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EUCHARISTIQUE

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Seigneur. S.Cyrille d’Alexandrie (In Luc., xxir, 19) répète l’idée de S. Cyprien sur le sacerdoce du Christ en un texte qui, de plus, met en relief l’action trinitaire dans le rite eucharistique, fournissant ainsi la vraie base de solution pour la question de l'épiclèse. On peut dire que cette question est tranchée par S. Jean Chrysostome. Il connaît l'épiclèse pour l’avoir employée dans la liturgie quotidienne ; il attribue avec insistance la transsubstantiation et le sacrifice à la vertu invisible du S. -Esprit agissant par le ministère du prêtre (P. G., XLVIII, 6^2, 681 ; L, 458-9 ; LIX, 253 ; LXI, 204). Mais cela ne l’empêche pas d’aflirmer en termes formels que le prêtre, à l’autel, représente le Christ ; qu’il répète, au nom et en la lîersonne du Christ, les paroles dites au Cénacle : Ceci est mon corps, ceci est mon sang, et que ces paroles opèrent la mystérieuse transformation, « Ceci est mon corps, dit-il. Cette parole transforme les

OblatS. » Tîvrs', (/.îJ £TT( ri T&J//K, i/ÎTl'. Ti^TÎ TS pf, ! ^'-^ lj.-7y-pp.e ; M ; îL -zry. rc ; zî ! >£va (P. G., XLIX, 380, 389. Cf. LVII-LVIII, 507-8 ; LXII, 612). L, 'ellîcacité des paroles de J.-C. doit donc nécessairement se concilier, dans la pensée de S. Jean Chrysostome, avec la vertu transsubstantiatrice du S. -Esprit. Nous croyons légitime d’en conclure qu’elle doit se concilier aussi avec les expressions des autres écrivains orientaux attribuant, sans plus, la consécration à l’intervention de la troisième personne de la S. Trinité. Ainsi en est-il i^our S. Ephrem, pour Pierre et Théophile d’ALEXANDRiE, pour S. Isidore de Péluse, etc. Voir les textes dans les ouvi’ages spéciaux de Hoppe, Markovic, Riley GuiMMEY. Si, parmi les nestoriens, il en est peut-être, comme Narsès (- ; - 502), qui paraissent, à certains endroits, reporter sur l'épiclèse toute l’activité consécratrice, ils ont ailleurs des textes presque aussi formels sur le sacerdoce de J.-C. et les paroles de l’institution. La tradition attestée par Clirysostome en faveur de ces dernières se maintient très ferme, en même temps que l’attribution au S. -Esprit, dans les principaux représentants de l’Eglise syrienne. Citons Jac<)UEs de Saroug(-j-521) [Opéra S. Ephrem gr. la t. ad calcem t.Il, p. 3 1 1, et surtout Sévère d' Antioche, dont le témoignage est peut-être plus formel et plus explicite encore que celui de S. Jean Chrysostome.

« Le prêtre… prononce les paroles Ceci est mon

corps, ceci est mon sang comme en la personne du Christ, et cette parole divine sanctifie les éléments. » (E. W. Brooks, The Sixth Book of the sélect letters of Severus, Londres, 1904, t. II, p. 23--8.) Des textes aussi clairs, sous la plume d'écrivains aussi représentatifs, nous paraissent trancher la question historique touchant la tradition orientale.

Pour l’Occident, la chose est plus aisée encore. S. Ambroise (De mrst., ix, 52, 54) affirme expressément que ce sont les paroles du Christ qui opèrent la consécration, Christi sermone conficitur. L’auteur du De Sacramentis, IV, iv, 14-19 ; v, 21-23, reproduit cette doctrine avec une remarquable insistance. S. Augustin parle comme S. Jean Chrysostome quand il dit (Serm. cxliii. De inysteriis cænæ Domini, Mai, Nos’tt PP. hiblioth., t. I, p. i, p. 333) qu'à l’autel le Christ est le consécrateur : c’est lui qui prononce les paroles par la bouche du prêtre. Le verhum Dei souvent rappelé par Augustin (voir les références dans H0PPEOU Riley GuMMEY)parait bien, dès lors, devoir être identifié avec les paroles de J.-C. Celles-ci sont clairement regardées comme consécratricesparFAusxE DE Riez (P. L., XXX, 276), S. Césaire d’Arles (P. L., LXA’II, io53, io56), S. Isidore de Séville (P. L., LXXXIIl, 905-6), etc. Or, en Occident tout comme en Orient, ces déclarations formelles n’empêchent pas d’afiirmer en même temps l’opération c-onsécratrice du S. -Esprit. S, Optât de Milève l’insinue (P. L.,

XI, io64), S. Ambroise la suppose en comparant la transsubstantiation à l’Incarnation (De myst., ix, 53), et l’affirme (De Spir. S., III, xai, 112), ainsi que S. Augustin (De Trin., III, 4 ; Enarr. in ps. rv, n. 7) ; de même S. Gaudence de Brescia (P. /.., XX, 858), S. Gélase (De duahits naturis, et Ep. ad Elpid., dans TniEL, Op. cit., t. I, p. 486, 54 1). S. Fulgence (P. L., LXV, 184, 188), S. Grégoire LE Grand d’après Paul Diacre (R /.., LXXV, 53), S. Isidore de Séville (P.L., LXXXII, 255 ; LXXXllI, 752, 753, 755), etc. L’attestation de cette doctrine traditionnelle de l’intervention eucharistique du S. -Esprit se poursuit à travers tout le moyen âge. (Voir mon article, L’Epiclèse d’après S. Jean Chrysostome et la tradition occidentale, dans Echos d’Orient, t. XI, 1908, ji. 101-112.) S. Thomas la signale plusieurs fois sans y insister (S. th., 111^, q. 78, art. 4> ad 1 ; q. 82, art. 5 ; Comm. in IV Sent., dist. 8, q. 2, art. 3). Petau, Tiiomassin, Bossuet, Re-NAUDOT, Lebrun, Martène, Benoit XIV, ont attiré sur ce point l’attention des théologiens et des liturgistes. Cette pensée n’est pas absente de notre missel romain actuel. On la rencontre deux fois exprimée dans les Orationes ante missnm, dans celle du dimanche et dans celle du vendredi.

Une conclusion s’impose, c’est que, pour toute la tradition occidentale et pour la tradition orientale des sept premiers siècles, l’eflicacité consécratoire des paroles de J.-C. se concilie certainement a^ec la vertu transsubstantialrice du S.-Esprit. La formule de cette conciliation nous est fournie, entre autres, par Pas-CHASE Radbert qui, au xi' siècle, revient sans cesse sur cette idée que le corps eucharistique du Sauveur est produit « dans la parole du Christ par le S.-Esprit )), in yerbo Christi per Spiritum Sanctum, ou encore '< par la vertu du S.-Esprit, au moyen de la parole du Christ », virtute Spiritus Sancti per verhum Christi (P. L., CXX, 1279, 1310-î312).

3° Au viii" siècle, S. Jean Damascène, sous l in~ fluence de préoccupations polémiques, fait dévier la tradition en Orient et donne ainsi naissance à la théorie grecque de l'épiclèse.

Pour avoir méconnu, sous l’influence de préoccupations polémirjues, l’emploi très orthodoxe du mot antitype désignant chez les anciens Pères l’Eucharistie même après la consécration (= le sacrement de l’Eucharistie), S. Jean Damascène est amené à dire que, si ce mot se trouve dans la liturgie de S. Basile, c’est avant la consécration (P. G., XCIV, 1 152). Or ce mot est après les paroles de l’institution et avant l'épiclèse. Il faut en conclure que, pour le Damascène, c’est l'épiclèse qui consacre : les paroles de J.-C. sont seulement une semence que la vertu du S. Esprit vient ensuite féconder (ibid., 1140 seq.). Celte dernière comparaison, probablement empruntée d’ailleurs à S. Ephrem (Opéra omnia gr.-lat., III, 608, 9), est susceptible en soi d’une interprétation catholique ; mais l’argument de l’antitype lui donne, dans la pensée de S. Jean Damascène, un sens exclusif qui fausse la tradition. Le désir de défendre contre toute interprétation symboliste le dogme de la présence réelle est la meilleure excuse du saint docteur. Mais on est bien forcé de reconnaître que, n'étant pas infaillible, il s’est trompé. Son explication du mot antitype et, avec elle, plus ou moins explicitement, la théorie de la consécration par l'épiclèse est bien vile devenue classique dans la théologie byzantine. Les actes du au* concile œcuménique (787) nous la signalent très clairement dans une réfutation du conciliabule iconoclaste de 753 (Mansi, XIII, 264). Les défenseurs des saintes images l’adoptent pour répondre aux iconoclastes qui ne reconnaissaient qu’une seule véritable image du Christ digne de nos hom-