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ESCLAVAGE

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Moïse ait jugé le maili-e suirisamment puni par le iloininage pécuniaire résultant de la perte de son esclave.

La loi mosaïque punissait de mort la vente des hommes libres (Exode, xxi, 16). Cependant elle autorisait l’Israélite à se vendre lui-même, et à rendre ses enfants, dans le cas de misère extrême (f.é’itique, XXI, 39, 47 ; Exode, XXI, 7). Elle punissait par l’esclavaj’e le voleur cpii n’avait pu payer l’amende {Exocle, XXII, 4)- Il semble résulter d’un texte de l’Exode (xxii, 32) que le iirix moyen d’un esclave était estimé à trente sicles, environ 85 francs de notre monnaie : c’est exactement la somme que les princes des prêtres donnèrent à Judas pour prix de la livraison du Sauveur (Matthieu, xxvi, 1 5 ; voir la note sur ce verset dans La Sainte Bible polyglotte de ViGOtROUx, t. VII, 1908, p. 125).

Sans le dire expressément, la loi mosaïque interdit de posséder des eunuques, puisc|ue, sans doute pour inspirer au peuple l’horreur d’odieuses mutilations, elle défend de châtrer même les animaux (f.és’iliqiic, XXIV, 24 ; Deutéroiwme, xxiii, 1). Cependant l’imitation des cours étrangères avait introduit des eunuques dans le palais des rois juifs (I Bois, viii, 15 ; III Bois, xxii, 9 ; IV Bois, xxiii, 2 ; xxiv, 12, 15 ; xxv, 19 ; Jérémie, xxix, 2 ; xxxiv, 19 ; xli, 16 ; il me parait probable que dans I Paratipoiiien., xxviii, i, ce mot signifie plutôt une charge de cour). La charité des prophètes lînit par s’étendre sur ces malheureux, car, bien que Moïse eût interdit aux eunuques d’assister aux assemblées du culte (Deutéronome, xxiii, 1), Isaïe (lvi, 4-5) leur fait entendre de touchantes paroles de fraternité religieuse.

Les prophètes, interprètes de la loi, s’étaient faits ainsi les protecteurs des esclaves. Un jour, au milieu des périls de l’invasion assyrienne, le roi Scdécias et le peuple tout entier s’engagèrent à renvoyer libres l’esclave et la servante de race juive et à ne plus les asservir (590 avant J.-C). Ils manquèrent ensuite à ces engagements. Jéréinie (xxiv, 8-22) les leur rappela, en accompagnant son avertissement de menaces terribles. Plus tard, à peine échappé de la captivité de Babylone, Israël retomba dans une faute analogue. Dans la poignée d’Israélites ({ui travaillaient à rebâtir les murailles de Jérusalem, il se trouva encore des riches pour mettre les pauvres sous le joug de l’esclavage, et des pères sans entrailles pour vendre leurs lils et leurs tilles au dehors. Alors retentit la voix de Néhémie (II Esdras, v, 6-7), pleine des mêmes menaces et des mêmes mahklictions.

Les penseurs d’un âge plus avancé du judaïsme ont fait remarquer la beauté morale de la législation mosaïque relative aux esclaves : l’historien ecclésiastique EusKBE reproduit (Præpar. evang., viii, 78) de remarquables ])assages du juif alexandrin Philon sur ce sujet. On sait que la secte juive desEsséniens, contemporaine des premiers temps du christianisme, avait absolument exclu de son sein l’esclavage (Eusèbr, Præp. ev., viii, 12 ; Joskpiie, Ant. jud., XVIII, i, 5). L’Évangile, tableau si vivant de la société juive, ne mentionne fjue très rarement les esclaves : il est quelquefois question, dans les paraboles de Notre-Seigneur, de coû/ii récomj » ensés ou punis, mais sans qu’il y soit fait allusion à des événements réels, et sans que ces narrations aient pour cadre un pays déterminé : l’esclave dont la guérison nous est racontée (Luc, vii, 2-10) appartient à un Romain, non à un Juif. La parabole de l’enfant prodigue emploie alternativement les mots mercenaires, y-i^Ooi, et esclaves, ôiO/c^i, pour désigner les scjviteùrs, -y.lSsi, et montre ceux-ci prenant part au repas de fête (Luc, XV, i ; j, 18, 22, 23). L’Evangile met en scène des artisans de tous les métiers, et nous laisse sous l’impres sion d’une société où ceux-ci étaient nombreux. Une des causes de la situation meilleure faite de tout temps aux esclaves chez les Juifs, c’est que la nation juive, contrairement à presque tous les peuples de l’antiquité, a^ ait en estime le traA ail manuel, travail de l’industrie ou travail des champs. Elle ne l’acceptait pas seulement comme une peine, conformément à la parole de la Genèse (11, iG) : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front » ; elle voyait encore en lui raccomplissement d’une loi primordiale et une source de progrès, selon cette autre parole d’un de ses livres inspirés : « Parce que tu auras mangé du fruit du travail de tes mains, tu seras heureux et tu prospéreras. « (Psaume cxxvii, 2.) De cette estime pour le travail découlent l’estime pour le travailleur, le sentiment des devoirs de justice envers lui (Deutéi : , XXIV, 15), et une plus grande équité pour l’esclave (voir Zacloc Kaiix, L’esclavage selon la Bible et le Talniud, 1867 ; Wallon, Hist. de l’escl., t. I, p. 2-20 ; Pavy, Affranchissement des escla’es, iS^S, p. 34-45).

3° L’esclas’age chez les Grecs. — Il en était tout autrement non seulement dans les grandes monarchies orientales, mais encore chez les Grecs. Parlant du mépris dans lequel ceux-ci tenaient les artisans :

« Je ne puis juger avec certitude, écrit IIéuodote

II, 167), si les Grecs ont reçu ces usages des Egyptiens, puisque je vois les Thraces, les Scythes, les Perses, les Lydiens et presque tous les Barbares mettre au dernier rang dans leur estime ceux des citoyens qui ont appris les arts mécaniques, ainsi que leurs descendants, et considérer comme plus nobles les hommes qui s’alfranchissent du travail manuel… Ces idées sont celles de tous les Grecs. »

On ne saurait dire si le préjugé contre le travail manuel fut chez les Grecs une des causes ou un des elTets de l’esclavage. Les poèmes homériques et le poème d’Hésiode montrent, dans la Grèce des temps licroïques, le travail manuel exercé sans déchéance par les hommes libres, et l’esclavage existant déjà, produit de la conquête et de la piraterie, sans que le nombre des esclaves soit encore très grand (Wallox, t. I, p. 62-88 ; GuiRAUD, Etudes économiques sur l’antiquité, 1905, p. 28-38). Ce qui est particulier à la Grèce, c’est d’avoir eu, à l’époque de son plus grand développement intellectuel, une philosophie de l’esclavage. Les Grecs sont le premier peuple qui, pratiquant l’esclavage en fait, ait essayé de le justifier en droit.

Voyons d’abord le fait, La servitude eut dans le monde grec deux formes principales : le servage rural et l’esclavage domestique. En Laconie, en Thessalie, en Argolide, en Crète, dans certaines colonies grecques de l’Illyrie et du Pont-Euxin, c’est le servage rural qui domine, ou du moins c’est sur lui que nous sommes le plus renseignés. Les serfs sont presque toujours les débris de peuples primitifs, vaincus et subjugués par des races conquérantes. Ils dépassent beaucoup leurs maîtres en nombre et en force réelle. Des statistiques faites après coup, par conséquent d’une vérité seulement approximative, comptent à Sparte environ 1 00.000 périèques, population inlVrieurc, exclue des droits politiques, mais libre, et plus de 200, 000 ilotes, véritables serfs de la glèbe, cou tre30. 000 ou 32. 000 citoyens, qui vivent dans une oisiveté obligatoire, s’occupant seulement du gouvernement et de la guerre, et nourris par les reclevances des ilotes. La condition de ceux-ci est, à première vue, supportable. Ils ne peuvent ni être condamnés à mort par leurs maitres, ni être vendus hors du pays. Leur redevance, payable en nature, est invariable, et tout ce qu’ils gagnent de surplus leur appartient : certains deviennent assez riches pour se