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ESCLAVAGE

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plèbe amusée et enlrelenue aux frais de l’Etat (HoRACK, II Carin., xvii, 28-28 ; Quixtiliex. Declain., XII, 2 ; XIII, II, 12 ; Sknkque, Ep. Lxxxix). Mais de là aussi l’arrêt de tout progrès industriel car les travailleurs esclaves n’ont pas diutôrct à inventer ; de là encore la décadence de l’agriculture, dont Pline (Nat. Hist., XYIII, ;  ;) définit les causes d’un mot énergique, quand il dit que « la culture des champs par la population des ergastules est détestable ». et que « la terre se resserre avec une sorte d’indignation, quand elle se sent touchée par des pieds et des mains enciiaînés )i. Le moment approche, ou plutôt il est déjà venu dès le règne deTibère (Tacite, Aiin., III, 5^), où l’Italie ne suffira plus à nourrir la seule Aille de Rome.

Mais les conséquences économiques de l’esclavage paraissent peu de chose, quand on regarde à côté d’elles ses consécquences morales. Les premières victimes de l’esclavage sont les maîtres. Dans les familles riches, le pédagogue chargé de survciller 1 éducation de l’enfant est le plus souvent un esclave, et plus d’une fois son élève a été corrompu par son immoralité ou sa faiblesse (Valère Maxime. VI, 13 ; Tacite, De orat., 28, 2g ; Suktoxe, Nero, 6 ; De ill. gramm.^ 3, 5, 28 ; Plutarque, Cato major, 20 ; De ediic. puer., ^ ; Epictète, Diss., III, 26 ; Ulpiex, au Digeste, Xh,

II, 13 ; Plauth, Mercator, I, 11, 89-91 ; Pseuduhis, I, x, 31 ; Bacchides, I, 11, 24-54 ; HI, iii, 30-44 ; Térence, Phormio, I, 11, 71-79)- Mais c’est le pouvoir absolu sur tant d’existences humaines qui est le vrai corrupteur, en exaltant l’orgueil jusqu’à la démence, en insjnrant la cruauté, en flattant la moUessse, en offrant de toutes parts des occasions à la débauche (Sénèque, De bre^’. i-itae, 12 ; De ira, i, 4> 12, 16 ; 11. 5, 25 ; iii, 21, 24, 29, 30 ; De vita beata, 12, 15 ; De Providentia, 3 ; Ep. 46, 06 ; Coiitrov., iv, prolog. ; Aulu Gelle, Noct. ait., i, 24 ; PÉTRONE, Saf., 34, 45, 53, 54, 67, O9, 126 ; Lucien, Nigriniis, 34 ; Plaute, Captii, II, i, 133 ; Ovide, Amor., i, i, 19 ; vii, 21 ; xrv, 14 ; Ars amat., i, VI, 19 ; II, , 82 ; JuvÉNAL, Sat., VI, 122, 279. 330, 48û483, 490-495 ; XIV, 14). Quant à l’esclave, son malheur peut se résumer par le mot d’un jurisconsulte : « Une tète servile n’a pas de droits », ser^-ile capat nulhun jus liahet (Paul, au Digeste, IV, v, 3).

L’esclave n’a même pas toujours droit à la vie, puisqu’il y a des esclaves gladiateurs, dont le métier est de s’entre-tuer. Il n’a pas de droit sur sa personne : les mots vertu, devoir, pudeur, n’ont pas de sens pour qui est au pouvoir d’autrui, pour qui, selon une grande parole de saint Thomas d’Aquin, a en autrui sa fin unique. « Les choses honteuses — dit un esclave dansunecomédiede Plaute— doivent être considérées comme honorables quand c’est le maître qui les fait. » Rien de ce qu’il ordonne — lisons-nous ailleurs — n’est dégradant. L’impudicité est un crime chez riiomme libre, une nécessité chez l’esclave, un devoir pour l’atTranchi. » (Plaute, Bacchides, 1, 11, 53-54 ; Captivi, II, I, 133 ; Pétrone, Sat.. yo ; Sénèque, Contrat., IV.) L’esclave n’a pas de droits de famille. Il ne possède pas de nom qu’il puisse transmettre aux siens, mais seulement un prénom, qui le distingue de ses compagnons (Quintilien, Iiist. orat.. Vil, 3, § 2O). Nul pouvoir ne lui appartient sur sa compagne et sur ses enfants : Quem patrein qui serras est : {^.VTV., Captivi,

III, IV, 508.) Son union ne porte pas le nom de mariage : la loi ne la reconnaît pas, par conséquent n’en assure pas la durée, ne la défend pas contre l’adultère, qui n’existe pas entre esclaves (Papinien, au Digeste, XLVIII, v, G ; loi de 290, au Code Justinien, IX. IX, 28). et, comme il n’y a pas non plus entre esclavcs de parenté légale, ne la garantit pas contre l’inceste (Ulpien. Paul, au D’ : g.. XXIIl, viii, i, 2 ; x, 10, § 5 ; MoMMSEN, /user, regni Xeap., 7072 : cf. Pom poNius, Paul, au Dig.. XXIII. 11. 8. 14). La Aie la plus intime de ce painre simulacre de famille est, comme à Athènes, soumise au bon plaisir du maître (Colu-MELLE, De re rust.. XI, 4)- Cependant les Romains, qui mettaient généralement leur orgueil ou leur intérêt à posséder l)eaucoup d’esclaves, se préoccupent moins de limiter la fécondité des couples serviles. Certains maîtres exposent les enfants qui naissent de leurs esclaves (Clément d’Alexandrie. Pædag., III, 4), ou usent de moyens criminels pour les empêcher de naître (Ulpien, au Dig., XL. au, 3). Mais la plupart cherchent plutôt à en accroître le nombre : on achète plus cher une esclave féconde, s’entrem cum lilieris (Marc ; ien. au Dig., XXX, i, 21), et l’on récompense parfois par l’affranchissement celle qui a mis plusieurs enfants au monde (Columelle. I, 8 ; Try-PHONiNus, Ulpien, au Dig., XXXIV. a-, 10).

Ainsi l’esclaAC romain, qu’il travaille ou qu’il enfante pour le maître, est ravalé au rang d’un animal ou d’un meuble, c’est-à-dire d’un être dépouillé de tous les attributs de la personne humaine (Sénèque. Ep., xLAii). C’est « un corps », ce n’est pas ce composé d’àme et de corps qui constitue l’homme complet : cellis servilibus e.rtracta corpora (Valère Maxime, VII, a’i, i ; même expression chez les Grecs : Aoir FoucART. Inscriptions de Delphes). En conséquence, les esclaves paient à la douane le même tarif que les chevaux et les mules (Renier, Discript. de l’Algérie, 5’3). Il faut attendre jusqu’au second siècle de notre ère pour trouvcr un écriA ain (Plutarque, Cato major, 5) qui proteste contre ce conseil de Caton au père de famille économe : « Vendez les AÙeux boeufs, les Acaux et les agneaux sevrés, la laine, les peaux, les Aieilles Aoitures, les Aieilles ferrailles, le A ieil esclaAC, l’esclave malade. » (De re rustica, 2.) On comprend les accès de désespoir qui prenaient soinent les esclaves et les poussaient au suicide (Sénèque, De ira, III, 5 ; Apulée, Metam., VIll ; Ulpien, au Dig., XXI, I, i, 17, § 5 ; 28, § 8) ; les révoltes ser-A’iles qui j)lus d’une fois menacèrent Rome (Diodore de Sicile, Fragni., xxxia’^, 2 ; xxxa’i, 2-10 ; Florus, Epit. rer. rom., iii, 9, 20 ; ia", 18 ; Appien, Debellocis :. !  ; Plutarque, M. Crassus, 8-10 ; Salluste, Catitina, 26, 30 ; CiCÉRON, Pro domo, 34, 42 ; Pro Cælio. 82 ; Pro Plancio, 30 ; Pro Se.rtio, 21 ; Philip., i, 2 ; Ad Attic, XIV, x) ; les attentats de toute sorte contre les maîtres (Sénèque, Ep., cvii, 5 ; De Cleni., I. 2O ; Xat. Quæsf.. II, 89 ; Sidoine Apollinaire, Ep.. VIII, xi) ; les rigueurs auxquelles ceux-ci étaient forcés pour se défendre (Cicéron, De Off’., 11. 17 ; Sénèque, Ep., vi ; Ulpien, au Dig., XXIX, a-, i), et la terrible loi qui euA’oyait au supplice tous les esclaves d’un maître assassiné (Cicéron, Ad fa mil., IV, xit ;.Sénèque. Ep. Lxxiii ; Tacite, Ann., XIV. 42-45). La Aie des esclaves eîit été absolument intolérable, si le législateur romain n’avait essayé de les protéger. Cette protection futtardiA-e. Védius Pollion avant fait jeter un esclave dans le A’ivier où s’engraissaient les murènes, pour le punir d’avoir cassé un Aase de cristal, Auguste ne le punit que par le bris de tous ses cristaux (Sénèque, De ha, I, 40 ; De Clem., i, 18 ; Pline, Xat. Hist., IX, 29 ; Tertullien, De Pallia, 5). Il faut attendre jusqu’au règne de Claude pour trouver une loi obligeant les maîtres à prendre soin de leurs esclaves malades (MoDESTiN, au Dig., XL, aiii, 2).

On se tromperait beaucoup si l’on exagérait la portée de la protection depuis lors accordée auxesclaves, et surtout si l’on prêtait aux juristes et aux gouvernants romains des desseins tout à fait étrangers à leur esprit. <f La grande école de jurisconsultes sortie des Antonins — écrit Renan — est toute possédée de cette idée que l’esclavage est un abus, qu’il faut doucement supprimer. Si le mouvement qui part