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DUEL

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au témoignage du même Agobard : « Xevoyons-nous pas souvent, disait S. Avit, la partie qui a le bon di’oit de son côté, succomber dans les combats, et la partie injuste l’emiiorter, soit par la supériorité de ses forces.soit par d’habiles manœuvres ?))(Ib., p. 125.) Quinze ans après la mort dvgobard, au concile de Valence, composé des trois provinces ecclésiastiques de Lyon, de Vienne et d’Arles, on trouve un canon contre le duel, bien authentique celui-là, et dont l’importance doit se mesurer à celle des églises qui prirent part au concile. Il qualifie les duels de « combats meurtriers », « si iniques et si opposés à la charité chrétienne », et fulmine, contre ceux qui y prennent part, l’excommunication ; contre ceux qui y succombent, l’interdiction de la sépultvu’e ecclésiastique (Maxsi, Conc. t. XV, p. g-io).

Du silence des papes depuis l’introduction du duel judiciaire jusqu'à Nicolas i" (858-86^), que peut-on conclure ? Le petit nombre de faits de duels judiciaires dont nous trouvions la trace dans les annales des époques mérovingienne et carolingienne, est déjà une explication plausible de leur silence. On ne les a sans doute pas consultés. Devaient-ils d’eux-mêmes intervenir dans les affaires des princes temporels, et s’insurger contre leurs lois, sans grand espoir de succès ? Encore une fois, l’affirmer, c’est s’exagérer l’influence du pouvoir spirituel sur ces peuples encore barbares et souvent fort impatients du joug de l’Eglise. Quand ensuite on a consult<5 les papes, les réponses obtenues d’eux n’ont jamais approuvé cet usage. On citera peut-être une ou deux réponses dans lesquelles le pape, argumentant ad hominem, condamne l’inconséquence et la déloyauté de ceux qui ayant, de leur propre choix, imposé à leur adversaire innocent l'épreuve du jugement de Dieu, persistent à le poursuivre après que l'épreuve a tourné en sa faveur. Souvent les termes employés par le pape sont métaphoriques, et l’on a voulu les entendre du duel judiciaire, alors que le contexte prouve manifestement le contraire. Qu’on lise par exemple la fameuse lettre de Nicolas I" à Charles le Chauve, en 867, au sujet du duel que proposait le roi Lothaire pour prouver la culpabilité de son épouse Theutberge. Les expressions legalem inire conflictum, legitimum controyersiæ subire certamen. ont été entendues du duel judiciaire. Or, si l’on se reporte au contexte, on Aoit que ce combat légal est précisé par « la production des témoins et autres personnes que les saints canons et les lois romaines exigent dans de pareilles disputes. » Qui ne sait que ni les canons ni les lois romaines ne reconnaissaient le duel ? (P./.., t. GXIX, p. 1145.)

Les papes, dira-t-on encore, ne réprouvent le duel que dans les causes ecclésiastiques : ainsi en est-il (Î'Etiknnk VI (880-891). Alkxandrk II (lOÔi-iO’jS), Inxocknt II (i 1 30-i I li'6). Il est vrai, leurs réponses concernent des causes de cette nature ; mais les termes qu’ils emploiciil condamnent énergiqueiiient l’institution elle-même, et rapjjellent une iiiK’ention superstitieuse, le produit dune odieuse maU’eitlanre, un moyeu de défense contraire aux lois ecclésiastiques (/*. L., t. CXLVI, p. i/joG ; t. CLXXIX, p. 119) ; quelle approbation a-t-on le droit d’y ov pour le duel entre laicjues ? Les faits allégués pour prouver que des papes auraient autorisé le <luel. ne mènent pas à cette conclusion. Une constitution (I’Otiion T’et d’OriioN II, portée à l’assemblée de Vérone, en gô'j, prescrit le duel dans un certain nomln-e de cas ; mais à Vérone le pape Jican XIII n'était pas présent, il n’eut aucune part à cette assemblée : en quoi est-il responsable de cetédit ? En 998, Hugues, abbé de Farfa, dans un fameux plaid tenu dans la basilique de Saint-Pierre, à Rome, obtint que son procès contre les prêtres de

Saint-Eustache de Rome fût jugé selon les lois lombardes : en conséquence le duel fut proposé et admis. Il est vrai ; mais il est non moins certain que le pape n'était pas présent et que c’est à l’empereur Othox III, alors présent à Rome, que l’on vint soumettre la dilliculté. En revanche, l’année suivante, le même abbé de Farfa ayant ose demander au pape lui-même un nouveau duel, Gukgoihe V (ggG-gyy) se leva indigné et condamna Hugues à signer sur-le-champ sa renonciation à là propriété en litige.

Quelle valeur probative ont des dispenses ou des absolutions accordées après des duels, par les papes Alex-vxdhe II et Alexandre III ? Ou plutôt ces dispenses, ces absolutions ne sont-elles pas une preuve nouvelle que ces duels étaient interdits et réprouvés ? et lorsque le second de ces papes permet aux évêques de faire grâce à des prêtres ou clercs qui avaient offert ou accepté le duel, il déclare en même temps qu’ils se sont rendus coupables d’une faute très grave « licet ejus excessus gratis admodum exstitisset ». (Décret. Gregorii IX, lib. I, tit. 20, c. i, éd. Friedberg, p. 144) « Quantumqæ ejus in hoc gratis sit et enormis excessus » (ib., 1. V, tit, 14, c. i, p. 805). Les termes mêmes employés par le pape indiquent assez son énergique réprobation. La seule ai^i^robation positive que l’on puisse alléguer, c’est celle des statuts de la ville de Bénévent par Innocent III (i 198-1216). A supposer que le pape les ail étudiés dans le détail et ne les ait pas simplement couverts d’une approbation générale, tout au plus sera-t-il permis d’en conclure que, comme prince temporel, il n’a pas cru devoir ou pouvoir interdire dans tous les cas le duel judiciaire.

Mais chaque fois que les Souverains Pontifes ont jugé le duel en leur qualité de chefs de l’Eglise, de maîtres de la doctrine et de pasteurs des âmes, ils l’ont réprouvé positivement et dans les termes les plus énergiques. Nicolas I" l’appelle une tentation de Dieu, une coutume contraire à la loi divine et aux Saints Pères « omni yel diyinæ yel sanctorum Patrum legi contrariæ ». (P. Z., t. CXIX, p, 1 1 44-) Etienne VI, Alexanore II, Innocent II flétrissent les ordalies en général ou le duel judiciaire lui-même : « Quant à l’usage vulgairement reçu », déclare Alexandre II,

« et qui ne s’appuie sur aucune décision canonique, 

de prouver son innocence par l’eau chaude ou froide, ou par le fer rouge, ou par quelque autre mojen semblable inventé par la grossièreté populaire, tout cela n'étant que le produit d’une odieuse malveillance, nous ne voulons pas que lui-même (l’accusé) s’offre, ni que vous l’engagiez à s’y soumettre, nous le défendons au contraire très énergiquement l)ar notx-e autorité apostolique ». (A L., t. CXLVI, p. 1406). Nous avons cité plus haut les expressions vigoureuses par lesquelles Alexandre III réprouve le duel, ce jugement exécrable, prohibé par les saints canons (ib., t. CC. p. 855). Célestin III (i 191-1 198) le qualifie de véritable homicide (/>>cc ; e/. Greg. /.V. 1, V, lit, lf^, e. 2 Ed. Friedberg, p. 805). <( taies pugiles liomiridæ 'eri e.rislunt ». Enfln IIonorus III l’appelle une procédure détestable, aussi contraire à l'équité qu au droit et///. Et au duel judiciaire doit s’applicpicr sans aucun doute ce qu’il dit de l'épreuve du fer rouge et des autres jugements de Dieu, puisque la raison de le réprouver est la même : " Cette sorte de jugements est absolument interdite par les lois et les saints canons, parce qu’on ne fait ainsi que tenter Dieu. » {Ilonorii III Quinta compilatio, lib. V. tit. 7 et Ht. i’i. — Ed. lioroy, p. 335, 369.) Aussi quand GrkooiUE IX couvre de son autorité apostolique les Décrétâtes (en 123^), la condamnation du SaintSiège est absolue et définitive, et la rubriipie sous huiuelle sont réunis les documents de Célestin III.