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ESCLAVAGE

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comme l’Espagne, à chasser de son sol les musulmans ; mais, par ses ports de l’Adriatique et de laMéditerranée, elle entretint avec eux des rapports continuels. Rapports de guerre d’abord : aussi sur ses galères, celles du Pape et des chevaliers de Malte comme celles de Gênes et de Venise, rament des esclaves turcs, dont la capture ne se lait pas toujours sans de graves abus (voir JuRiE.N DE LA Gravière, La fui d’iitie grande marine, dans Revue des Deux Mondes, i"nov. 1884, p. 63-64). Gènes et Venise sont, au moyen âge, les deux grandes puissances maritimes de l’Europe. Elles prêtent aux croisades l’aide de leurs vaisseaux, mais bientôt l’esprit de lucre affaiblit dans ces cupides républiques l’esprit chrétien, elles se préoccupent de faire en Orient le commerce plus que la guerre, et parmi les marchandises qu’elles importent dans la péninsule italienne figurent les esclaves non seulement sarrasins, mais tartares, russes, circassiens, arméniens, mingréliens, bosniaques. Oublieuse de tous les devoirs d’une nation chrétienne, Venise en vend non seulement à ses compatriotes, mais encore aux Maures d’Afrique et d’Espagne. La servitude personnelle rentre ainsi dans les mœurs, à l'époque même où, en Italie, disparait le servage rural. Dante (Piirgat., xx, 80) parle des esclaves vendus par les corsaires. Non seulement dans les villes maritimes, comme Venise, Gènes, les ports du rojaume de Naples, mais dans les cités de l’intérieur, telles que Milan, Florence, Rome même, on rencontre des esclaves.

L’esclavage avait, cependant, à peu près disparu à Rome dès le commencement du xvi' siècle : lorsque Paul lil monta sur le trône ponliûcal en 1534, il constata que « dans cette Aille, qui est la tête de l’Eglise après avoir été la tête du monde, le dur joug de la servitude a été complètement éteint par respect pour la religion chrétienne », ob reyerentiam christianae religlonis asperiim servitutis jugiim penitus extinctuni. Une des causes de cette extinction fut le privilège .traditionnel dont jouissaient les Conservateurs de Rome de déclarer libres les esclaves qui venaient le leur demander. Le premier soin de Paul III fut. en 1535, de renouveler et de coniirmer ce privilège. Cependant les guerres contre les Turcs, qui durèrent pendant la plus grande partie de son pontilicat, jetèrent sur les marchés italiens de nombreux prisonniers : le peuple de Rome s'émut de ne pouvoir profiter de ces occasions de recruter à vil prix des serviteurs. Les Conservateurs se firent ses interprètes, et demandèrent au Pape le retrait total ou partiel de leur j)rivilège. Paul III avait déjà à cette époque, par des actes dont nous parlerons dans un autre chapitre (voir plus bas, VI, 3), condamné à plusieurs reprises l’esclavage : il ne répondit pas à cette demande. Une seconde délibération, plus pressante, fut prise en avril 1548 par les représentants de la commune de Rome : cette fois Paul III céda, non sans hésitation (8 novembre 1548), et, le 12 janvier 1549, les Conservateurs publièrent un hando permettant aux Romains la libre possession des esclaves. Le grand nombre des prisonniers turcs faits cette même année par le capitaine Carlo Sforza amena une recrudescence de l’esclavage à Rome. Mais dès la première année de son pontificat, 1566, saint Pie V rétablit, en faveur de tous les esclaves qui auraient reçu le baptême, l’obligation pour les Conservateurs de les faire libres et citoyens romains. Un autre édit du même pape, en 15' ; o, interdit de réduire en esclavage et particulièrement de faire ramer sur les galères papales les sujets chrétiens des Turcs qui auraient été faits prisonniers. L’esclavage ne cessa pas à Rome dès le pontificat de Pie V, car, jusqu’au xviii' siècle, on peut citer des ordonnances de ses successeurs aj’ant pour but de le réglementer et de le modérer. Mais il était.

en réalité, frappé de mort, puisqu’il suffisait à un esclave de montrer à l’un des Conservateurs son certificat de baptême pour que celui-ci dût lui poser la main sur la tête en disant : Esto liber.

Deux traits caractérisent lesclavage italien' au moyen âge et à l'époque de la Renaissance. Le premier est le petit nombre des esclaves. Une statistique montre à Gênes, en 1468, 1.188 maîtres possédant enseml)le i.51 8 esclaves. Dans les pièces de jirocédure ou dans les contrats où il est parlé d’esclaves, se trouve presque toujours en Italie cette mention :

« l’esclave », comme s’il était admis que, sauf exception, un même maître n’en possédât qu’un. Le

second trait est celui-ci : il y a parmi les esclaves beaucoup plus de femmes que d’hommes. Dans la statistique génoise citée plus havit, sur les i.518 esclaves on compte 63 hommes seulement. C'étaient, en réalité, des servantes stables et à bon marché que recherchaient les ménages italiens. Leurs mœiu-s étaient fort exposées, comme celles de toutes les personnes qui ne sont x)as libres : les lois, cependant, veillaient sur elles et punissaient avec sévérité les ravisseurs ou les séducteurs. Quant à leur condition juridique, elle ne différait guère, en théorie, de celle que faisait aux esclaves le droit romain : en fait elle paraît, sauf exception, avoir été assez douce, ressemblant beaucoup à la condition des domestiques indigènes. L’esprit chrétien, subsistant même dans cette renaissance païenne de la serA itude, rend fréquents les testaments dans lesquels on fait des legs en faveur des esclaves, plus fréquents encore ceux par lesquels on leur donne la liberté. On a vu qu'à Rome celle-ci était devenue de droit après le baptême.

L’esclavage dura en Italie jusqu'à la fin du xvii* siècle. On cite des ventes d’esclaves à Gênes en 1629, 1638, 16^7, 1677. Aussi peut-on croire que Molière n’a pas tout inventé, quand il montre des esclaves turcs, maures, mauresques, une esclave grecque, et même une esclave italienne vendue par des corsaires, dans l’Etourdi, dont la scène se passe à Messine en 1653, et dans le Sicilien, dont la scène se passe dans la même ville en 1667. (Sur l’esclavage italien, voir CiBRARio, Délia Schiavitùe del Servaggio, 1869. BoNGHi, Le Schiavi orientali in Italia. dans JS’uovu Antologia, t. II, 1868 ; Giorgi, Paolo llle la Schiavifù in Borna nelsecolo XVI. 1879 ; Zanelli, Ae Schiave orientali a Firenze nei secoli XIV eXV, 1885 ; Brandi, Il Papatoe la Schiavitii, 1903 ; Verga, Per la Storia degli schiavi orientali in Milano, dans Archivio Storico Lombardo, sept. 1906 ; Rodocanachi, Les Institutions communales de Home sous la Papauté, 1901 ; Les esclaves en Italie du xiii^ au xvi siècle, dans Bévue des Questions historiques, ayril 1906 ; Pastor, Geschichte des Pâpste, t. V, 1909, p. 721.)

2* Les ordres religieux et l’esclavage. — Il y avait des esclaves chrétiens dans tous les pays musulmans. Mais c’est surtout quand l’Afrique du Nord eut été entièrement conquise, et quand eut succombé Constantinople, que fut menacée la lil)erté des riverains de la Méditerranée, et même des riverains de toutes les eaux chrétiennes. L’Egypte, Tripoli, Tunis, Alger, le Maroc, étaient remplis d’esclaves. Les chrétiens s’occupèrent activement de la délivrance de ces frères captifs. En Espagne, des hommes d'élite, formant un corps moitié religieux moitié militaire, sont chargés de racheter les captifs des Sarrasins. Une pensée analogue n’est pas étrangère au projet de voyage de saint François d’Assise en Afrique. Les dominicains et les franciscains vont dans ces régions visiter les chrétiens esclaves. Leur délivrance est, non moins que celle des Lieux Saints, le but des deux croisades de saint Louis, et le traité signé après sa mort par Philippe