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DROIT DU SEIGNEUR

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quel l’autorité royale est conférée par Dieu est choisi par Dieu lui-même, comme le furent Saiil et David ; et il est faux que des circonstances d’ordre humain suffisent à le désigner. De ce principe ils tirent des conséquences inadmissibles. Selon eux, le prince, tenant son pouvoir directement de Dieu seul, n’a de comptes à rendre qu'à lui ; si le peuple, sollicité par son gouvernement à des actes défendus par la loi de Dieu, peut opposer une résistance passive, en vertu de la sentence apostolique : « Il vaut mieux obéir à Dieu qu’aux hommes » (Act., iv, 19), la résistance active, destinée à empêcher l’exécution d’une loi injuste, est toujours défendue ; surtout la rébellion, qui cherche à enlever à un prince coupable le pouvoir dont il abuse, est toujours un crime contre Dieu même, dont le prince est le représentant.

Personne n’a exprimé ces idées avec une plus brutale franchise que le roi Jacques I"^' d’Angleterre, dans ses divers ouvrages sur le pouvoir royal.

« C’est à bon droit que Dieu lui-même nomme les rois

des dieux, j)uisqu’il leur donne le sceptre et le trône et ordonne au monde soumis d’attendre leurs ordres et de vénérer leur puissance… La dignité royale est à la fois civile et ecclésiastique ; le roi n’est pas un pur laïque, comme le rêvent à la fois catholiques et anal)aptistes… Le roi ne doit de comptes de son gouvernenu’ut qu'à Dieu seul ; aucune faute, quelle qu’elle soit, ne peut rendre un prince justiciable de ceux au jugement desquels Dieu l’a préposé. » Si un roi opprime son peuple, « celui-ci n’a de recours qu'à Dieu. s’efTorçant d’ol)tenir par sa patience, sa prière, ramendement de sa vie, seuls actes que le droit divin lui permette, que le Seigneur daigne, de sa main, retirer le fléau de son peuple ». Devant un ordre injuste, « le peuple ne peut que fuir sans résistance la fureur de son roi ; il ne doit lui répondre que par ses larmes et ses soupirs. Dieu seul étant api)elé au secours «. (Cf. J. de la Servikrk, DeJacoho 1 Angliae rege, p. '^4 sq.) On trouverait facilement, dans les écrits de parlementaires gallicans, voire d'évêques tro[) habitués aux cours, des déclarations analogues. (Cf. Fkret, Le pouvoir civil devant l enseignement catholique, III^ partie, p. 310 sq.)

Mais il faut le dire bien haut, jamais ces doctrines n’ont été communes dans l’Eglise. — Tout au contraire, l’immense majorité de ses docteurs, quelle que fût leur opinion sur l’origine du pouvoir civil, a admis qu’en certains cas graves la résistance, même active, à une loi injuste, est licite et louable, et que dans des cas ])lus graves encore, et partant fort rares, un pcujjle peut s’insurger contre l’autorité corruptrice ou tyrannique de son ])rince. Pour ceux qui admettent la collation directe du j)<)uvoir par Dieu au prince, cette collation n’est faite <pie dans certaines limites et pour un certain but, le bien du j)euple. Pour ceux qui atbiiettenl la coUatit)n divine du pouvoir ( ! u piince jtar le jteiqtle, » jamais le peuph ; ne délègiu' tellement sou pouoir qu’il ne le conserve en puissance et ne puisse, dans certains cas, le j’cprenth-e mênu' en acte «.(Bellarniin, /iVy>o//s(? au roi Jacques d Angleterre, 13 ; Oyv., t. XII, p. 184 sq.)Cf. l’article Tyh.vxmcioe. Enlin la <|iuisi unanimité des théologiens catlioliques atlmet aujourd’hui le pouvoir indirect du Pai)e en matière tenq)orelle, c’est-à-dire reconnaît <|u’en vertu de l’autorité sjjiritueUc que Dieu lui a donnée sur l’Eglise, le Pape peut acbnonester, frapper de censures, un prince dont l<-s actes de gouvernement nuisent gravement à cette Eglise, et si les censures nesulliscnt pas, délier ses peiqtles de leur serment <h- li<k’lité et (h’clarer le souverain déchu de ses droits. Cf. larlick- Paim : (Poi vont m).

On le voit, si l’Eglise reconnaît l’origine divine du

pouvoir, si un bon nombre — non la majorité — de ses théologiens admettent la collation directe du pouvoir par Dieu au souverain, il ne suit nullement de ces principes que le peuple n’ait jamais le droit de résister, même activement, aux injustes exigences de ses gouA^ernants, et que le pouvoir des princes soit inamissible, quehjue abus qu’ils ea fassent. La doctrine du droit divin, non seulement des rois, mais de tous les gouvernements légitimes, entendue comme l’entend l’Eglise, ne porte aucun préjudice aux libertés légitimes, également concédées par Dieu, des sujets, au « droit divin des peuples » Bibliographie. — Bourret (Cardinal), De V origine da pouvoir civil d après S. Thomas et Suarez, Paris, 1867 ; V. Cathrein, Moralphilosophie, t. II, j). 386 sq., Fribourg, 1891 ; Férel, Le pouvoir civil devant l’enseignement catholique, Paris, 1888 ; Hergenrôther, Katholische Kirche und Christliches Staat, 14, I, Fribourg, iS’jo ; Lacour-Gayet, L'éducation politique de L^ouis A'/T, Paris, 1898 ; id., La théorie du pouvoir royal (LList. gén. de Lavisse et Rambaud, t. VI, p. 152 sq) ; de la Servière, De Jacobo f Angliæ rege, cuni Card. Lioberto Bellarmino super potestate cum regia cum pontificia disputante. Paris, 1900.

J. DE LA Servière.


DROIT DU SEIGNEUR. — La légende du

« Droit du seigneur » est une des armes que nombre

d’auteurs dirigent encore contre l’ancien régime — que nous n’avons pas à défendre ici, — et contre l’Eglise elle-même. Point n’est besoin de définir cr dont tant de monde a parlé. Mais la chose, dit-on, aurait existé un peu partout, en Ecosse, d’où quelques doctes la prétendent originaire, en France, en Allemagne, en Suisse, en Italie ; il n’y a guère que l’Espagne qui aurait eu la bonne chance de n'êtrt pas contaminée. Laissant donc de côté toute définition, appliquons-nous à la critique des témoignages sur lesquels on s’est appuyé pour affirmer l’existence de ce prétendu droit.

Les témoignages doivent évidemment être nombreux ; il est à croire qu’un tel abus du seigneur contre le serf ne s’est pas introduit et surtout ne s’est pas perpétué sans de vives protestations, sans des résistances parfois violentes ; il n’est guère possible que la dignité humaine, condamnée pendant des siècles au plus sanglant outrage, n’ait pas fait arriver jusqu'à nous l'écho de ses plaintes, soit dans les satires parfois violentes où le noble n'était guère épargné, soit dans les Etats généraux où le Tiersétat était admis à présenter ses doléances ; or de tels témoignages sont encore à trouver. Les défenseurs du « Droit du seigneur », les prélibateurs, comme on les a nommés (A. de Foras, /.e Droit du seigneur), sont contraints de se rabattre sur des anecdotes, sur des témoignages suspects, sur des textes qu’ils n’ont pas conq)ris.

Parmi les droits parfois singuliers qui, au tenqis de la féodalité, modifiaient en tant de façons les rapports entre les personnes, il en est un ([u’oii trouve désigné sous différents noms : jus primæ noctis, maritagium, formariage, ou sous d’autres expressions plus réalistes. Plusieurs textes établissent, en effet, que ce droit ai)partenait à des évê(|nes, à des chanoines, à des seigueurs, et parft)is même à des ahbessrs. Etait-ce là le « Droit du seigneur », au sens qu’il a plu aux prélibateurs de donner à ces textes ?

Le Jus primæ noctis se rapporte à un précepte ecclésiastique fort resiiectable : soucieuse d’inspirer aux époux clirctiens le respect réei[)roque et la chasteté, l’Eglise avait reconuuandé ou ordonné aux