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EPIGRAPHIE

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admiraient ; quelques-uns même s’y essayèrent. Voir Le Blant, L’L’pigr. chrét., p. 102 suiv. ; Z’es sentiments d affection exprimés dans quelques inscriptions antiques {Mémoires de l Acad. des Inscr. et Belles-Lettres, t. XXXVI, I, p. 220-233) ; BEURLiEU, To/es sur les épitaplies d’enfants et l’épigrafjhie chrétienne primi</te(Soc. des Antiq. de France. Centenaire 1804-1904. Rec. de mémoires, p. 55-60).

En voici d’autres que le paganisme ignora ou méprisa, et dont les chrétiens sont à peu près les seuls à nous donner des exemples d’une grande beauté. Les jeûnes (Le Blaxt, youw Rec, n°* 133, 44’)> 1^ pénitence (Rec, n°" 663, cf. 66, 023), la Aie religieuse la continence dans le mariage, la virginité nous ré-A’èlent un idéal qui resta au-dessus des âmes païennes les plus élevées. Que l’on compare à la matrone romaine domiseda, lani/îca, le portrait de cette Gauloise de Vienne, qui conviendrait à tant d’autres de ses sœurs dans la foi : castitas, fides, caritas, pietas, oùsequium, etquæcumque Deus f’oeminis inesse præcefjit, his ornata bonis Sofroniola in pace quiescit {Rec, n° 438).

Plus que d’autres encore, l’humilité est une vertu spécifiquement chrétienne qui tend à reproduire les abaissements du Christ, si souvent raillés des païens. Cf. V. g. Le Blant, Le Christianisme aux veux des païens (Mélanges de lEcole de Rome, VU, p. 196-21 1). Or les chrétiens ont éprouvé de bonne heure l’attrait de l’humiliation : on le constate à l’eiracement voulu, dans leurs inscriptions, de tout ce qui rappelle le’( monde », à la discrétion de telles formules (v. g. quorum Deus nomina scit), au titre de « pécheur » <pie quelques-uns n"hésitent pas à revendiquer, et à tant d’autres indices où l’on devine des âmes ennemies de la parade et conliantes dans le seul Dieu qui sonde les cœurs. Leur humilité a même des expressions inattendues. On sait dans quel esprit les Romains et les Grecs choisissaient leurs noms : Pietas, Probitas, Eutychus, Melite, ILedone, Lefws, Eros, Amoenus, Elegans, Amor^ Suas’is, Jucundns…

« talent des noms favoris, car ils rappelaient des

idées élevées, riantes, des qualités gracieuses ou tVheureux augure ; souvent l’alféterie ou la mignardise étaient poussées plus loin : les noms de parfums, de fleurs, d’oiseaux, de pierres unes ne sont pas rares, on en paraît volontiers les enfants ou les esclaves. Le Blant, L’Epigr. chrét., p. 93.

Sans donner dans ce travers, les chrétiens affectionnaient les noms qui éveillaient une idée de joie et de ïcloive{Vincentius, Victor, Gaudiosus, LIilaris) et les appellations qui désignent une qualité morale {Digna, Decentius, lienignus, Casta), cf. Le Blaxt, Jiec, I, p. 155 et 350. Cependant, malgré ce goîit pour les noms joj’eux, nous en voyons apparaître qui représentent autant d’injures. Alogia, Alogius^ Insapieniia, In/uriosas, Calumniosus, Coiitumeliosus, Imf)ortunus, Exitiosus, Foednlus, Malus, Malu.Pecus, I-’rojectus, Stercus, >7erfo/vHs reviennent assez souvent dans les inscrii)lions chrétiennes pour qu’on se jiréocciipe lie sa^oir rpiel goût étrange a’ail inspiré le choix de ces vocaJjles ridicules ou abjects. Or il est impossiljle de ne pas être frappé de la correspondance assez exacte entre ces noms et les invectives sans nombre proférées contre les chrétiens, à l’époque des persécutions. Ne leur a-t-on pas reproché leur stupidité, leur démence ? Xe les a-t-on pas accusés d’attaquer l’empereur, les dieux, de causer les malheurs publics ? Leur a-t-on épargné le mépris sous toutes ses formes, même les plus triviales ? Cf. Dict. d’Arch. chrét., s. V. Accusations. Longtem[)s ils purent répéter avec S. Paul : « Blasphemamur et obsecramus ; tanquam j)urgamenta hujus inundi facti sumus ; omnium perijjscma usque adhuc » (I Cor., iv, 13). Et il semble

bien que leur humilité ait reçu linsulte avec une résignation joyeuse, qu’ils s’en soient même glorifiés et qu’ils aient retenu avec amour, jusque dans la paix de l’Eglise, les appellations dérisoires qui, en rappelant les épreuves passées, consacraient l’espoir des récompenses promises aux âmes patientes et résignées {Rom., V, 3-4). Cf. Le Blant, Rew arcliéol., 1 864, II, p. 4-’ ; Rec, p. CI et suiv. ; II, p. 64-70 ; L’Epigr. chrét., p. 93-96 ; voir aussi les observations de R. Mowat sur la thèse de Le Blant, Res’. archéol., 1868, I, p. 355-363.

, :) Conception de la mort. — Ces quelcques détails empruntés aux inscriptions éclairent certains aspects de i’àme chrétienne, et ce ne sont pas les moins intéressants. Nous pouvons, une fois de plus, constater, et jusque parmi les plus humbles, à quel point le christianisme a transformé la vie morale. Son action n’a pas été moins profonde dans le domaine des idées. Un exemple suffira. Voyons comment l’idée de la mort apparaît transfigurée par la foi.

Nulle part la dislance qui séparait les deux « cités » ne se mesure plus exactement que sur les tombes. Poiu- les païens tout finit là ; pour lé chrétien, c’est là que tout commence. Aussi, dans l’épigraphie chrétienne, nous ne retrouvons plus ces accents déchirants qu’arrachait souvent le désespoir, à la disparition d’un être aimé à jamais perdu ; plus de traces non plus de ces sentences narquoises, inspirées par l’épicurisme, et que le défunt était censé adresser aux passants pour les engager à cueillir les joies éphémères de la vie ; disparues aussi ces consolations banales que développent les « consolationes » païennes et que résume la formule funéraire « jiersonne n’est immortel ; >, « la vie, c’est ça (= la tombe) « ; on ne rencontre plus les souhaits, si tristes dans leur néant, que les vivants adressaient à ceux pour qui ils ne pouvaient plus rien : « que la terre te soit légère »,

« repos à tes os ».

La douleur apparaît encore, sans doute ; elle trouve même parfois des accents si Ai-ais et si profonds, qu’on se sent ému de ces chagrins dont on lit la confidence. Mais ces larmes ont de la douceur, car elles ne sont pas sans espérance ; la mort du Christ a transûguré la mort. Ce n’est plus l’anéantissement, c’est la remise de l’àine entre les mains de Dieu, c’est un passage. Rien n’est plus expressif que certains mots nouveaux, adoptés par les chrétiens pour nommer la tombe et dissimuler les tristesses de la mort : la tombe est un lit de repos, la mort un sommeil, Miijr, i : r, pt.’yj^ y.(ii’y.r, 7u, kxoiuLr, 6r, ^ qiiiescit, quies, dormit. Cf. Monum. Eccles. lilurg., p. c, note 2, p. cxxiv-cxxxi. La perspective de la résurrection console des tristesses de la tombe où Aient seule dormir l’eiweloppe passagère (hospita caro. Le Blant, Rec, n° 226) ; le corps l’attend dans le sommeil {y.’jijj.f-f.iii^j koii à„ry.7Tc/.7î(, ti) alors que l’âme est déjà dans lu lumière de Dieu, //( luce Domini (Dieiil, n"’122, 129, 131, 133, 134). Quand on a déchiffré sur des tombes l’expression de cette attente humble et joyeuse (diem f’uturi iudicii, intercedentibus sanctis, lætus spectit. Diehl, n" 133), on n’est plus surpris de voir api)eler les défunts~des « vivants » (cf..Monum., n » 2968 : D. M. IXeVi : Zi^XTiiN ; 3364 : Alexander mortuus non est, sed vii’it sufter astra). Ainsi entendue, la mort n’est même plus une séparation : on prie pour les défunts, on se recommande à leurs prières ; on n’a pas l’illusoire espérance de ne les plus revoir qu’en songe, consolation fragile à huiuelle se rattachaient, dans le paganisme, des âmes désolées :

/ta peto i’os, mânes sanctissimi, commendatum habeatis meum curum ut vellitis huic indulgentissimi esse, horis nocturnis ut eum yideam… CIL, VI, 18817).