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ENFER

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privée de sanction est une loi privée d’efficacité ; du coup, le principe même de l’obligation morale disparait. La volonté divine ne s’impose plus, et n’a aucun titre à s’imposer à la volonté humaine, dont elle ne peut avoir raison. C’est donc l’indépendance morale pour la créature essentiellement faite de dépendance, c’est le droit à la faute et la négation formelle de la souveraineté de Dieu. Et c’est bien à cette conclusion que se rallient explicitement les humanitaires en rejetant toute idée de justice distributive et en n’acceptant que la notion de justice contractuelle. Le contrat suppose l’autonomie des contractants et pose une égalité de droits et de devoirs. Dieu devient par là notre débiteur et l’homme se fait son égal. C’est le renversement de tous les rapports qui lient le iini à l’inlini.

Vainement les adversaires de la damnation s’attachent à démontrer que le caractère de la justice vindicative est essentiellement défectueux et blâmable, parce qu’il est immoral de se livrer au plaisir de la vengeance et de rendre le mal pour le mal. C’est se faire une idée fort inexacte de la conduite de Dieu à l’égard du pécheur et de la sainteté de sa justice. En fait, c’est le pécheur lui-même, avec sa pleine liberté, qui se prive de sa iîn, qui récuse le souverain bonheur et le méprise ; c’est lui l’artisan de son malheur. Les bienfaits de Dieu, les appels à la conversion, les grâces de toutes sortes ne cessent de l’entourer pendant sa vie et de provoquer son retour au bien ; jusqu’au dernier moment il a refusé la faA’eur olferte. A qui incombe la responsabilité des conséquences ? A lui seul. La sainteté de Dieu est incommunicable à la malice de l’homme. Dieu lui-même ne serait plus Dieu, si le mal a^ait des droits sur lui, si le pécheur n’était justement privé d’un bien dont il se rend indigne. En cela même, la souveraineté de Dieu, sa justice et sa sainteté se manifestent. La punition n’a nullement pour but la joie barbare de la vengeance, le mal rendu poui* le mal : elle ramène par force le pécheur révolté à l’état d’essentielle dépendance à l’égard de Dieu, elle rétablit le droit du Créateur sur sa créature ; elle arrive ainsi à ce même résultat que l’humanitarisme se propose d obtenir par la simple justice contractuelle : « rétablir entre les personnes les A’éritables notions de droit ». (A. Fouillée, op. cit., p. 41’) C’est ainsi que les arguments des adversaires se retournent directement contre eux, et il est impossible de nier, au nom de la justice, la légitimité, l’existence de l’enfer, sans nier la raison elle-même.

Voilà pourquoi, historiquement, le dogme de l’enfer se retrouve à la base ^de toutes les religions, et, comme le remarquait déjà Sénèque, cet argument est d’un grand poids pour quiconque veut bien prendre la peine de la réflexion. Ad Lucilium, cxvii. La description, dans le Livre des Morts, du jugement rigoureux auquel l’âme est soumise au tribunal dOsiris et le détail des supplices infernaux dans les textes d’origine thébaîne ne laissent aucun doute sur la pensée religieuse de l’antique Egypte. Cf. A. WiEDEMANX, Die Toten und ilire Reiclie im Glauben der Alten Aegypter dans Der Alte Orient, 1901, t. II, p. 2. Mallon, art. Egypte, Dictionnaire apologétique, col. 1334. Les mj’thes babyloniens distinguent l’île des Bienheureux, en dehors de l’empire d’AUatou, lieu d’horreur et de lamentation pour les morts. Cf. A. Jeremias, Die babylonisch-assyrischen Vorstellungen’om Leben nach dem Tode, p. 222 sqq. Les Védas distinguent soigneusement entre la félicité céleste réservée aux bons et l’enfer où les méchants expient leurs méfaits. L’anéantissement bouddhique est absolument inconnu de ces vieux textes et la métempsycose est elle-même, pour l’Inde antique, d’importation relativement récente. Cf. A. Roussel,

La religion védique, p. 277. Oldexberg dans sa remarquable étude : Die Lieligion der Veda, la meilleure des monographies parues jusqu’à ce jour sur ce sujet, s’est attaché à relever jusque dans le Rigveda, le livre des poèmes religieux, tous les passages qui attestent, aux temps les plus reculés de la civilisation indienne, la croyance à l’enfer, « témoignages assez précis pour qu’on ne puisse les récuser sans violence y>. Op. cit., trad. franc, par V. Henry, p. ! b<^. La persistance d’une vie personnelle et consciente après la mort était, comme on sait, un dogme fondamental poiu- le Mazdéisme. Mithra, dieu de justice, présidait au jugement de l’âme avec la plus stricte équité. Au pécheiu’était réserve labime éternel de l’enfer. Dans un des fragments de I’Avesta publiés par Westergaard, se lisent plusieurs textes absolument décisifs.

« Le ciel et l’enfer attendent les bons et les mauvais…

Toutes les bonnes pensées, les bonnes paroles, les bonnes actions gagnent le paradis, toutes les mauvaises pensées, les mauvaises paroles, les mauvaises actions gagnent l’enfer. » Dinkart, IX, 69, 45. L’idée de rétribution éclaire toute la religion des Perses. Cf. Nathan Soderblom, La vie future d’après le mazdéisme, 1). io3. Sur les doctrines eschatologiques des Grecs et des Romains, voir les nombreux textes et références de Patrizzi. De futuro impiorum statu, p. 9 sqq. Cf. Kxabexuauer, Das Zeugnis des Menschengeschlechtes fur die Unsterblichkeit der Seele, passim ; James Meav, Traditional aspects of LLell, p. 22 sqq.

De ces données précises, il résulte que l’existence de l’enfer est une vérité qui ne heurte aucune des exigences légitimes de la raison et qui répond à ce sentiment dont l’humanité porte au plus profond d’elle-même la trace indélébile. La philosoi)hie adopte avec fermeté cette conclusion ; elle ne pourrait d’ailleurs la rejeter sans ruiner la thèse de la Providence.

« Après avoir renoncé à la métempsycose, il

faut en revenir à chercher ce que la philosophie nous permet d’alfirmer avec certitude. Nous aA’ons vu qu’il y aurait nécessairement récompense pour les bons et punition pour les méchants. Nous pouvons ajouter que l’âme ne perdra pas le souvenir de ce qu’elle a été : c’est une condition indispensable pour qu’elle puisse être récompensée ou punie… Quel sera dans ce monde nouveau le châtiment des coupables ? Ils seront punis. Cela seul importe, parce que cela seul importe à la justification de la Providence. » Jules Simon, La religion naturelle, p. 809. Cf. J.-J. Rousseau, Lm profession de foi du vicaire savoyard, édit. Lahui’e, II, 75.

L’étrange théorie bouddhique de la métempsycose ou transmigration des âmes, vulgarisée en France par les écrits de Fourier, Théorie de l unité universelle, de Ballanciie, L’alingénésie sociale, de Jean Reyxaud, Terre et Ciel, d’Arsène Houssaye, Des destinées de rame, de Figuier, L.e lendemain de la mort, de Flammarion, Lumen, IListoire d’une âme, etc., se réfute d’elle-même à la lumière de ces. mêmes principes ; théorie purement gratuite et dont le caractère fantaisiste se révèle jusque dans les formules qui prétendent résumer avec le plus de précision cette doctrine. « Des aperçus d’immortalité composée (celle-ci comprend pour chacun de nous 810 existences, dont ! b en demi-bonhem-, 4^ en malheur gradué et 720 en plein bonheur), essayons de nous élever à la bi-composée, aux rapports de nos âmes avec la grande âme planétaire dont nous partagerons le sort pendant l’éternité. Lorsqu’une âme planétaire se sépare de son globe défunt, elle s’adjoint à une jeune comète non encore implanée. Lorsque la comète est mûre et suffisamment raffinée, on l’implane, et son âme recommence une carrière d’harmonie sidérale. » Ame de satellite, âme de cardinale, puis âme