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DIEU

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Evolution créatrice, i. 301. Notre thèse serait donc la suppression de la vie divine et de la lil)erté divine.

Cette ol)jection serait vraie si la métaphysique se ramenait à la logique ou à la mathématique, comme le voulait Spinoza et d’une certaine manière aussi Leibniz. Spinoza voulut faire de la méthode mathématique la méthode universelle, el pour cette raison rejeta la causalité efficiente et la causalité linale pour ne plus conserver, comme en géométrie, que la causalité formelle et les rapports de propriété à essence (cf. P. Léo Michel, O. P., Le Système de Spinoza au point de vue de la logique formelle. — Bévue Thomiste, janvier 1898). Quant à Leibniz, il n’a pas su tenir compte de la priorité de l’être sur l’intelligence, et en méconnaissant le concept de « puissance », auquel il a substitué celui de « force », il est revenu à l’immobilisme des Eléates (ses monades ne peuvent agir les unes sur les autres), et est tombé dans le déterminisme, — Si, au contraire, la métaphysique est distincte de la logique, si la pensée se ramène à l’être et non pas l’être à la pensée, l’Etre même ou l’Acte pur n’est pas un axiome, il est la plénitude de l’être, et cette plénitude est assez riche pour répondre à notre concept de vie el à celui de liberté.

Nous venons de voir en effet que le pur être est pure pensée, comme le pur bien toujours actuellement aimé est pur amour. Cette contemplation immobile, parce que toujours actuelle et éternelle, du suprême intelligible, cet amour éternel du suprême désirable est la vie même el aussi la liberté la plus absolue à l’égard de tout le créé.

La vie supérieure, en effet, ne comporte pas le mouvement ; le mouvement, qui suppose imperfection et potentialité, n’est qu’une imperfection de la vie créée qui ne possède pas d’emblée la plénitude qu’elle doit avoir, et surtout de la vie matérielle qui ne change sans cesse que parce que constamment elle meurt (mouvement d’assimilation et de désassimilation). Ce qui est absolument essentiel au vivant, dit S. Thomas (I », q. 18, a. i et 3), c’est d’avoir en soi le principe de son action, c’est l’immanence de l’action, et plus on s’élève vers Dieu, plus cette immanence grandit. La pierre n’est pas vivante, car elle n’a pas en elle le principe de son action ; la plante vit parce qu’elle se meut elle-même en tant qu’elle se nourrit, se développe, se reproduit, mais elle ne détermine elle-même ni la forme, ni la lin de ces mouvements. Cette forme et cette fin lui sont imposées par l’auteur de sa nature. L’animal a une vie supérieure parce qu’il perçoit par ses sens les divers objets vers lesquels il peut se mouvoir, et plus les sens de l’animal sont parfaits, plus il est vivant, parce qu’il peut d’autant mieux varier son action. L’homme a une vie supérieure encore, parce qu’il ne connaît pas seulement les objets capables de spécifier ses divers mouvements, mais il connaît encore la raison de fin, il peut se proposer un but et voir dans ce but la ra ison d’être de certains moyens qu’il détermine lui-même. Il est ainsi maître de son action en tant qu’il la détermine au point de vue de sa forme et de sa fin. Cependant l’intelligence humaine a besoin d’être mue objectivement par une vérité extérieure, car elle n’est pas l’être ; la volonté humaine a une fin ultime extérieure, car elle n’est pas le bien, el l’une el l’autre dans l’ordre d’efficience ont besoin d’être prénmes par la cause première. L’/psum esse subsistens. Lui, est souverainement vivant, parce qu’il possède si bien en lui tous les principes (formel, final, efficient) de son action, que cette action est lui-même. Elle n’est pas l’adhésion à une vérité extérieure, elle est la Vérité même à 1 elat de Pensée toujours actuelle, toujours vivante, le Bien à l’état d’Amour éternel. Dieu donc n’est pas

seulement vivant, mais il est la "S’ie. Tel est le résumé de l’article de S. Thomas, l trum Deo conveniat vita, I", p. 18, a. 3. Arislote avait déjà dit de l’Acte pur :

« La vie est en lui, car l’action de l’intelligence est

une Aie, et Dieu est l’actualité même de l’intelligence ; cette actualité prise en soi, telle est sa vie parfaite et éternelle. Aussi appelons-nous Dieu un vivant éternel parfait Mîv « (5toy aotirov. La vie éternelle appartient donc à Dieu, car elle est Dieu même. » (.l/e<..XlI, c. j.)

Le principe que nous plaçons au sommet de tout, n’est donc pas un axiome. Lorsque nous disons que Dieu est immuable, nous ne voulons pas dire qu’il soit inerte, nous airirmons au contraire qu’étant la plénitude de l’être ou l’acte pur, il est par essence son activité même et n’a pas besoin de passer à l’acte pour agir. Conunent l’action de soi éternelle par laquelle Dieu agit ad extra n’a-t-elle son effet que dans le temps ? Nous avons montré plus haut (col. 1 008) que c’est tout à la fois le mystère de la coexistence de l’éternité et du temps et le secret de la liberté divine. A tel point que seule la Révélation, selon S. Thomas (I », q. 46), peut nous faire connaître si le monde a commencé au lieu d’être créé ab aeterno, cela ne dépend que de la liberté divine. Mais rien dans ce mystère ne nous oblige à nier le principe d’identité comme loi fondamentale du réel, à nier l’immutabilité suréminente de Dieu, tout, au contraire, nous porte à l’affirmer. — Il n’y a donc aucune antinomie entre l’immobilité divine et la vie. Par où l’on voit que l’être domine le statique et le dynamique.

« La conception ontologique déborde en universalité

la conception dynamique, elle l’englobe et n’est pas englobée par elle. » P. Gardeil, Le donné révélé et la Théologie, p. 283.

Quant à la liberté divine, elle se fonde sur la souveraine indépendance de l’Ipsum esse subsistens à l’égard de tout le créé, elle n’est autre que l’indifférence dominatrice de l’Etre à l’égard du non-être, qui peut exister, mais n’a aucun droit à exister, l’indifTérence dominatrice de l’Amour éternel du Bien absolu et infini à l’égard des biens finis qui ne peuvent lui apporter aucune perfection nouvelle. — La pensée grecque, qui avait peu de sympathie pour l’obscure idée de liberté, a cherché vainement à expliquer le passage de Dieu au monde, de l’Un au multiple. « Elle a postulé, dit M. Bevgson{Evolution créatrice, p. 354), une espèce de nécessité métaphysique » d’après laquelle l’immuable et pure perfection doit se traduire en une infinité d’êtres imparfaits et instables qui en sont comme la monnaie. Ce postulat ne s’impose évidemment pas, du fait qu’on admet l’Acte pur. Il suffit pour s’en convaincre de méditer l’article de la la Pars de la Somme Théologique, q. 19, a. 3. « Utruni quidquid Deus vult, ex necessitate velit. m S. Thomas répond : « Cum bonitas Dei sit perfecta et esse possit sine aliis, cum nihil ei perfectionis ex aliis accrescat, sequiturquod alia a se eum velle non sit necessarium. » Il n’j' aura pas plus d’être, plus de perfection après la création, il y aura seulement plusieurs êtres (non plus entis, sed plura entia ; comme il n’y a pas plus de science lorsque nous comprenons Aristote, il y a seulement plusieurs savants). Cependant Dieu aura pour créer une raison relativement (mais non pas absolument) suffisante : il convient que Celui qui est le souverain Bien communique ce qui est en lui, et le communique avec la plus absolue liberté (cf. Cajetan in I^’". q. 19, a. 2).

A i)lus forte raison Dieu sera-t-il libre de créer tel ou tel être fini. Deuxbiens partiels, si inégaux soient-ils, sont tous les deux mélangés de puissance et acte, et par là également a l’infixi tous les deux du bien total, qui seul est pur acte. En face d’eux, la liberté reste. Il n’j- a pas de raison suffisante infailliblement