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DOGME

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elles sont si riches d’efricacité morale, n’est-ce pas parce qu’elles sont appujées sur une connaissance divinement sûre de la réalité ? Si c’est d’agir comme si Dieu était personnel qui me fait vivre la vie humaine la plus accomplie, n’est-ce pas une bonne preuve que Dieu est personnel en quelque manière ? Et comme, à propos de tous ces énoncés dogmati((ues, où MM. G. Tykrell et Le Roy ne voient qu’un formulaire d’action (s’adressant aussi à rintelligcnce, mais sans l’instruire positivcment). je pourrai renouveler un raisonnement semblable, concluant que Dieu est trine, en quelque manière analogue à une personnalité triple, que le Verbe est Fils, en quelque manière etc., toutes ces déductions inéluctables s’appuyant l’une l’autre, ne trouverai-je pas, dans l’ensendjle de la dogmaticiue, une lumière propre à me faire mieux saisir, au moins obscurément, en quelle manière chaque proposition isolée peut exprimer la réalité ?

MM. G. Tyrrell et E. Le Roy ont observé judicieusement, chacun à leur point de vue, que, pour apprécier la valeur prophétique ou pratique de chaque dogme, il fallait le considérer dans ses rapports avec tous les autres. De même, dirons-nous, de tout l’ensemble de ces indications divines il se dégage, inévitablement, toute une série de concepts, indicpiant tous une direction de pensée et la précisant les uns par les autres. Si les dogmes me disent tour à tour : conduisez-vous envers Jésus comme envers le Fils du Père en quelque manière, comme envers le coprincipe du Saint-Esprit ; adorez-le comme le Père, personnel et puissant comme lui ; tenez-le comme le principe de votre xie religieuse, cause de Aotre salut, vie de votre vie, terme de tous vos actes… plus je parcours cette liste de recettes, plus nettement se dessine le concept que je me fais et me dois faire du Christ. Je vois bien qu’il me l’cste, dans le sens de ces aperçus, infiniment à comprendre, mais je vois bien que je comprends quelque chose, que ce quelque chose la réalité doit le contenir, non pas « sous une forme ou sous une autre », Dogme et critique, p. 25, p. 298, mais sous une forme qui m’apparait de plus en plus déterminée, d’autant que des faits comme ceux-ci, divinité stricte, égalité stricte, omnii)iussance stricte, sont singulièrement clairs et en illuminent d’autres.

Allons plus loin ; laissons le rapport d’utilité et considérons les notions mêmes. Qu’est-ce donc qu’un

« énoncé prophétique » ou une « recette pratique », 

indépendamment d’une valeur spéculative, non seulement inq)licite dans leur formule, mais explicitement connue avant qu’on les énonce ?

G. Tyrrell, qui ne l’admet pas, est obligé de recourir à un instinct prophétique de l’Eglise. Il substitue ainsi à la connaissance noi-male un sens divinatoire, et le miracle continuel au jeu naturel des facultés. Cela rend-il l’explication plus claire et plus acceptajjle à resi)rit moderne ?

M. E. Le Roy rejette aussi cette valeur spéculative, mais sa recette d’action malgré lui l’aflirme.

Il est certain que, dans la connaissance Aulgaire, nous connaissons les clioses par leur actionsur nous, que nous les envisageons surtout dans leurs rapports avec nos actions. En dehors de toute explication scientifique, le feu c’est ce fjui nous brûle, la beauté ce qui nous charme, la miséricorde ce qui nous soulage. S’ensuit-il que ces idées, même grossières, n’aient aucune valeur spéculative ? M. Bergson ne peut le prom er. Sans doute cette connaissance du feu par son ellet sur moi est très relative, très rudinicntaire, mais elle me dit quelque chose sur la nature du feu, et c’est l’essentiel ; et ce quelque chose, ce n’est pas seidement m^n altitude passée et mon attitude à Acnir, mais quelque chose qui explique en

partie l’une et exige l’autre : c’est leur raison d’être, mal définie, mal exprimée, mais réelle. La formule qui exprimera cela n’est pas un schème d’action ; elle exprime une vérité objective, toujours par rapport à moi, mais, en même temps et si grossièrement que ce puisse être, en soi.

Il le faut bien.

En disant que les « concepts » sont des « schèmes d’action », on n’entend pas qu’ils soient des représentations mentales qui produisent certains actes comme par un déclanchement automatique ou instinctif. Ces images, toutes relatives à l’action, sont telles qu’elles permettent à l’homme de prévoir les besoins de l’action et d’y pourvoir ; et parce que, pour une action précise, il faut prévoir et pourvoir de manière exacte, l’image doit avoir avec l’acte à produire une conformité précise. S’il en est ainsi, que manque-t-il au « concept » pour être spéculativement A’rai ? Il y a donc une mérité dans le « concept », et non pas seulement dans « l’intuition ». Par cette brèche, on restituera aux formules du langage vulgaire leur valeur intellectuelle ; cf. de Toxqukdec, La notion de vérité, p. 76 sq., 81 sq. La Aaleur spéculative des formules dogmaticpies rentrera par la même porte.

L’idée abstraite d’air ou d’eau, qui sera ma

« recette » peut-elle être « pratique », si elle n’est
« Aéridique », me représentant l’air et l’eau fluides, 

comme ils sont, et le dogme trinitaire peut-il être

« recette pratique », s’il ne me décrit, toutes proportions

gardées, l’être divin trine et un, comme il est ?

Sans doute la connaissance humaine ne Aa pas loin. Elle définit ce qu’est le feu par ses qualités sensibles, sans atteindre sa nature intime. Elle n’atteint pas davantagele constitutif intime de la personnalité humaine, quand elle juge que Pierre est une personne : elle avoue un rapport de Pierre à d’autres êtres et un rapport statique. Elle n’atteint pas la réalité profonde qu’est la sagesse, quand elle estime qu’il est sage : elle exprime un rapport spécial de couvcnanceet d’opportunité, qui se traduit dans tous ses actes et dont elle Aoitenlui la cause responsable. A tout prendre, le langage courant fournit une définition des choses par l’extérieur, par la collection de leurs actions et réactions, qui suffît à les distinguer, qui exprime tantôt leur état, tantôt leur aptitude à produire divers effets, tantôt le fait qu’elles les ont produits. La notation de ces réalités reste très superficielle ; elle s’inspire surtout de nos besoins pratiques : c’est chose éA’idente ; mais elle suffît à discerner des individualités précises et des rapports bien définis. C’est assez pour que l’on sache de quoi l’on parle et ce que l’on en dit.

Dire que la révélation, qui s’exprime en cette langue du sens connnun n’apporte que des « données théologisaliles » Bulletin de litt. ecclés., 1906, p. 8, cf. Revue du Clergé, 1907, t. LU, p. 21g, repose donc sur une confusion de la théologie et du dogme, et reste un propos « subvcrsif ». Dogme et critique, p. 29g, si l’on veut dire que le dogme contient uniquement des recettes i)ratiques, que légitime un grand X, à préciser vaille quc vaille par les théologies. La révélation apporte un ensemble de A-érités, exprimant avec toute la lucidité du langage courant les rapports qu’il nous importe le plus de connaître entre l’Etre divin et nous : Dieu vrainuMit personnel, vraiment Père, vraiment auteur de l’Univers, ele… Et cet apport de vérité c’est proprement la dogmatique. La théologie peut s’exercer en marge, pour expliquer préciser, agencer. Elle n’a pas à déduire ces vérités majeures ; elle les trouve, et elle s’égare, le jour où elle met sous ces mots un sens que le vulgaire ne comprend plus, cf. IX, col. 1 1 48 sq.