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ANIMISME

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mouvement et toutes les manifestations de la vie à l’action d’un ou de plusieurs êtres spirituels qui habitent en lui ; dans la nature, elle expliquerait tous les phénomènes et les événements par l’action d’un nombre considérable d’esprits, sembhibles à l’àme de l’homme.

Cette conception du monde n’est pas la religion ; mais le germe d’où elle sortira, par un développement naturel. De religion on ne peut parler que le jour où l’homme entre en relations avec l’une ou l’autre de ces puissances spirituelles, leur rend un culte et les adore. On peut, en principe, séparer la croj’ance aux esprits, ou animisme, de l’adoration des esprits, ou religion ; mais l’usage a prévalu de désigner par ce nom d’animisme l’une et l’autre chose.

L’animisme, tel que nous l’étudions ici, est une lij’polhèse qui prétend expliquer l’origine de la Religion par la double croyance des peuples primitifs en l’existence des âmes individuelles et des esprits, Les hommes, les animaux, les plantes et les objets inertes seraient animés d’une àme qui leur survit. En outre, des esprits conçus sur le type de l’àme humaine régiraient la vie de l’homme et les événements du monde. Peu à peu quelques-uns se seraient transformés en dieux dans l’imagination populaire, et plus tard constitués en hiérarchie, d’après le modèle de la société civile. Le culte rendu à ces esprits constitue la Religion.

Cest Edward Tylor qui, le premier, a présenté d’une façon complète et scientifique l’hypothèse animiste, dans son ouvrage intitulé Primitive culture, London 1871, traduit en français par Ed. Barbier, 1878 (Paris, Reinwald). Tylor peut être considéré comme le père de l’animisme, qui lui doit son importance actuelle dans la science des Religions.

« L’animisme, disait-il, est le principe de la philosophie

religieuse, depuis celle du sauA âge jusqu’à celle des peuples civilisés. » H. Spexcer (1820-1903) dans ses Principles uf sociologr (1876-1882) place, comme Tylor, l’origine de la religion, dans le culte primitif des âmes ; mais il diffère de lui sur plusieurs points de détail. En Allemagne, on iieut citer trois auteurs principaux qui se sont spécialement occupés de cette question ; ce sont Frohschammer, Gasparri et Julius LiPPERT. Séparés par quelques nuances dans les détails, tous ces auteurs sont d’accord sur ce jirincipe fondamental : la Religion et la croyance en Dieu se sont développées du culte primitif des âmes ; Iv : ^ dieux du paganisme, aussi bien que le Dieu du monotliéisme, furent à l’origine des esprits, qui, sous l’inlluence des honneurs qu’on leur rendait, se virent peu à peu élevés à un rang supérieur. Animisme, spiritisme, fétichisme, poljdémonisme, poljthéisme, hénothéisme, monothéisme, telles sont les étapes du déveh)p])emcnt.

Cette hypothèse animiste, émise par des savants d’une grande valeur, a pénétré de nos jours comme une vérité hors de doute pour noml)re d’auteurs modernes, dans certains manuels d’histoire des Religions, qui cxpliquent par une évolution naturelle le passé religieux de liiumanité, évinçant toute idée de surnaturel. Il y a lieu d’étudier d’assez près ce système. On fera donc : 1° l’exposé détaillé de l’animisme d’après Tylor, Spencer et Lippert ; 2° la critique de l’animisme. 3" On tirera quelques conclusions.

II. Exposé détaillé de l’animisme. — Tylor étant considéré comme le iiriiicipal auteur de rànimisme, on ex[)osera son système d’a|)rès son Primitis’e culture, et on signalera les quehjues divergences de Spencer et de Lippert.

D’après Tylor, l’animisme comporte deux grands

dogmes. « Le premier a trait à l’àme individuelle, dont l’existence peut se prolonger après la mort, c’est-à-dire après la destruction du corps ; le second a rapport aux autres esprits, y compris les divinités suprêmes. » (Cf. Tyloh, np. cit., tome I, p. 494-)Ces esprits exercent une influence sur la vie de l’homme, et sur les phénomènes du monde matériel ; il importe donc de se les rendre favorables ; cette préoccupation inspire des actes de culte et de propitiation (sacrifices et prières). Mais l’élément moral, si important dans les religions des races supérieures, apparaît à peine dans l’animisme. L’union des préceptes moraux et de la philosophie animiste est à peine ébauchée.

Ces différentes questions seront étudiées sous quatre titres : 1° la doctrine animiste de l’âme indis’iduelle ; 2" la doctrine animiste des esprits ; 3° les sacrifices ; 4’^ l animisme et la morale.

i"Za doctrine animiste de l’âme individuelle. — Le premier article de la doctrine animiste de Tjlor, celui qu’il appelle le fondement du système, c’est la découverte qu’un jour l’homme primitif a dû faire de son àme. Il fut un temps où l’homme ignorait la présence en lui de ce principe spirituel ; par certaines recherches d’ordre philosophique à propos de questions qui l’inquiétaient, il le découvrit. Comment se fit cette découverte ? et Cfu’est-ce que l’àme ?

A) DÉCOUVERTE ET NATURE DE l’ame. — Plusicurs phénomènes très simples, d’ordre physiologique, ont dès l’origine étonné l’homme primitif comme le sauvage d’aujourd’hui, et attiré son attention. Ce sont surtout la maladie et la mort, l’acte de la respiration et le battement du cœur qui fait circuler le sang, les rêves et les visions. L’homme primitif voulut expliquer ces faits ; de bonne heure, il perçut un lien entre le corps vivant et la respiration, entre la vie et le cœur, et il conclut à l’existence en ùd

alter ergo, d’un autre

lui-même, à la fois cause des phénomènes de la vie, et princijie des rêves et visions.

« ) Les fonctions de la respiration, en eftct, sont étroitement

liées avec la vie ; leur disparition coïncide avec la cessation de la vie. Le cadavre ne respire plus ; avec le souille, quelque chose de l’homme est parti, son seccyid moi, son àme. Donc l’àme et la respiration ne font qu’un. La preuve en est, d’après Tylor, que, dans la plupart des langues, le mot respiration ou soulUe signifie àme. En outre, bien des sauvages de nos jours, [vav exemple les indigènes du Nicaragua, croient qu’à la mort & monte au ciel le souffle qui fait vivre le corps, c’est-à-dire la respiration qui s’échappe par la bouche sous le nom de julio » (aztèque de 17 « /’, vivre). (Cf. Tylor, t. I, p. 501.) Le cœur, qui cesse de battre à la mort, et le sang ont été identifiés, avec le « second moi « ; cela, d’après des arguments de même ordre : les mots « cœur «  ou « sang » sont très souvent employés pour signifier

« l’àme » ; l’identification du sang et de l’àme est

îidmise par beaucoui) de tribus sau âges et domine dans la philosophie juive et arabe.

b) Certains autres [ihénomènes anormaux, tels que la maladie, la paralysie, l’apoplexie, la catalepsie, la folie, et autres cas d’inconscience morbide, aidèrent l’homme primitif à préciser la notion de ce doul)le, d’abord identifié avec le souflle de la respiration, le c(eiir ou le sang. Ce double quitte le corps déiinitiveiiHiit à la mort ; mais il y a des cas où son absence n’i’st que temporaire : de là les maladies et les phénomènes psychologi(pies anormaux. «.Vinsi.ditTjlor, les.Vlgoncpiins de l’Amérique du Nord ])eusent que la maladie est produite par un dérangement et un départ de l’àme. La santé reviendra quand l’àme sera rentrée et aura complètement repris sa place normale. La léthargie est une absence momentanée