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ÉGLISE (DANS L’ÉVANGILE)

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D’après M. Loisy, faisant écho à bon nombre de critiques d’outre-Rhin, le « royaume de Dieu » était conçu par Jésus-Christ comme essentiellement collectif et social, mais aussi comme totalement étranger aux conditions de la A’ie présente. La notion du

« règne messianique « couramment admise par les

Juifs de cette époque et pleinement adoptée par Jésus, aurait été purement et simplement identique à la notion du règne final et définitif du Dieu : d’où le nom de royaume « cschatologique ». Lorsque Jésus proclamait imminente la « venue du royaume », c’est, du même coup, la fin du monde qu’il déclarait imminente. Le Christ de l’histoire ne songeait donc nullement à perpétuer son œuvre ici-bas et à rien organiser dans un monde censé près de finir. L’enseignement authentique de Jésus est celui de l’universel détachement et de la joyeuse espérance en vue du triomphe prochain de la justice divine.

« Tout l’enseignement moral du Christ est conçu en

vue de ravènemenl du règne de Dieu, avènement qui n’est pas censé devoir se faire attendre indéfiniment, on se produire par une lente transformation de l’humanité, mais qui est supposé prochain, ou plutôt imminent. » {Synoptiçues, , ip. 236.)

« Le règne de Dieu est proprement l’ère de bonheur

dans la justice, qui va être inaugurée dans une manifestation de puissance, la subite transformation des choses, Texaltation du Messie… Entre l’Evangile et le règne de Dieu, la transition devait se faire en un instant, mais cet instant était capital. Avant l’ère de gloire, c’était le moment de la justice. Autant qu’on peut le conjecturer, Jésus ne se figurait pas le jugement de Dieu comme une grande séance où le sort de l’humanité serait débattu et csù chacun recevrait, en présence de tous, la sentence qui déciderait de son sort pour l’éternité. Il concevait plutôt une sorte de sélection qui s’opérerait inopinément et en un clin d’œil sur les hommes alors existants ; les justes seraient comme ravis à Dieu, transportés au lieu de la félicité messianique, mués en êtres immortels, tandis que les autres seraient abandonnés sans doute à leur châtiment, à un état de mort qui n’excluait pas la douleur. Les justes ressusciteraient en même temps. » (Ibidem, p. 237.)

Pendant le demi-siècle qui suivit la Passion, un lent travail de la conscience chrétienne vint corriger peu à peu et « réinterpréter » les paroles de Jésus, pour les mettre en harmonie avec le développement de l’Eglise naissante. De ce travail anonyme et collectif résulte la tradition consignée dans nos Evangiles synoptiques. Voilà pourquoi la perspective eschatologique n’y apparaît plus qu’imprécise et comme estompée. Mais la critique interne permet de comprendre que la majeure partie des enseignements évangéliques ne prend sa vraie signification qu’en vue de l’imminence de la fin du monde. La critique interne parvient, de la sorte, à dégager ou à reconstituer l’Evangile historique de Jésus, l’Evangile du royaume purement escliatologique. D’ailleurs, même après le travail rédactionnel, quelques textes caractéristiques demeurent encore et témoignent de la croyance iirimitive à la toute prochaine yenue du Fils de l’Homme sur les nuées du ciel. (Matth., x, 23 ; XVI, 28 ; XXIII, 36 et 39 ; xxiv, 34 ; xxvi, 29 et 64 ; et les passages parallèles.)

On sait comment la théorie moderniste rattache néanmoins l’Eglise à l’Evangile. Sans doute, une E"-lise hiérarchique, établie clans les conditions de la vie présente, demeurait parfaitement étrangère à la perspective du Christ. Sans doute, les croyances et les institutions de l’Eglise chrétienne se sont plus ou moins totalement transformées elles-mêmes, selon la culture intellectuelle et le milieu social de chaque époque. Mais l’Eglise chrétienne perpétue ici-bas le mouvement religieux qui a été inauguré par Jésus Christ ; elle émane donc vraiment d’une impulsion du Christ. Le message de détachement et d’espérance en vue du « royaume de Dieu », message que Jésus présentait à ses contemporains, c’est l’Eglise chrétienne qui n’a cessé, depuis lors, de le présenter aux générations successives. « L’Eglise, en toute vérité,

« continue l’Evangile, maintenant devant les hommes’( le même idéal de justice à réaliser, pour l’accomh

i>lissement du même idéal de bonheur. Elle conti<( nue le ministère de Jésus selon les instructions

« qu’il a données à ses ajxjtres ; en sorte qu’elle est
« fondée sur les plus claires intentions du Christ. » 

{Autour d’un petit livre, p. 1 69.) L’Eglise chrétienne est donc, somme toute, le résultat inattendu, mais légitime, de la prédication messianique du « royaume de Dieu ».

Nulle équivoque, du reste. Cette continuité entre l’Evangile et l’Eglise, d’après les modernistes, provient exclusivement de V impulsion première donnée à un mouvement d’évolution perpétuelle. Bien que l’Eglise trouve son point de départ dans l’Evangile du Christ, l’Eglise n’a été ni prévue ni constituée par le Christ. La notion d’une Eglise hiérarchicpie se trouve, en effet, manifestement incompatible aA’ec la notion du royaume purement cschatologique. Ecoutons encore M. Loisy : « J’ai nié que Jésus ait, à proprement

« parler, fondé une Eglise, avec ses organes de gouvernement

et ses usages de culte, parce que les

« textes, interprétés selon le sens et les garanties
« qu’ils offrent à l’historien, permettent d’affirmer
« que le Christ n’a fait autre chose, jusqu’à la fin
« de son ministère, qu’annoncer l’avènement prochain

du royaume des cieux. » (Quelques lettres, p. 237.)

d) Les protestants orthodoxes rejettent le système du royaume purement intérieur ou spirituel et le système du royaume purement eschatologique. Ils estiment que le « royaume de Dieu », d’après l’Evangile, est essentiellement collectif et social, et que ce

« royaume » comporte une première période ici-bas, 

dans les conditions mêmes de la vie présente. Par suite, les protestants orthodoxes admettent que Jésus-Christ a, non seulement prévu, mais constitué la société visible et permanente des chrétiens, nommée VEglise.

Que rejettent-ils donc de la conception catholique de l’Eglise ? — Ils rejettent la notion d’une hiérarchie perpétuelle établie, de droit diA’in positif, par Jésus-Christ lui-même, hiérarchie qui possède juridiction gouvernante, magistère enseignant, sacerdoce sacrificateur. Pour les protestants, Jésus-Christ n"a rien organisé de semblable ; il n’a pas créé d’intermédiaires obligatoires entre la conscience et Dieu. Sur la conduite à tenir, sur la doctrine à croire, sur les moyens religieux de sanctification, le dernier mot doit appartenir an jugement privé de chaque individu, en face delajiarole de Dieu, contenue exclusivement dans la Bible.

Sans doute, l’Evangile réclame que les fidèles soient groupés en société permanente : pour prier en commun, pour lire et commenter la parole de Dieu, pour célébrer le baptême et la cène, pour pratiquer la charité fraternelle. Mais il ne s’agit pas d’obéir à une hiérarchie, en tant que dépositaire de l’autorité même du Christ et organe authentique de la vérité chrétienne.

Sans doute encore, le bien social de l’Eglise elle-même exigera une organisation hiérarchique : car nulle société humaine, visible et permanente, ne peut vivre et durer sans une autorité qui la gouverne. Mais l’organisation hiérarchique dans l’Eglise n’a pas été constituée, une fois pour toutes, par Jésus-Christ lui-même, La raison d’être de cette hiérarchie est, exclu-