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DIEU

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ques le plus iinivei’sel, et cekii qui est supposé par tous les autres ; 3" parce que ce nom, exprimé au présent, domine, comme l’éternité, le passé et l’avenir. En faisant dépendre l’intelligence de la vérité ou de l’être, nous nous séparons de l’intellectualisme absolu de Leibniz. Comme le remar([ue M. Boltroux {La Monadologie, notice, p. 8^), « Leibniz, placé au point de vue moderne de la glorification de la personnalité, voit au contraire dans une intelligence… le support indispensable de la vérité », Erdm, 502, b. On peut se demander si l’aboutissant normal de l’intellectualisme absolu de Leibniz, qui ne conserve plus de la liberté que le nom, n’est pas l’idéalisme absolu de Hegel qui ramène l’être à la pensée et par voie de conséqiience ce qui est à ce fjui doit être, la liberté à la nécessité, le fait accompli au droit, le succès à la moralité. De ce point de vue on doit en venir à faire du devenir la réalité fondamentale, à nier la valeur objective du principe de non-contradiction qui ne régit plus alors que la raison raisonnante et ses abstractions. — S. Thomas échappe au déterminisme i>sychologique tout en maintenant la sul)ordination de la volonté à l’intelligence, parce qu’il atlirme plus hautement que Leibniz la dépendance de l’intelligence à l’égard de l’être. S’il y a priorité de l’être conçucomme un absolu, sur l’intelligence conçue coimue relative à l’être, il n’est pas nécessaire que tout dans le réel soit positivement intelligible et de soi prédéterminé, que le passage de l’Etre même à l’existence du inonde, par la création, celui de rintini au fini, de l’Un au multiple, de l’universel au particulier se puisse déduire du principe de raison suffisante. L’intellectualisme se limite lui-même en se posantcommeun /ea/^sme et en distinguant dans l’être, auquel il reconnaît une priorité sur la pensée, un élément pleinement intelligible (l’acte), et un autre clément (la puissance) foncièrement obscur pour l’intelligence, mais nécessaire pour résoudre les arguments de Parménide et expliquer en fonction de l’être la multiplicité et le devenir. Xous ne pouvons ici insister davantage sur ces idées, nous y reviendrons un peu plus loin (col. io85). Nous avons assez longuement développé cette thèse dans la Revue des Sciences philosophiques et théologiques, oct. 1907 et janv. 1908,

« Intellectualisme et liberté chez S. Thomas ». —

Comme l’a remarqué M. Ollé-Lapru.ne dans La Baison et le nationalisme, le principe de la thèse rationaliste est que l’être se ramène à la pensée, et non point la iiensée ou la raison à l’être, d’où l’on déduit la négation de la liberté et de la légitimité de la foi. Cf. Annales de Philosophie chrétienne, 1907, avril, p. 21.

2" Les attributs divins se déduisent de l’Être

même subsistant : i’nité, vérité, bonté, infinité, immutabilité, éternité, incompréhensibilité, intelligence, vie, liberté, providence, justice et miséricorde, toute-puissance et béatitude absolue. — Dieu est donc et avant tout l’Etre même. De l’Ipsum esse subsistens, se peuvent déduire tous les attributs divins. Nous donnerons seulement le schéma de cette déduction.

De même que l’être en général a pour propriétés transcendantales l’unité, la vérité, la bonté (cf. col. 1007), l’Etre même subsistant doit être absolument un (simi)le et unique, I », q. 3 et n), loin d’être inconnaissal )le il doit être la Vérité première on le premier intelligible, ri T : / ; âTov.iy ; T4v (.)/e/., XII, c. 7 ; I « , q. iG), étant la plénitude de l’être, il est aussi le souverain Bien, capable d’attirer tout à lui, premier désirable, TÔ Tr/5'iTi> ifysxrd-j, le fondement de tout devoir, t « (tyvMv x «. 70 « /5tTTîv(Ia, q. 4^ 5^ G). II doit être aussi infini, c’est-à-dire sans limite d’essence (I^, <i. 7), immuable

(la, q. 9), éternel (I*, q. 10), invisible et incompréhensible (la, q. 12).

L’intelligence se définissant une vivante relation à l’être, la volonté une vivante relation au bien, doivent être, comme l’être et le bien, transcendantales et analogues, susceptibles comme l’être d’être purifiées de toute potentialité ou imperfection et d’être réalisées à un degré éminent (col. 1 007). Elles sont d’ailleurs exigées par r£’//e même. L’Ipsum esse subsistens est, par définition, immatériel (l^, q. 3, a. i et 2), par là même il est intelligible en acte et intelligent (l », q. 14, a. 1). Bien plus, il est indépendant, non seulement de toute limite matérielle et spatiale, mais de toute limite d’essence, il est donc souverainement intelligent, son intelligence ne peut être une simple faculté ou puissance, elle est un acte éternel d’intellection. Et l’acte éternel d’intellection ne peut que s’identifier avec l’Etre même à l’état de suprême intelligibilité, toujours actuellement connu. Ne cherchons pas ici, avec Spencer, la dualité de l’objet et du sujet, elle ne provient, dit S. Thomas (l^, q. 14 » a. 2), que de la potentialité de l’un et de l’autre (cf. plus haut, col. io54). L’acte éternel d’intellection, ou l’intellection purifiée de toute potentialité, demande, non pas seulement ex communibus, mais ex propriis (de par sa raison formelle ) à s’identifier avec le pur être toujours actuellement connu. Et d’autre part l’Etre même, pour être acte pur à tous points de vue, doit être, de soi et dès toujours, intelligible, non seulement en puissance mais en acte, bien plus, intelligé en acte (intellectum inactu) ; or l’intelligible toujours actuel demande lui aussi ex propriis à s’identifier avec l’éternelle intellection. Après la purification de toute potentialité, la pure pensée est pur être, et le pur être est pure pensée, cVrtv -h vs/^Tt ; jc, r, 7îo>i >o/ ; 7t ; (Met., XII, c. g).

S’il faut attribuer à l’Etre même l’intelligence, il faut lui attribuer aussi la volonté. La volonté en elfet est spécifiée par ce transcendanlal qu’est le bien. elle est donc analogue comme lui, et d’autre part, dit S. Thomas, 1= », q. 19, a. 1, elle suit l’intelligence, comme l’inclination naturelle inconsciente suit la forme même, la nature même des êtres inconscients. En Dieu, la volonté n’est pas plus puissance que l’intelligence, elle est l’Acte même d’amour du Bien ou le Bien même toujours actuellement aimé. Le concept d’amour, aussi bien que celui de volonté, est analogue, comme le bien transcendanlal qui les spécifie. Mais ici surgit une difficulté : si Dieu est ainsi absolument immuable et en tout et pour tout identique à lui-même, peut-il être vivant et surtout peut-il être libre : " Spenceh, nous l’avons vu (col. 972), ne veut voir qu’une antinomie entre l’immulabilité qu’on est obligé d’attribuer à la cause première et d’autre part la vie et la causalité libre qu’on voudrait aussi lui reconnaître. M. Bergson présentait récemment la même objection sous la forme suivante : « Supposons un principe sur lequel toutes choses reposent et que toutes choses manifestent, une existence de même nature que celle de la définition du cercle, ou que celle de l’axiome A = A : le mystère de l’existence s’évanouit, car l’être qui est au fond de tout se pose alors dans l’éternel comme se pose la logi([ue même. Il est vrai qu’il nous en coûtera un assez gros sacrilice : si le principe de toutes choses existe à la manière d’un axiome logique ou d’une définition mathématique, les choses elles-mêmes devront sortir de ce principe comme les applications d’un axiome ou les conséquences d’une définition, et il n’y aura phis de place, ni dans les choses, ni dans leur principe, pour la causalité efficace entendue au sens du libre choix. Telles sont précisément les conclusions d’une doctrine comme celle de Spinoza ou même de Leibniz par exemple, et telle en a été la genèse. »