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divin exercice qui consiste à connaître, aimer et louer Dieu, qu’ils ne le quittent jamais, et que, comme dit Bossuet, « ils éteignent, pour le continuer durant tout le cours de leur vie, tous les désirs sensuels >'.

Voilà le fait : Notre âme se complaît, se délecte dans le nécessaire, dans l'éternel, dans l’immuable. C’est là qu’elle respire, c’est là qu’elle se dilate, c’est là qu’elle jouit. Ainsi est faite sa nature.

Mais que suppose la jouissance ? Ne suppose-t-elle I)as une correspondance entre celui qui jouit et l’objet qui le fait jouir, une proportion, un point par où les deux natures se touchent et se conviennent ?

Si donc l'àme humaine jouit par-dessus tout de ce qui est au-dessus du temps, et n’est point limité, ni borné dans sa durée, c’est qu’elle-même, par sa nature, domine le temps et possède, en droit, une existence sans fin.

Vous arriverez à la même conclusion, si vous voulez considérer quel est le désir naturel de l'àme humaine.

C’est un principe, qu’un désir de nature ne peut être Aain et sans objet, parce que la nature ne se ment point à elle-même. Quel est donc le grand désir, 1 ; grande aspiration de notre àme ? c’est d'être, c’est d’exister toujoiu-s. Or, remarquez-le bien, ce désir est vraiment un désir de nature. Nous sommes ainsi faits qu’il se produit nécessairement. Nous désirons l’existence, parce que la nature a déposé dans tous les êtres une tendance à la consei’vation ; il y a seulement cette différence entre nous et ce qui nous entoure : c’est que seuls, parmi les êtres de ce monde, étant doués de la pensée, nous concevons l’existence, non pas concrète et emprisonnée dans un coin de l’espace, ou dans une partie du temps, mais l’existence en général, l’existence sans limites.

D’où il résulte que notre désir naturel de l’existence s'étend jusqu'à une existence sans liii, et manifeste par là-même que nous portons en nous un principe de soi immortel ; que nous possédons, outre notre corps qui périt, une àme dont la nature est de ne point périr.

A ces deux preuves, faciles à saisir, saint Thomas en ajoute une troisième : L'àme humaine est naturellement immortelle, parce qu’elle ne possède en elle-même aucun principe de destruction. L'àme humaine, en effet, est absolument simple ; on ne saurait lui assigner ni parties quantitatives, comme aux réalités étendues, ni parties essentielles, comme aux substances composées de plusieurs principes physiquement distincts. Par nature donc elle échappe à toute division et à toute décomposition. Par nature donc aussi elle demeure un sujet éternellement apte à l’existence et réclamant une existence éternelle. Il n’y aurait pour elle qu’une manière de linir : l’anéantissement. (Quæst. un. de anima, art. 14.)

— Mais l’anéantissement, tel est précisément l'écueil contre lecjuel peut-être va venir se briser notre immortalité.

L’on conçoit, en effet, qu’un être peut être détruit de deux manières : par division, décomposition, ou par anéantissement. — Voici un obus, l’obus éclate, et les éclats en sont projetés au loin, dans toutes les directions ; l’obus est détruit par la division et la dispersion de ses parties ; et le corps du pauvre soldat qu’il vient de mettre en i^ièces est détruit de la même façon. Mais cette destruction n’est pas la plus radicale qu’on puisse supposer. — Des objets ainsi divisés et brisés, il reste quelque chose, des fragments. Or, l’on peut concevoir une destruction où rien ne soit épargné, où absolument rien ne demeure : c’est l’anéantissement proprement dit. Qu’une force simple et spirituelle comme notre àme ne puisse être ni divisée, ni décomposée, cela est constant ; mais nous

ne serons pas beaucoup plus avancés, si elle peut être anéantie.

— Voici d’abord, à ce sujet, une observation rassurante : c’est que nulle force créée ne peut anéantir quoi que ce soit.

Sur ce point, nous pouvons invoquer le témoignage des matérialistes : car, c’est un de leurs dogmes que, dans ce grand conflit des êtres qui se Aoit dans le monde, les agrégats seuls sont détruits et que les éléments et les forces demeurent. Les atomes de la matière, nous disent-ils hautement, demeurent immuables, sous le flot toujours mobile des combinaisons et des transformations où ils se trouA’ent engagés.

Nous n’avions que faire, du reste, de cette allirmation des matérialistes : l’expérience nous montre assez clairement, à chaque heure, que les forces agissant avec le jalus d'énergie respectent toujours le dernier fond des êtres qu’elles atteignent.

Et même la philosophie nous en dit la raison, non moins clairement : c’est que la distance de l’existence au néant étant la même que celle du néant à l’existence, pour ramener une créature de l’existence au néant, il faut la même puissance que pour l’amener du néant à l’existence : de même, par conséquent, qu’une puissance inflnie seule peut mettre une réalité là où n'était que le néant, ainsi une puissance inlînie seule peut faire que le néant succède à la réalité. Nul être fini, nul être créé ne peut donc anéantir l'àme, de même qu’elle ne peut non plus anéantir le dernier atome.

Si elle peut être anéantie, c’est Dieu seul qui peut le faire.

— Mais Dieu, encore une fois, ne peut-il pas la détruire, en l’anéantissant ? S’il le peut, que devient alors notre immortalité ?

A ce propos, vm des plus illustres apologistes du siècle dernier, Valsecchi, fait une i-emarque fort juste et qu’il est bon de mentionner : c’est que cette difficulté, les spiritualistes peuvent bien se la poser, mais les matérialistes ne sauraient l’invoquer contre nous, sans se donner un démenti à eux-mêmes, puisqu’ils ne reconnaissent pas l’existence de Dieu.

La difliculté, du reste, n’en demeure pas moins poiu" nous. Heureusement, elle n’est pas insoluble.

Il est bien vrai que Dieu a la puissance d’anéantir nos âmes. Car Dieu les a créées, et sa puissance d’anéantir s'étend aussi loin que sa puissance de créer.

Mais, rassurez-vous : Cette redoutable puissance de Dieu n’anéantira pas nos âmes, parce qu’elle n’est plus libre pour cet efl’et, étant comme retenue et liée par les autres attributs divins. Expliquons-nous. Dieu étant un être inliniment jjarfait, toutes les perfections se trovivent en lui, et chacune à un degré infini. De même, par conséquent, cju’aucune perfection ne lui manque, nulle non plus ne peut être inférieure, ni faible par rapport aux autres ; selon notre manière de concevoir, toutes, au contraire, sont dans un admirable ét|uilibre et agissent avec un mer"eilIcux concert. Il suit de là qu’en Dieu nulle perfection ne saurait être sacriliée à une autre, ni blessée I)ar une autre, et que la puissance, par exemple, ne saurait jamais faire ce que la bonté, la justice ou la sagesse n’approuvei-aicnt pas.

Or, la justice et la sagesse de Dieu lui défendent d’anéantir l'àme humaine.

Et d’abord qu’il existe une autre vie, cela ne peut pas être mis en doute, par quiconque admet l’exis^ tence de Dieu.

Dès lors que Dieu existe, en effet, il est nécessairement conçu comme providence et comme justice infaillible.