, ne supposent pas que les communautés asiates aient déjà fait l’expérience de la persécution sanglante. La partie centrale de l’Apocalypse iv-xxii, 5, spécialement xi, 1-11, xii, xiii, xvii et probablement xviii, suggère une date antérieure à 70, tandis que rien n’y exige d’être reporté tout à la fin du premier siècle. La vivacité de l’attente eschatologique, qui caractérise l’introduction et l’épilogue de l’Apocalypse, invite à rapprocher ce livre de la deuxième lettre de S. Paul aux Thessaloniciens plutôt que du IVe Evangile. Cependant la grande majorité des savants catholiques et les plus autorisés parmi les critiques non catholiques trouvent dans l’Apocalypse même la confirmation de l’opinion d’Irénée. Bousset, qui est de cet avis ainsi que J. Weiss et B. Swete, insiste surtout sur ce que le conflit entrevu et annoncé par l’Apocalypse n’est plus du tout entre le Judaïsme et le Christianisme mais entre la jeune Église chrétienne, dégagée de toute attache avec le Judaïsme, et l’empire romain. Tout nous invite donc à placer la publication de l’Apocalypse aux environs de 95.

II. Composition de l’Apocalypse. — L’examen du problème littéraire, du problème des sources de l’Apocalypse, va nous introduire plus avant dans les difficultés que soulève ce livre. Ici comme partout, l’apologiste doit avoir devant les yeux deux règles essentielles : ne jamais nier de faits manifestes, ni même, sans raisons proportionnées, de faits généralement reconnus ; n’admettre aucune hypothèse explicative de ces faits qui ne soit clairement conciliable avec les principes supérieurs dont le respect s’impose au croyant. Ces principes supérieurs, c’est, dans le cas de l’Apocalypse, l’assertion de l’auteur inspiré, affirmant qu’il a puisé les éléments et l’ordre de son livre dans des visions surnaturelles. Voyons d’abord les faits.

A. Faits suggérant que l’Apocalypse est une œuvre composite. Voici la liste de ceux qui sont le plus communément admis et que l’on tient pour les plus significatifs. Le lecteur devrait, pour leur complète intelligence, se reporter au texte même de l’Apocalypse, par exemple dans la traduction qu’en a donnée Calmes (Epitres Catholiques, Apocalypse, Bloud, 1905). 1° Le ch. vii se compose de deux morceaux à la fois parallèles et d’esprit différent, 1-8 ; 9-17. De plus, le premier de ces morceaux, d’une part n’est point amené par les développements du ch. vi ; d’autre part, ni les quatre vents enchaînés, ni les 144.000 Israélites marqués du sceau dont il nous parle ne jouent dans la suite du drame aucun rôle. 2° La section x, 1-xi, 13 interrompt d’une manière surprenante la série des sept trompettes et plus spécialement encore la suite des trois « malheurs ». 3° Le ch. xii qui, dans sa première partie, paraît vouloir décrire la carrière historique de Jésus, est singulièrement imprécis et d’un symbolisme étrange. On s’expliquerait difficilement qu’un chrétien, même dans une apocalypse, ait créé de toutes pièces un pareil tableau. 4° Le ch. xiv, 1 et ss. nous fournit du chiffre, évidemment traditionnel, de 144.000 une explication peu en harmonie avec celle que nous avons déjà rencontrée au ch. vii, 1-8. 5° La section xiv, 14-20 décrit une scène de jugement qui semblerait devoir clore le drame. En réalité la crise continue à se développer dans les chapitres suivants à peu près comme si rien n’était. 6° Le ch. xvii rapproché du ch. xiii est une énigme. De plus ce ch. xvii considéré en lui-même paraît renfermer deux conceptions différentes de la ligue des rois. On ne sait trop si c’est contre Rome ou contre l’Agneau qu’elle se forme. Le texte est obscur, hésitant. 7° Les ch. xii et xiii semblent mener les événements à la catastrophe définitive. En réalité le dénouement ne se produit