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ÉGLISE (DANS L’ÉVANGILE)

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pas parce que des paroles sont attribuées au Christ après sa Résurrection, qu’il est juste de révoquer en doute leur historicité : surtout quand il s’agit de paroles contenues dans des recueils dignes de foi, et quand il s’agit, en outre, du sens caractéristique et très accentué de ces mêmes paroles.

Ajoutons un indice qui corrobore l’historicité des textes évangéliques concernant l’Eglise : leur petit nombre et leur laconisme. Cène sont manifestement pas des paroles prêtées au Sauveur pour appuyer certaines prétentions, pour faire valoir certaines tendances et certaines thèses. Loin d’être artiticieusement mis en relief, loin d’être expliqués ou accentués avec détail, ces quelques textes se trouvent épars dans l’Evangile, cités à propos d’autre chose, et par manière de rapide allusion à une réalité comprise du lecteur. Il y a là, pour de telles paroles, une puissante garantie de lidélité, une valeur très significative et probante.

Donc, l’historicité des textes étant mise en dehors de toute contestation raisonnable, le terrain de controverse est clairement délimité : les passages de TEvangile concernant l’Eglise favorisent-ils la conception catholique ou la thèse du protestantisme orthodoxe ? prouvent-ils, oui ou non, que Jésus ait créé une hiérarchie perpétuelle pour régir ici-bas la communauté des croyants ?

(Objections contre l’historicité des textes : Jean Réville, Les origines de l Episcopat, Paris, 1894, in-8°, pp. a4-43. — Ch. GuiGXEBERT, Manuel d’histoire ancienne du christianisme, Les origines, Paris, 1906, in-16, pp. 217-219 et 226 note. — Loisy, Synoptiques, II, pp. ^44-755.) (Voir plus loin l’article Evangiles.)

b) Le collège des Douze. — Parmi ses disciples, Jésus en a choisi douze principaux, qu’il s’est associés d’une manière plus étroite, et dont il a formé un groupe distinct, permanent, privilégié : c’est le collège des Douze, le collège apostolique.

(Marc, iii, iS-ig ; Matth., x, i-14 ; Luc., vi, 2-1’^ ; * Act., i, 13-26.)

Les textes antérieurs à la Passion nous font déjà connaître le rôle distinctif du collège des Douze. Organes, représentants et témoins de leur Maître, les

« apôtres » devront procurer ici-bas le « royaume de

Dieu)i ; enseigner la doctrine de vérité ; porter le message du Christ, d’abord à Israël, puis à tous les peuples du monde. (Marc, vi, 7-j3 ; xiii, 9-18 ; xiv, 9 ; Matth., X, 5-42 ; xxiv, 9-14 ; xxv, j3 ; Luc, ix, i-6 ; Joan., xiii, 20 ; XIV, 16, 18, 26 ; xv, i/J, 16, 26, 2’ ;  ; xvi, 1-4, 12-15 ; xvii, 18-26.)

c) La promesse d une juridiction spirituelle. — Le texte do S. Matthieu (xviii, 18) nous fait comprendre que le privilège des Douze est une autorité gouvernante el non pas seulement une mission enseignante :

« Je vous le dis en vérité ; tout ce que vous
« aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel ; et tout
« ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans
« le ciel. » — Troisquestions doiventêtre examinées, 

à propos de ce texte : (a) nature du pouvoir i)romis ; (/3) sujet du pouvoir promis ; (y) extension du jjouvoir ])romis.

( « ) Nature du pouvoir promis. — C’est le pouvoir de lier et délier par sentence efficace.

D’abord, le pouvoir de lier et délier. En langage rabbinique, à propos des cas de conscience regardant l’interprétation de la Loi juive, lier et rfe//er signifie défendre et permettre. Un docteur lie quand il donne la solution rigide, et il délie cpiand il donne la solution bénigne. C’est en ce même sens que nous disons aujourd’hui que tel casuiste ou jurisconsulte permet une chose et que tel autre la défend. La formule revient à dire que l’un des docteurs estime la chose licite et que l’autre docteur la croit illicite. Mais le

casuiste ouïe jurisconsulte ne saurait imposer par là même aucun i^récepte ni concéder aucune dispense de la loi.

Tout autre est le sens dans lequel un supérieur et un chef, un législateur et un juge permettent ou défendent. Une chose est prescrite parce qu’ils la prescrivent ; prohibée parce qu’ils la prohibent ; autorisée parce qu’ils l’autorisent. La sentence est efficace : elle crée une obligation ou accorde une faculté. Or le pouvoir dont parle notre texte, c’est le pouvoir de lier et délier, de défendre et permettre, par sentence efficace.

Rien de moins équivoque. Tout ce qui aura été lié ou délié sur terre sera lié ou délié dans le ciel. En d’autres termes. Dieu ratifiera et confirmera les sentences apostoliques. Quand les apôtres imposeront une obligation, l’obligation existera donc par le fait même ; et quand les apôtres accorderont une faculté, la faculté existera également par le fait même. Bref, la décision apostolique sera beaucoup plus que la sentence purement déclaratoire du rabbin, du casuiste, du jurisconsulte. Ce sera une décision Araiment autoritaireetjuridique, unesentence génératrice de droit et de devoir.

Dans notre texte, il s’agit donc bien d’une autorité gouvernante ; il s’agit d’une véritable juridiction. Le fait paraîtra encore plus indéniable si l’on veut bien se reporter au verset précédent (Matth., xviii, i^), où il est question du frère qui aura péché contre son frère et qui n’aura pas a’ouIu obtempérer à des avertissements personnels et amicaux. Le coupable est déféré au jugement public de l’Eglise (quoi qu’il eu soit du sens exact de ce terme). La sentence de l’Eglise aura une valeur obligatoire et coactive ; de sorte que le pécheur qui s’obstinerait encore devrait cire exclu de la communauté des fidèles, séparé du

« royaume de Dieu », comme un païen et un publicain.

Nous voyons poindre ici le principe même de l’excommunication ecclésiastique.

Donc nul doute sur la nature du pouvoir promis par notre texte ; pouvoir de lieretdélier par sentence etricace ; pouvoir de juridiction.

/3) Sujet du pouvoir promis. — Cette juridiction appartiendra au collège des Douze et à ceux qui le représenteront comme ses continuateurs ou ses délégués.

Les protestants estiment au contraire que tout pouvoir ecclésiastique doit appartenir à l’ensemble des fidèles, et non pas à une hiérarchie distincte. Notre texte, en efrel, ne dit aucunement que le Christ prétende s’adresser ici aux douze ai)ôtres plutôt <|u’au reste de ses disciples. Bien plus, le verset précédent afiirme que le pécheur sera déféré kV Eglise, à <( l’assemblée » ; ce qui, manifestement, désigne la communauté entière des fidèles du « royaume ».

Néanmoins les autres textes qui regardent la concession par le Christ d’un pouvoir sacré nous montrent toujours cette concession faite au seul collège apostolique et non pas à l’ensemble des fidèles. Et puis l’existence même du collège apostolicpie nous fait comprendre que c’est J)icn aux Douze qu’est réservée la direction de l’œuvre messianique, l’organisation du « royaume de Dieu » en ce monde. Tout cela mérite de peser dans l’interprétation du texte qui nous occupe. Mais il faut noter principalement ([ue le passage en question n’est encore qu’une promesse, et doit être comi)aré avec raccomplissemenl de la même promesse divine, c’est-à-dire avec les ])aroles de Jésus ressuscité qui constitueront définitivement le privilège et le ministère apostolicpies. Or, dans le texte qui vérifiera la promesse du Christ, le pouvoir sera exclusivement conféré au collège des Douze, alors devenu celui des Onze (Matth., xxviii.