Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 1.djvu/707

Cette page n’a pas encore été corrigée

1397

ENFER

1398

jamais, du moins pour certains pécheurs, entrevue avec une suffisante clarté. Dès lors comment croire que la bonté divine ne ménage pas à ces âmes, qui n’ont point péché par malice, une issue vers la pénitence et vers le ciel, et la justice de Dieu elle-même nous semblerait bien étroite et bien dure si elle entravait, dans ces conditions, l’œuvre de la miséricorde. Car il ne paraît pas légitime d’assimiler au pécheur incorrigible qui veut mourir dans son péché celui dont la bonne volonté, ou tout au moins un reste de bonne volonté, exclut précisément ce caractère d’obstination qui justilîe l’éternité de la peine. »

II est certain que la raison est impuissante à démontrer l’impossibilité de la résipiscence pour le pécheur après la mort et, par suite, elle peut accepter l’hypothèse, théoriquement, de l’épreuve prolongée après la ^ie, dans l’au-delà. Toutefois ce n’est point sur une hypothèse spéculative, sur des possibilités pures que la raison doit ici se prononcer, mais sur la question de fait, sur ce qui est et non sur ce qui aurait pu être. Sans doute Dieu aurait pu prolonger pour l’àme séparée du corps le temps du mérite et du démérite, de même qu’il aurait pu refuser justement au pécheur son pardon après la première faute commise et lui appliquer pour un seul péché grave l’éternité de la peine. Mais dans l’un et l’autre cas, comme pour toutes les déterminations libres de Dieu, la raison ne peut rien préjuger : c’est à Dieu lui-même qu"il appartient de déclarer sa volonté, et nous savons, à n’en pas douter, par les textes de la Révélation, que le temps de pénitence et du pardon finit pour nous avec la vie. II Cor., v, lo ; cf. Eccli., XVIII, 22 ; IV, 3 ; XI, 22 ; XIV, 13 ; EccL. ix, 10 : Ps.

XXXVIII, 18 ; Jo., IX, 4 C’est là une vérité de certitude dogmatique, cf. Trident. , VI, 16, Enclnrid.. 810 (692), que la raison ne saurait contredire ; elle a même de bonnes raisons pour la justifier. Si Ton excepte la doctrine bouddhique relativement récente de la transmigration des âmes et des épreuvcs indéfinies, tous les peuples ont fait commencer à la mort l’inexorable loi de la justice, le châtiment qui ne finit pas. Cf. Henri Martin, La vie future, p. 1 1 1. C’est que la mort, en dissociant les deux parties essentielles du composé humain, témoigne assez haut qu’une vie nouvelle commence pour l’àme, où les conditions du mérite sont abolies. L’homme, qui est chair et esprit, cesse d’exister comme tel, et c’est à lui pourtant, c’est au composé humain que s’adresse la loi, que s’impose le devoir.

« Après cette vie, dit saint Thomas, l’homme n’a plus

le pouvoir d’atteindre sa fin dernière, car il a besoin de son corps pour parvenir à sa fin, les facultés corporelles étant pour lui la condition du progrès dans la science comme dans la vertu. L’àme séparée du corps est donc hors d’état de progresser normalement vers le bien. Elle est donc fixée dans la peine qui la prive de sa fin dernière et, éternellement, elle en sera privée. » Contra gent., II, 144- On conçoit difiicilement, en effet, que l’àme privée de ses moyens d’action naturels puisse normalenumt continuer à accroître ses mérites ou réparer le mal’commis : il faudrait gratuitement imaginer des conditions morales nouvelles dans ce moded’existcncc nou eau, et il resterait toujours fque les fautes commises par l’iiomme ne seraient point réparées par l’homme.

De i)lus, la seule pensée d’une conversion possible après la mort enlèverait à l’autorité de la loi morale toute son efiicacité. Le pécheur ne manquerait i>as d’épuiser les jouissances présentes, en rejetant api’ès la mort le temps de la réflexion et de la conversion. La perspective d’une peine temporelle dans l’autre monde suffirait-elle à retenir son cœur devant l’attrait des plaisirs et la violence des tentations.

quand il pourrait, malgré tout, se promettre encore réternité du bonheur ? Seule une sanction absolue armera suffisamment la loi, et cette sanction, pour être parfaite, doit menacer dune peine qui répontle aux espérances et aux craintes du cœur humain, qui soit capable de neutraliser les séductions et les avantages du vice, qui suffise à détourner l’homme dvi mal même s’il est placé dans l’alternative d’avoir, pour fuir le mal, à renoncer à tous les biens du monde, à supporter toutes les calamités, à sacrifier sa vie. Comme l’observe saint Basile, l’idée seule d’une limite dans le châtiment autorise toutes les audaces. In Reg. hrew, n. iù-, P. G.. XXXI, 1265.

Pratiquement, ce serait encore détruire dans les esprits toute opposition radicale entre le mal et le bien que de montrer le vice et la vertu se rejoignant finalement dans la même gloire et la même félicité. Car si la conversion est possible après la mort, elle est possible pour tous, les mêmes raisons étant valables pour tous et excluant toute ligne de démarcation entre les uns et les autres. Car sur quelle base l’établir ? à quel titre ? et à quelle fin ? Ce serait revenir en fait à la restauration finale. Ou même, en excluant de la récompense les obstinés, il resterait acquis que la vie la plus chargée de crimes aurait en fin de compte le sort d’une vie toute de vertus, la différence n’étant plus qu’accidentelle. Alors que la raison se blesse si aisément au spectacle de la vertu malheureuse et de l’iniquité triomphante, quelles funestes conséquences entraînerait donc pour la vie morale de l’humanité cette convergence du vice et de la vertu vers un même terme, cette apparente et scandaleuse identité du bien et du mal ? — Dès lors, dans l’ordre de choses actuel, aucune raison n’apparaît qui puisse légitimer l’espoir d’une conversion après la mort.

5" « Si l’étal du damné ne comporte aucune amélioration morale, du moins appelle-t-il un adoucisse ment physique comme témoignage de la divine bonté qui ne se sépare jamais entièrement de la justice ? Il semble inadmissible que la rigueur initiale du châtiment persiste, sans le moindre soulagement, durant l’éternité entière, alors que la justice humaine s’attache à mitiger avec le temps la peine dont elle frappe les coupables. » Cf. BouG.rD, Le cliri.stianisine et les temps présents, t. V, p. 361.

Rien n’autorise à admettre la moindre mitigation des peines de l’enfer. Les damnés appartiennent à la justice ; aucun lien ne les rattache à la miséricorde. Le jugement porté par Dieu est définitif : il doit s’accomplir à la lettre. Si la bonté divine intervient, c’est dans la détermination même de la peine, et les meilleurs théologiens admettent que le châtiment inlligé aux damnés est sans doute inférieur en intensité à ce qu’il devrait être si la stricte justice le proportionnait rigoureusement à la faute. Cf. saint Thomas, I, q. 21, art. 4 ; saint François diî S.vlks, Traité de l’amour de Dieu, ix, i. Mais la peine une fois fixée restera éternellement semblable à elle-même, sans variation de de.gré. Il est nuiniCesle que nulle consolation ne peut venir aux damnés de la privation de Dieu, aucune atlénualion à leur désespoir ; et si la peine sensible justement méritée ne doit jamais finir, elle exclut jiar elle-même toute mitigation progressive qui l’cjiuiserait nécessairement au cours, si l’on peut dire, de l’infinie durée. Quant à des intermittences dans la peine, aux’< fériés » dont parle PiirnENCE, Ilymn. v, P. L., LIX, col. 827, il serait piu^ril d’j' songer, car la raison n’en peut concevoir le motif ni apprécier l’utilité. L’éternité de la peine n’en subsisterait pas moins, et ces arrêts temporaires seraient-ils nuMue une goutte d’eau soustraite à l’Océan ? Rendraient-ils le châtiment plus