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DUEL

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les propos. 4 et 5, et plus loin à l’Appendice I. col. 1218, les prop. I et 3 qui condamnent les duels militaires, de quelque prétexte qu’ils se couvrent). Depuis la Bulle « Apostolicæ Sedis », de Pie IX (12 oct. 1869), qui ne fait guère en ce point que reproduire les condamnations du concile de Trente, l’excommunication réservée au souverain Pontife (a"" série, § III), est encourue ipso facto par : Ceux qui se battent en duel ou simplement y provoquent ou l acceptent, tous leurs complices, tous ceux qui aident ou favorisent les duellistes en quelque manii’re, tous ceux qui assistent au duel de propos délibéré, ceux qui le permettent, ou ne Vempêcnent pas autant quil est eu leur pouvoir, de quelque dignité qu ils soient revêtus, même royale ou impériale. On peut Aoir chez les moralistes l’explication et l’extension de cette censure. (Cf. par exemple Bl’lot, Compendium tlieologiæ moralis, t. II, n 966 ; Lehmkchl, Tlieologia moralis, t. II, n. 9/48-9, etc.). Ceux qui provoquent en duel ou l’acceptent, encourent les censures, même si le duel n"a pas lieu ; leurs complices, dans le cas seulement où il a lieu. Assistent au duel de propos délibéré ceux qui se rendent ouvertement au lieu du combat et ainsi en augmentent l’éclat ou encouragent de leur présence les duellistes, mais non ceux qui se trouveraient là par hasard ou qui regarderaient de loin. Encourent la censure les médecins qui assistent au duel sur l’invitation des parties pour panser leurs blessures, et de même le médecin et le prêtre qui, d’accord avec les combattants, se tiendraient dans une maison voisine pour leur porter secours. (Réponse du S. Office à l’Évèque de Poitiers, 28 mai 1884.)

Il serait facile d’ajouter à cet argument d’autorité les témoignages des philosophes et des penseurs de toute école ; nous nous contenterons d’en citer quelques-uns que l’on ne saurait accuser de déférence et de flatterie envers la doctrine catholique et l’autorité de l’Eglise. Rien n’est plus connu que le jugement, sévère, impitoyable, de Jean-Jacques Rousseau : « Je regarde les duels comme le dernier degré de brutalité ou les hommes puissent parvenir. Celui qui va se battre de gaieté de cœur n’est à mes yeux qu’une bête féroce qui s’efforce d’en déchirer une autre. » (Nouvelle Héloise, lettre 47) Non moins dur est le jugement de Schopenhauer qui poursuit de ses sarcasmes et de ses injures les duellistes, ces monstres, comme il les appelle. (Les aphorismes de la sagesse, p. 125.)Plus modéré dans la forme, M. Emile Saisset n’en est que plus sévère pour le fond : il reproche au duelliste de se constituer juge dans sa propre cause, d’usurper les droits de la société, enfin de s’arroger « le droit visiblement exorbitant et monstrueux de prononcer et d’exécuter une sentence de mort contre un de ses semblables, alors que la société, après avoir entouré le pouvoir judiciaire de toutes les garanties possibles d’impartialitéet d’équité, hésiteencore pour infliger la peine capitale aux plus coupables attentats. (Morale, p. 385.)

Deuxième ahgumext. — L’argument de raison naturelle et théologique, celui que suggèrent le sens commun et la conscience éclairée i)ar la foi, est ex|K)sée magistralement par Léon XIII dans sa Lettre aux évéqucs allemands. « Les deux lois divines » (naturelle et positive) « défendent formellement que personne, en dehors d’une cause i)ul)li<iue, tue ou blesse son siMublable, à moins que ce ne soit pour défendre sa vie etconliainl par la nécessité. Oi- ceux qui provoquent à un condjat privé ou, si on le leur propose, l’acceptent, ont |>our but et s’efforcent, sans y être poussés par aucune nécessité, d’arracher la vie à leur adversaire ou du moins de le blesser. »

« Les deux lois divines interdisent d’exposer témérairement

sa vie en aUronlaiil un jxril grave et

manifeste, sans qu’aucun motif de devoir ou d’héroT que charité y invite ; or cette témérité aveugle, qui méprise la vie, est absolument dans la nature du duel.))(LÉoN XIII, Lettre apostolique « Pastoralisofficii » aux évêques d’Allemagne, 12 sept. 1891. Ed. Bonne presse t. III, p. 85, 87.)

a) Dans l’action morale du duelliste il y a deux choses à considérer, la fin et le moyen : la fin, c’est-à-dire ce qu’il prétend obtenir ou conserver ; le moyen, qui est le duel lui-même. Moyen dangereux, certes ! Il expose sa vie et celle de son adversaire. Il est bien vrai qu’exposer sa propre vie ou exposer un autre à un péril grave de mort ou de blessure n’est pas toujours chose coupable et défendue, mais c’est chose dangereuse, et pour justilier ce danger, il faut une raison suffisante, une raison proportionnée à la gravité même du péril. Le duel est-il un cas de légitime défense ? alors il est justiffé. Personne ne conteste, en effet, qu’il soit permis de défendre sa vie et même des biens très précieux, en blessant ou tuant l’injuste agresseur. L’honneur n’est-il pas le plus précieux de tous les biens ? Oui, mais il y a une différence profonde entre le cas de légitime défense et le duel. Dans le premier cas, il s’agit de protéger, contre une injuste et soudaine agression, des biens que l’on a en sa possession ; que veut celui qui se défend’? protéger ses droits par un moyen eflîcace, le seul eilicace ; le simple bon sens, l’équité naturelle inditquent clairement qu’il doit pouvoir agir ainsi : lui refuser ce droit, c’est livi-er sans défense les honnêtes gens à la merci des coquins. « Dans une société civilisée », dit très bien Mgr d’HuLST, « la règle générale c’est qu’il n’est pas permis de se faire justice à soi-même. Toutefois, si un malfaiteur attente à ma vie ou à ma propriété par surprise, la protection sociale arriverait trop tard pour me mettre en sûreté : je suis donc en droit de m’y mettre moi-même. Vous le voyez : la raison décisive qui justifie, dans ce cas, la violence défensive, c’est le retard inévitable de la vindicte publique. En va-t-il de même quand l’agresseur s’en prend à mon honneur ? Evidemment non. L’honneur ne se perd pas, comme la vie, en un instant. » (Conférences de N.-D., 1896, 3’conf.) Dans le duel, où est cette injuste et soudaine agression qui ne vous laisse d’autre ressource que la résistance à main armée ? La lutte ne se livre pas dans l’agression même ; c’est à la suite d’une convention, précédée parfois de longs pourparlers, réglée par l’intervention des témoins, que les adversaires se rencontreront sur le terrain. D’ailleurs on ne se bat pas pour se préserver d’une offense, mais pour la réparer. Ce n’est donc pas une manière de défendre, de protéger son honneur ; (étrange défense en vérité ! imagine-t-on celui à qui un voleur essaie d’arracher ses biens, lui proposant un combat singulier à armes égales pour savoir qui les aura ?) Il s’agit ici de recouvrer son honneur ; ce n’est plus la victime d’une injuste agression résistant par la force à celui qui veut la dépouiller ; c’est la victime d’une spoliation déjà consommée tpii vient, les armes à la main, réclamer ses biens à celui qui s’en est emparé et qui déjà les i)ossède paisiblenuMit. C’en serait fait de l’ordre social si chacun pouvait se faire ainsi justice à soi-même, et rien n’est plus différent tlu cas (le la légitinu^ défense.

/ ;) Le duel ne peut donc être invoqué comme un moyeu de légitime défense. Tronvcra-t-on une autre /in’, un autre but qui justifie l’cnqiloi de ce moyen si périlleux ? Pourquoi recourt-on au duel ? pour se venger ? pour punir ? wuv réparer son honneur ? Pour se venger ? les défenseurs du <luel rei)oussent hautement, comme indigne d’un homme d’honneur, la basse satisfaction goûtée dans la viu’d’un offenseur