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ESCLAVAGE

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et contre lequel l’Eglise avait le devoir de réagir. Elle le lit, comme il convenait, avec une extrême prudence, s’occupant d’abord d’une seule chose, la solidité du n^ariage contracté entre esclaves. Cette solidité est svibordonnée à une condition, que laissent subsister les conciles : les personnes soumises aupouvoir d’autrui, comme l’étaient les esclaves, ne peuvent se marier sans le consentement de leurs maîtres.

« Lorsqu’un homme et une femme esclaves, dit

le 4° concile d’Orléans (540, s’enfuient dans une église pour s’y marier contre la volonté de leurs maîtres, ce mariage est nul, et les clercs ne doÏAent pas s’en faire les défenseurs. » Mais de ces pai’oles mêmes il résulte, logiquement, que les clercs doivent protéger les esclaves dont le mariage a été régulièrement contracté. C’est l’exemple donné par le pape saint Grégoire le Grand, qui qualifie de « crime énorme », tantuni nefas, la séparation violente de deux esclaves mariés, et menace des censures ecclésiastiques l’évêque qui l’avait soufferte dans son diocèse {Ep., IV, xii). Un touchant et tragique récit de Grégoire de Tours montre même un prêtre de campagne essayant de prendre contre un maître barbare la défense de deux esclaves qui, après s’être mariés sans autorisation, s’étaient réfugiés dans son église {Hist. Franc., V, 3). Les conciles du vm’siècle rétablissent enfin le droit et la discipline dans leur pureté ancienne : les canons 13 de celui de Verberie (762) et 5 de celui de Compiègne (769) reconnaissent formellement la validité des mariages contractés, avec connaissance de cause, entre des hommes libres et des esclaves.

L’observation du dimanche et des jours de fête chômées était pour l’esclave un grand bienfait. Dans le double intérêt de son àme et de son corps, les conciles s’appliquent à le lui assiu-er. Le concile tenu à Auxerre en 578 ou 585, le canon 18 du concile tenu à Chalon-sur-Saône au milieu du vu’" siècle, défendent de faire travailler les esclaves le dimanche. Le caractère élevé de cette prohibition est marqué dans un canon du concile tenu à Rouen en 650, qui ordonne aux maîtres de laisser assister à la messe, au moins les jours de dimanche et de fête, « les bouviers, les porchers, les autres pâtres, les laboureurs, tous ceux qui demeurent continuellement dans les champs et y vivent comme des bêtes. Ceux qui les négligeront répondront de lem-s âmes et auront un compte rigoureux à en rendre, car le Seigneur, en venant sur la terre, n’a point choisi pour disciples des orateurs et des nobles, mais des pêcheurs et des gens de rien ; et ce n’est pas à de hautes intelligences, mais à de pauvres bergers, que l’Ange a annoncé en premier lieu la nativité de notre Rédempteur ». Les conciles anglo-saxons, dont les décisions passèrent habituellement dans les lois du pays, punissent de peines temporelles les maîtres qui contraignent leurs esclaves à travailler le dimanche : un concile tenu en 691 ou 692 sous le roi Ina de ^Yessex déclare que, dans ce cas, l’esclave deviendra libre : une sentence du roi, rendue en conformité de cette défense, ajoute à la perte de son esclave la condamnation du maître à une amende (Thorpe, Ancient Lcms and Institutes of England, t. I, p. io5). Le concile de Berghamsted (697) est moins sévère, et se borne à condamner le maître à l’amende, mais dans un autre canon déclare libre l’esclave que son maître aurait contraint à manger de la viande en temps de jeûne.

On sait que les empereurs chrétiens avaient interdit aux Juifs la possession d’esclaves baptises. Les conciles de l’époque barbare insistèrent sur cetle défense. Des canons soit interdisant de vendre à des Juifs des esclaves chrétiens, soit autorisant tout fidèle à les racheter, soit même les déclarant libres sans

rachat, sont édictés par le quatrième concile d’Orléans (54 1), le premier concile de Màcon (58 1), le troisième concile de Tolède (589), le premier concile de Reims (625), le quatrième concile de Tolède (633), le dixième concile de Tolède (656). Ces canons ont pour principal objet de défendre la conscience des esclaves contre le prosélytisme des Juifs ; mais ils ont un second objet encore. « On sait qu’à cette époque il y avait dans la Gaule des gens, et spécialement des marchands juifs, qui faisaient une espèce de traite, et qui vendaient des esclaves chrétiens aux nations étrangères. » (Yanoski, De Vabulitiun de Vesclas’age ancien au moyen âge, 1860, p. 49) Les conciles se préoccupent d’entraver ce commerce. L’interdiction aux Juifs de posséder des esclaves chrétiens leur ôtait les moj-ens d’en trafiquer. Mais un obstacle à la traite plus puissant encore était la défense de vendre des esclaves au dehors. Celle-ci est édictée par le neuvième canon du concile tenu à Chalon-sur-Saône entre 644 « ^t 650 :

« Aucun esclave ne peut être vendu en dehors du

roj’aume de Clovis (II) » ; règle que, devenue régente, la veuve de ce roi, sainte Bathilde, ancienne esclave elle-même, transforma en loi de l’Etat.

La Gaule n’était pas le pays où sévissait le plus la traite : après la conquête saxonne, la Bretagne insulaire devint un des principaux centres de l’exportation des esclaves. Non seulement les indigènes, mais encore leurs propres compatriotes étaient vendus par les conquérants aux marchands venus du continent. La Rome du vi’siècle était l’un des marchés alimentés par ce commerce : on sait comment saint Grégoire le Grand, touché de la beauté « angélique » des jeunes enfants anglais exposés sur le Forum, conçut le dessein de révangélisation de l’Angleterre, et, devenu pape, l’accomplit. Quand le christianisme eut repris possession de ce pays, les évêques et les moines réunirent leurs efforts pour améliorer la situation des esclaves : auvii’^ siècle, l’évêque moine Aidan consacrait ses richesses à leur rachat ; plus tard, l’évêque ^Vulstan décida les marchands d’esclaves de Bristol à abandonner leur commerce. Au sj’node de Celchyth, les évêques s’engagèrent à affranchir, lors de leur décès, tous les serfs de leurs domaines qui avaient été réduits en servitude par misère ou par crime (voir Keble, Saxons in England, t. II, p. 3^5 ; Lingard, History of England, trad. Roujon, t.I, p. 168 ; Green, Histovy of English People, p. 54).

Comme aux premiers temps de l’Eglise, nombreux étaient, à l’époque barbare, les esclaves désireux du sacerdoce. En Irlande, l’apôtre de cette île, saint Patrice, fait insérer dans la loi nationale une clause déclarant libre sans condition l’esclave qui se consacrerait au service de Dieu (Sanckus Môi t. I, p. 31). Les conciles francs du siècle suivant n’osèrent le suivre dans cette voie. Ils n’osèrent même adoiJler l’interprétation libérale de l’empereur Juslinien, pour qui « si un esclave avait été ordonné clerc, le maître le sachant et n’y contredisant pas, il devenait, par le fait de son ordination, libre et ingénu » (Novelle cxxiii, 17). Les conciles maintinrent l’ancienne règle, remontant au moins au iv’siècle, et renouvelée par les papes saint Léon et saint Gélase, qui exigeait que les futurs prêtres eussent d’abord été formellement affranchis. Ils respectaient avec scrupule le pouvoir du maître, et peut-être craignaient-ils que, par la porte du sacerdoce, une partie de la population servile ne s’échappât, au risque de modifier l’état des fortunes et d’amener un bouleversement économique et social. C’est par des peines canoniques imposées à l’évêque qui a fait l’ordination, non par l’annulation de celle-ci, qu’ils font respecter la règle. Le concile tenu à Orléans en 5Il condamne l’évêque qui, en l’absence et à l’insu du maître, a sciemment ordonné