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ESCLAVAGE

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du siècle dernier, descolonies sans esclaves, les autres des colonies à esclaves. Ces dernières, au nombre de dix-neuf, renferiuaienl près de 800.000 noirs, propriété de moins de 100.000 blancs. Le gouvernement anglais, qui venait de faire tant d’eiTorts pour l’abolition de la traite, ne pouvait logiquement conserver l’esclavage. En 1823 et en 1831 des mesures furent prises pour en préparer l’abolition, puis une loi de 1834 le supprima, consacrant 500 millions de francs à indemniser les propriétaires d’esclaves. Les délais fixés pour la libération définitive durent même, sous la pression de l’opinion publique, être abrégés, et l'œuvre d'émancipation était achevée en iSSg. « On ferait, — écrivait en 1843 le duc de Bhoglie, — trop d’honneur à la philosophie, à la philanthropie de l’Angleterre, en lui assignant le premier rôle dans cette grande entreprise. Lespliilosophes, les philanthropes, ont figuré, sans doute, glorieusement au nomijre des combattants ; mais c’est l’esprit religieux qui a porté le poids du jour et de la chaleur, et c’est à lui que revient, a^ant tout, l’honneur du succès. C’est la religion qui a vraiment affranchi les noirs dans les colonies anglaises. » (^Rapport de la commission instituée pour l’examen des questions relatives à l’esclavage, 1843, p. 1 17.)

L’esclavage fut supprimé en 18^8 dans les trois Antilles danoises ; il l’avait été dès 18^6 dans l'île suédoise de Sainl-Barthélemy. Il résista plus longtemps dans les colonies espagnoles. Malgré toutes les prohibitions, la traite se maintint à Cuba, plus ou moins ouvertement pratiquée, jusqu’en 1868 : seule la suppression de l’esclavage, à cette date, la fit disparaître. L’esclavage à Cuba, comme dans toutes les colonies sur lesquelles s'était jadis étendue la domination espagnole, fut toujours relativement doux, comporta de larges facilités de rachat total ou partiel, et se montra plus qu’ailleurs res])ectueux de la famille de lesclave (sur ce caractère plus humain et plus moral de l’esclavage dans les colonies espagnoles, voir BoEHMER-MoNOD, f.es Jésuites, 1910, p. 1-5-1-6). Cependant, là comme ailleurs, il avait exercé sa funeste influence. Dans les colonies portugaises. Cap Vert, Basse -Guinée, Mozambique, son abolition commença vers 1856, mais ne fut complète que plusieurs années après. Plus rapide fut la suppression de lesclavage dans les grandes colonies hollandaises, Java, Sumatra, Bornéo, Célèbes, les Molusques, les îles de la Sonde. Les fondateurs de cet immense empire colonial, gouverné de si loin par nn petit peuple européen, avaient d’abord travaillé à la conversion des esclaves indigènes : devenus chrétiens, un grand nombre de ceux-ci avaient été affranchis. Mais l'égoïsme reprit le dessus : on cessa de convertir les esclaves, de peur d'être amené à les émanciper. La traite, prohibée dès 1688. fut ensuite tolérée, et amena dans les îles une population noire, qui du reste ne s’y perpétua pas. Lesclavage, dans ces régions, demeura supportable ; au lieu d’y être contraints à de véritables travaux forces, les esclaves furent presque toujours employés à un service domestiqiie assez doux. Leur nombre ne cessa de décroître jusqu’en 1860, date fixée par une loi de 1854 pour l’abolition complète de l’esclavage dans les Indes néerlandaises. Mais celui-ci subsista quelques années encore, et a^ec des caractères beaucoup plus durs, dans les petites colonies de la Hollande, la Guyane et les Antilles.

Je ne dirai qu’un mot d’un des événements les plus considérables du xix' siècle, la suppression de l’esclavage dans la grande république de l’Amérique du Nord. Pour la première et la seule fois dans l’histoire du monde, c’est la guerre qui décide cette suppression. Dès 1780, les Etats-Unis se trouvaient partagés,

quant à l’esclavage, en deux moitiés à peu près égales, l’une, au nord, où il était interdit, l’autre, au sud, où il était pratiqué. La traite n’existait plus, mais la population servile se recrutait par les naissances, et, dans certains Etats, par un véritable

« élevage », avec tout ce que ce mot a de bestial.

Toute la politique intérieure des Etats-Unis se résume, pendant une partie du xix' siècle, dans la rivalité entre les Etats esclavagistes et les Etats abolitionnistes, les premiers subordonnant tout au maintien et au développement d’une institution que les progrès incessants des seconds leur montraient cependant inutile et même nuisible. En 1860, lors de l'élection de Lincoln, il y avait dans l’Union dix-sept Etats libres et quinze Etats à esclaves ; ces derniers contenaient 4 millions d’esclaves noirs. Voyant la suprématie politique dont ils jouissaient depuis de longues années, en dépit de l’infériorité numérique de leur population, menacée par l'élévation d’un abolitionniste à la présidence, et jaloux avant tout de conserver « leurs institutions particulières », c’est-à-dire l’esclavage, les quinze Etats du Sud rompirent lUnion, et se déclarèrent indépendants. C’est contre leur fédération, en réalité contre l’esclavage, son vrai motif et sa principale raison d'être, qu’eut lieu la guerre longue et acharnée qui, malgré l’héroïsme, digne d’une merveilleuse cause, déployé sur les champs de bataille par les champions du Sud, se termina en 1 865 par la victoire du Xord et l’affranchissement des esclaves : victoire à laquelle prit part un prince français, et que Montaleml)ert a célébrée en des pages remplies d’un religieux enthousiasme. Ajoutons que de grandes âmes n’avaient pas attendu cette époque pour mener une lutte active contre l’esclavage : M. Washblrne a raconté, dans un livre trop peu connu, l’histoire de cet admirable Edouard Colbs, né dans TElat esclavagiste par excellence, la Virginie, qui, « sentant, dit-il. l’impossibilité d’accorder avec sa conscience et son sentiment du devoir la pensée de prendre part à l’esclavage », quitta son pays en 1819. emmenant tous ses esclaves, qui formaient les deux tiers de sa fortune, et. arrivé aux frontières de l’Etat, les affranchit, en assurant à chacun les moyens de vivre. Devenu gouverneur de l’Illinois, il se consacra tout entier à la propagande de ses idées, et mit une indomptable énergie à empêcher cet Etat de se laisser entraîner a ers l’esclavagisme (voir Washiurne, Sketch of Edivard Cotes, second governor of Illinois, and the slavery struggle of %i ?)-?>2li, Chicago, 1883 ; cf. le résumé que j’en ai dopné dans mes Etudes d histoire et d’archéologie. 1899. p. 344-382).

De tous les pays chrétiens, le Brésil est celui où dura le plus longtemps l’esclavage. Tous les esclaves indigènes y avaient étélibérésen 1762 ; mais la traite, pendant un siècle encore, en dépit de son abolition olhcielle, le fournit d’esclaves noirs, et, au milieu du xix' siècle, ceux-ci formaient un quart de la population, 2 millions d’hommes sur 8 millions (A.Cochi.n, L’Abolition de l’esclavage, t. II, p. 236-287). Le gouvernement désirait leur liberté, attendant ie jour où une immigration suffisante de blancs les rendrait inutiles, en peuplant de travailleurs un territoire grand comme l’Europe : sous le règne de Pedro II. on aft’ranchissait tous les ans. le jour de la fête nationale, des esclaves dans l'église en présence de l’empereur et de l’impératrice. L’effet de ces bonnes intentions se fit sentir : le recensement de 1872 constate une augmentation notable de la population, et une diminution dans le nombre des esclaves, tombé de 2 millions qu’il était encore en 1852 à i. 5 10. 866 vingt ans après (Claudio Janxet, Correspondant, 25 mars 1888). Une loi de 1871 prépare l'émancipation graduelle, et assure des indemnités aux maîtres qui la