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ÉGLISE (DANS L’EVANGILE)

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sivement, une nécessité pratique du bien commun. Le caractère de la hiérarchie spirituelle dans l’Eglise ne sera pas, quant à son origine, essentiellement différent du caractère de la hiérarchie temporelle dans l’Etat. De part et d’autre, le principe fondamental pourra être de droit divin, comme répondant à l’intention manifeste du Créateur. Mais, de part et d’autre aussi, la forme extérieure, la détermination concrète, seront de droit humain ; elles résulteront des conditions particulières de chaque milieu ; elles varieront avec les circonstances historiques de chaque époque. Toujours enfin, et quel qu’il soit, le verdict purement humain de la société religieuse, de l’Eglise, demeurera subordonné aune règle supérieure ; c’est-à-dire au jugement privé de chaque conscience chrétienne :

« Tout protestant est Pape, une Bible à la main. » 

La controverse entre catholiques et protestants orthodoxes, à propos de l’Eglise, porte donc sur l’existence d’une hiérarchie perpétuelle. Oui ou non, Jésus-Christ a-t-il confié à l’apôtre Pierre et au collège apostolique le pouvoir exclusif et perpétuellement transmissible de gouvei-ner VEglise, d’enseigner l’Eglise et enfin de célébrer, dans l’Eglise, le sacrifice de la Nouvelle Alliance ? Juridiction, magistère, sacerdoce, tels sont, en effet, dans la doctrine catholique, les attributs essentiels de la hiérarchie ecclésiastique. Tous trois sont révoqués en doute par la théorie protestante.

(Le meilleur exposé de cette théorie se trouve dans l’ouvrage posthume de P.-F. Jalaguier, professeur à Montauban : De l’Eglise, Paris, 1899, in-8°, pp. 28 et 24, 26-28, 48-50, 325.)

e) Depuis la « Réforme » jusqu’à ces derniers temps, la démonstration apologétique, au sujet de l’Eglise, consistait tout entière dans cette controverse avec les protestants orthodoxes. L’unique problème était de bien déterminer la nature des prérogatives conférées par le Christ à saint Pierre et au collège apostolique.

Aujourd’hui, les maîtres de la « critique libérale », c’est-à-dire les rationalistes, les protestants libéraux, les catholiques modernistes, ont posé une « question préjudicielle » bien autrement paradoxale : Jésus-Christ a-t-il voulu créer une Eglise visible ? Jésus-Christ a-t-il même pu songer à une création pareille ? Jésus-Christ n’avait-il pas, de son rôle et de son œuvre, une notion et une perspective inconciliables avec l’existence de toute Eglise ?

Tel est le problème du royaume de Dieu, que les uns ont cru résoudre par le système du « royaume » purement intérieur ou spirituel, et les autres par le système du « royaume » purement eschatologique.

Voilà pourt|Uoi nous ne devrons établir le caractère hiérarchique de l’Eglise, contre les protestants orthodoxes, qu’après avoir discuté au préalable sur le « royaume de Dieu » dans l’Evangile.

Contre Auguste Sabatier et M. Harnack, il s’agira du caractère social de ce « royaume ».

Contre M. Loisy et ses approbateurs, il s’agira du rapport entre le « royaume » et l’eschatologie.

B. Le caractère social du « royaume »

a) Tout n’est pas à rejeter dans la théorie de.Saba-TiER et de M. Harnack. II est hors de doute, en effet, que le « royaume de Dieu » selon l’Evangile comporte essentiellement une rénovation morale et spirituelle dans l’âme de chaque individu. Il est non moins hors de doute ive cette rénovation intérieure a pouieffet caractéristique le sentiment filial envers Dieu considéré comme Père. De telles conceptions religieuses n’étaient pas étrangères, il est vrai, à l’Ancien

Testament ; on peut même dire qu’elles sont la fleur de l’enseignement prophétique. Mais, dans l’Evangile, elles atteignent une pureté, une perfection, une sublimité inconnues jusqu’alors. Elles sont mises en contraste accusé avec la notion formaliste et charnelle que se faisait de la religion et du messianisme le commun des Juifs au temps du Sauveur. Ce n’est donc pas sans fondement qu’Auguste Sabatier et M. Harnack voient dans l’aspect intérieur ou spirituel du « royaume de Dieu », dans l’amour ûlial envers le Père céleste, l’élément spécifique, le caractère distinctif de l’Evangile de Jésus.

Qu’on relise, en particulier, le sermon sur la montagne, tel que le présente saint Matthieu. Dès les premiers mots du discours, Jésus afTirme la nature spirituelle du « royaume de Dieu » : car ceux-là seuls y méritent le nom de « bienheiu-eux » qui sont les plus éprouvés, les plus accablés aux yeux du monde^ {Matth., V, 3-12.) Ce sera donc par les œuvres les plus difficiles et les plus saintes que devront se faire discerner au dehors les messagers du « royaume ». {Matth., V, 13-17.) Tout le développement qui suit oppose la justice du « royaume » à la justice du judaïsme vulgaire : cette justice de la synagogue consistait principalement dans la pratique matérielle du code mosaïque, et se confondait en somme avec la casuistique des rabbins ; la justice du

« royaume » exige, au contraire, la plus haute et

la plus intime perfection de la conscience morale : humilité, charité, chasteté, pardon des injures et autres vertus. (Matth., v, 21 ; vi, 8.) Et pourquoi de telles leçons ? — « Pour que vous soj^ez vraiment les

« fils de votre Père qui est aux cieux. » (Mat th., v, 

45.) « Soyez donc parfaits comme votre Père céleste’( est parfait. » (Matth., v, 48.) La prière des enfants du « royaume » sera donc une prière filiale : Notre Père. (S/a t th., vi, 9.)

L’erreur d’Auguste Sabatier et de M. Harnack n’est pas d’avoir présenté le « royaume de Dieu » dans l’Evangile comme intérieur ou spirituel, mais de l’avoir présenté comme purement intérieur et spirituel, et d’avoir vii, dans le sentiment filial envers Dieu, toute l’essence du christianisme.

b) L’essence du christianisme. — D’après Auguste Sabatier et M. Harnack, la conception collective et sociale du « royaume » est l’élément que Jésus a hérité de la tradition juive, l’élément commun au judaïsme et au christianisme ; tandis que la conception morale et spirituelle serait l’élcnient ajouté par Jésus, l’élément propre au christianisme. La conclusion correcte serait donc tviel’essence totale du christianisme (ce qui constitue intrinsèquement le christianisme ) comprend à la fois l’idée traditionnelle du

« rojaume » collectif et social (élément générique), 

et l’idée relativement nouvelle de la perfection intérieure exigée dans ce même « royaume » (élément spécifique). Or, d’après Auguste Sabatier et M. Harnack, l’idée traditionnelle doit être considérée comme étrangère à l’essence du christianisme, comme chose accessoire et accidentelle dans le « royaume de Dieu » ([ue décrit l’Evangile. Mais la seule idée « nouvelle » (le la perfection intérieure, du sentiment filial envers Dieu, devrait être considérée comme formant toute a l’essence du christianisme ». C’est là une conclusion gravement sophistique et fausse, que M. Loisy n réfutée, dans l’Evangile et l’Eglise, avec une lucidité remarquable. Nous n’avons qu’à citer.

« Il y aurait oussi peu de logi<jue à prendre pour l’e^senre

totale d’une religion ce qui In différencie d’avec une autre. La foi monothéiste est commune au judaïsme, au christianisme et à rislamisnic. On n’en conclura pas que l’essence de ces trois reli>, ons doive être cherchéeen dehors de ridée monothéiste. Ni le juif, ni le chrétien, ni le