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ENFER

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d’elles à l’impuissance, il ne pourrait que les plaindre et se plaindre lui-même de les avoir faites. Son devoir ne serait pas de les frapper, mais d’alléger le plus possible leur malheur, de se montrer d’autant plus doux et meilleur qu’elles seraient pires. Les damnés, s’ils étaient vraiment inguérissables, auraient en somme plus besoin des délices du ciel que les élus eux-mêmes. De deux choses l’une : ou les coupables peuvent être ramenés au bien, alors l’enfer prétendu ne sera pas autre chose qu’une immense école où l’on tâchera de dessiller les j-eux de tous les réprouvés, et de les faire remonter le plus rapidement au ciel. Ou les coupables sont incorrigibles, comme des maniaques inguérissables (ce qui est absurde), alors ils seront aussi éternellement à plaindre, et une bonté suprême devra tâcher de compenser leur misère par tous les moyens imaginables, par la somme de tous les bonheurs sensibles. De quelque façon qu’on l’entende, le dogme de l’enfer apparaît ainsi comme le contraire de la vérité. » Cf. A. Fouillke, La pénalité et les collisions du droit, loc. cit., p. 4’i L’argument a paru décisif ou tout au moins spécieux à quelques philosophes qui ont repris en sousœuvre la discussion. Mais qui ne voit que c’est là opérer sur des abstractions et déplacer du tout au tout les données mêmes du dogme et de la raison ? Dieu n’est pas que bonté, au sens spécial que nous attachons à ce mot ; il est justice et sagesse, il est l’infinie perfection. Or, la remarque déjà faite s’impose avec la même force : isoler un attribut et lui donner, à l’exclusion de tout autre, la plénitude de son effet, c’est lui enlever son caractère proprement divin, sa perfection infinie, puisqu’il est identique, en fait, aux autres attributs qu’il inclut nécessairement en lui-même ; c’est donc poser une implicite contradiction, c’est affirmer l’infini et, du même coup, l’exclure ; c’est réduire la sphère à une ligne et appliquer à cette ligne les propriétés du volume. Il est évident que la bonté, comme telle, ne punit pas et que l’analyse la plus pénétrante de la miséricorde et de l’amour en Dieu ne dégagera jamais, de cette unique considération, la notion de cliàtiment éternel, ni même de châtiment. Ce sont là notions disparates. C’est de la justice que relève la sanction, la réparation de l’ordre violé, et, pareillement, si on analyse l’idée de stricte justice, on n’y trouvera à aucun degré l’élément du pardon, la résistance ou l’atténuation de la peine. C’est donc ne considérer qu’une des faces du problème et négliger le principal élément de solution, que de mettre en regard l’éternité de la peine avec les seules exigences de la bonté divine. Toute la question est de savoir si la bonté de Dieu exige que la peine fixée par la justice soit remise au coupaljle. La réponse ne saurait être douteuse. Si Dieu se devait à lui-même d’arrêter les eflels de sa justice, l’ordre essentiel serait blessé en lui comme en dehors de lui. Ce serait la suppression même de sa justice, et la sainteté comme la souveraineté de ses droits resteraient à la merci des pires injures, l’impunité finale étant le lot obligé des volontés perverses. La créature aurait le dernier mot dans sa révolte contre le Créateur ; le mal aurait raison du bien ; le désordre irréparé, irréparable, ferait loi. Autant dire que Dieu abdiquerait toute autorité et que le pécheur, dans la suppression de la sanction, trouverait un encouragement efficace au péché, n’ayant même plus devant les yeux la claire notion de sa culpabilité.

Au reste, nul ne dira jamais à qiu-l titre la miséricorde de Dieu serait tenue d’intervenir. Toute la vie du pécheur n’est qu’un témoignage éclatant de la bonté divine, qui dfinne et qui pardonne, qui patiente, qui éclaire et touche le cœur, qui, juscju’au dernier moment, multiplie les rappels dans les miracles de sa

grâce. La destinée du pécheur est remise au choix de sa liberté ; il refuse les grâces, il méprise les bienfaits, il veut pratiquement, sinon formellement, mourir dans son péché, n’avoir rien de commun à jamais avec Dieu. Fixé dans ces dispositions pour l’éternité, à l’instant même où son sort est irrévocablement lié au dernier acte de sa vie morale, il n’a plus en lui ni le principe de l’amitié de Dieu, ni le pouvoir de ressaisir son choix ou de rétracter sa faute : c’est l’obstination dans le mal, la haine de Dieu à jamais. C’est le pécheur lui-même qui a fermé toute issue à la divine miséricorde : la justice seule demeure, inexorable envers celui qui a voulu la perpétuité de sa faute.

2° Aussi est-ce à la justice de Dieu que les adversaires de l’éternité des peines sont forcés de recourir pour essayer de ruiner par la base le dogme de l’enfer. L’objection a été formulée dans sa forme la plus simple par Jules Simon : o La peine a une double raison d’être : l’expiation de la faute, l’amélioration du coupable. On demande si la faute durera éternellement ? Cette éternité supprime un des deux caractères de la peine, la purification, l’amélioration ; elle exagère l’autre au delà du possible, car il n’est pas de faute temporelle qui appelle une peine éternelle. Aucun principe de la raison ne conduit à l’éternité des peines et ne permet de l’admettre. » Religion naturelle, p. 33.

La théologie catholique n’hésite pas à reconnaître que la seule raison humaine ne suffit pas à démontrer l’éternité des peines : aucun argunient décisif ne prouvera que Dieu n’avait pas la liberté de ne pas créer l’enfer. Mais aucun argument de la raison n’établira non plus que Dieu ne pomaitpas, en toute justice, imposer au pécheur impénitent un châtiment éternel. A considérer la gravité de la faute, la sanction n’est fp^ie strictement proportionnée à l’offense, puisque la malice du péché, s’attaquant à l’infinie sainteté, dépasse ainsi en perversité toute limite assignable. Entre la somme des maux physiques que nous pouvons concevoir et la grandeur du forfait, il n’est pas de commune mesure ; toute peine temporaire laisserait la faute inexpiée. Mesurer la durée de la peine à la durée de la faute eommise, c’est renverser la notion même du mérite et du démérite ; c’est ruiner à la base toute justice et toute moralité. C’est un princii^e incontestable que la gravité de l’offense est en raison directe de la dignité de l’offensé et en raison inverse de la dignité du délinquant, tandis que la valeur de la réparation se mesure à la qualité de celui qui expie. Aussi le péché d’Adam ne pouvail-il être réparc que par un Dieu, car il fallait une satisfaction de valeur infinie pour effacer une faute dont la perversité est ^irtuellemont infinie. Dès lors aucune sanction infligée au pécheur ne sera une expiation sullisanle. et, pour que la justice soit satisfaite, cette expiation ne doit point avoir de terme. Admettre ((u’une peine temporaire puisse et doive lil)érer le pécheur à l’égard de Dieu, c’est donc méconnaître la nature du péché et lui enlever sa propre malice ; c’est méconnaître ainsi le caractère infini de la sainteté et de la majesté divine ; c’est donner au pécheur le droit de s’obstiner dans sa faute et de rester, dans l’impunité, en perpétuelle révolte contre Dieu ; c’est mettre Dieu lui-même en état d’impuissance, avec sa justice désarmée, devant la volonté rebelle de la créature. D’ailleurs quelle justice humaine voudrait s’inspirer du principe sanctionnel que l’on impose à Dieu, et prendrait pour base de son code pénal la durée de la faute, et non pas la gravité du délit ? Il ne faut pas oublier non plus que. si l’acte du pécheur est transitoire, l’état de péché que l’acte imi>lique est permanent ; la privation de la grâce sanctifiante, l’aversion de la fin dernière, le