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ESCLAVAGE

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les sacrements aux forçats chrétiens, prêcher des retraites à bord des galères, évangéliser les travailleurs des campagnes, réconcilier avec l’Eglise des renégats, secourir des enfants dont la foi était menacée ou des fennues qui luttaient pour échapper à la servitude honteuse du harem, obtenir un traitement plus digne pour les prêtres ou les religieux esclaves, organiser un service de correspondance entre les captifs et leurs familles, soigner au péril de leur vie les esclaves atteints de maladies contagieuses : plusieurs prêtres de la mission moururent à Tunis et à Alger en assistant les pestiférés. Ils furent ainsi de véritables pères pour les cinq ou six mille chrétiens de toute nation alors esclaves à Tunis et les A’ingt mille chrétiens alors esclaves à Alger. De 1642, époque de leur installation en pays barbaresquc, jusqu’à la mort de saint Vincent de Paul, en 1C60, ils dépensèrent, tant pour le rachat de 1.200 esclaves que pour le soulagement de ceux qui demeuraient en captivité, près de 1.200.000 livres, Mais combien ils furent récompensés par leurs succès apostoliques ! Ils avaient formé l’àme de la plupart des esclaves martyrs dont nous avons parlé ; et, dans la masse de la population servile, où beaucoup, jusque là abandonnés, conduits par le désespoir à l’incrédulité et à l’immoralité, avaient vécu éloignés des sacrements depuis dix ou vingt années, ils opérèrent un relèvement moral, répandirent des sentiments de délicatesse, de dévouement, de désintéressement, d’oubli de soi-même, dont on jugera par le trait suivant : en 1657, les esclaves d’Alger se cotisèrent, et sacrifièrent leur modeste pécule, l’argent amassé pièce à pièce en vue de leur rachat futur, pour payer la rançon du consul de France qui venait d’être jeté en prison.

Parallèlement aux eftbrls des missionnaires, les gouvernements essayèrent à plusieurs reprises d’anéantir les nids de pii’ates posés sur la côte africaine de la Méditerranée, et de délivrer les esclaves chrétiens qui y gémissaient. Oran fut prise par les Espagnols, sous Ferdinand le Catholique, en iSog (l’armée était conduite par le cardinal Ximénès), Tunis en 1535 par Charles-Qlixt en personne, qui y délivra vingt mille esclaves chrétiens. La guerre entreprise contre les Turcs par l’Espagne, Venise et le Pape, et qui se termina en 1571 par la victoire de Lépante, n’avait pas seulement pour but, écrit Pie V, d’écarter de la chrétienté le péril d’invasion, mais encore « de rendre à la liberté et à l’exercice de leur religion les milliers de chrétiens qui gémissaient sous la plus dure servitude), plurima millia christ’anonim quæ suh dura tyvanuide servilein ac miserahilem vitaiu diicunt. Sous Louis XIV, du Quesne battit la flotte de Tripoli en 1682, et bombarda Alger en 1682et 1 683, Tourville bombarda de nouveau Alger en 1 688. Ces expéditions, et d’autres encore, menées par l’Espagne, par l’Angleterre, par les Etats-Unis, aboutirent à des conquêtes passagères, à la délivrance d’esclaves, à des traités presque aussi tôt violés que conclus. Si glorieuses qu’elles aient été, elles produisirent des fruits moins abondants et surtout moins durables que les paciiîques victoires des missionnaires. « Le résultat de toutes les armadas de rEsi)agne, de tous les bombardements de nos amiraux, — écrit un historien protestant, — n’égale pas l’effet moral produit l>ar le ministère de consolation, de paix, d’abnégation allant jusqu’au sacrilice de la liberté et de’^la vie, exercé par les humbles (ils de saint Jean de Matha, de saint Pierre Xolasque et de saint Vincent de Paul. Mieux que par le fracas de l’artillerie, mieux même que par des foudres d’éloquence, ils ont fait bénir le nom de leur divin Maître par leur Aertu sans tache et par leur charité sans borne. » (G, Boxet Maury, /"/Yi/ice, Christianisme et civilisation, p. 142.) C’est cette charité qui vida peu à peu les bagnes des villes musulmanes : aussi quand Alger succomba enfin, en 1830. devant la dernière expédition française, elle ne contenait plus que 122 esclaves. (V’oir Le Miroir de la charité chrétienne ou relation du voyage que les religieux de l’ordre de la Mercy du royaume de France ont fait l’année dernière en la villed’Alger…, par l’un des Pères rédempteurs du même ordre (le P. Auvry), Aix, 1662 ; Abelly, Vie de saint Vincent de Paul. éd. 1836, t. I, p. 22-31 ; t. V, p. 35-i 12 ; Les Lettres de saint Vincent de Paul, 1882 ; Conférences de saint Vincent de Paul, 1882 ; Deslandres, L’Ordre des Trinitaires pour le rachat des captifs, 1908 ; G. DuBOSc, Liouen et le Maroc, dans La Normandie, octobre 1907 ; G. Bonet-Maury, France, Christianisme et Civilisation^ 1907.)

VIL LÉ’esclavage moderne

1° La traite des nègres. — Les découvertes géographiques et les expéditions maritimes de la seconde moitié du xv siècle furent l’origine de la traite et de cette funeste extension de l’esclavage qui, chassé de l’Ancien Monde, s’étendit pendant quatre siècles sur le Nouveau.

Une pensée de foi avait d’abord inspiré dans ses entreprises africaines le Portugal, qui voulait implanter le christianisme dans les Açores, aux îles du Cap Vert, et détruire à Ccnla et à Tanger la puissance de l’Islam. Mais leurs descentes sur la côte occidentale de l’Afrique mirent les Portugais en présence de la race noire. En 1442, le Portugal s’établit en Guinée. Dès lors se développa l’importation des noirs en Europe.

La découverte du Nouveau Monde par les Espagnols en 1492, leur établissement dans les îles et sur le continent de l’Amérique, donnèrent à cette importation une direction nouA elle. La recherche de l’or, puis, dans les régions moins aurifères, la culture du sucre, du tabac et d’autres plantes exotiques, nécessitèrent l’emploi de la main-d’œuvre indigène, et furent pour les habitants de ce qu’on appelait alors les Indes occidentales, l’occasion d’une intolérable oppression. Quelques Indiens avaient été transportés en Europe pour y servir comme esclaA’es ; mais le plus grand nombre fut astreint surplace à un travail forcé au profit des conquérants. Bien qu’Isabelle la catholique, en 1502, et son mari Ferdinand, en 1512, n’aient permis de réduire en esclaA-age que les seuls cannibales, parce qu’ils seront ainsi « plus aisément convertis et attachés à notre sainte foi catholique > la même tyrannie s’étendait, en fait, sur tous sans distinction. Vainement les Dominicains établis à Saint-Domingue allaient-ils jusqu’à refuser l’absolution à quiconque retiendrait des Indiens en esclavage, le sort de ceux-ci ne s’améliorait pas, et le ti’aA’ail qui leur était imposé décimait des populations naturellement indolentes, sans procurer à leurs maîtres le profit espéré. C’est alors que vint la pensée d’importer dans le Nouveau Monde des travailleurs nègres, dont un seul, disait-on, valait quatre Indiens.

On a rendu responsables de cette pensée les religieux qui s’étaient dévoués au salut spirituel et temporel des Indiens. Les Dominicains l’auraient suggérée dès 1511, et celui qu’on a appelé l’Apôtre des Indes, l’intrépide et charitable Las Casas, y aurait insisté en 1617. Quand même un zèle trop partial leur aurait dicté un aussi funeste conseil, on ne saurait voir dans ces défenseurs imprudents de la liberté des Indiens les instigateurs de la traite. II s’agissait pour eux non d’arracher à leurs foyers les