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cognoscunf rationem finis », ils ne connaissent pas ce par quoi la chose qui est lin est lin, id cujus gratia aliquid fit, zi oj =.>=/.'/., ils ne peuvent percevoir la relation des niojens à la liii, aussi sont-ils incapables d’approprier eux-mêmes les moyens en vue de la On. Cette relation, seule l’intelligence la pjeut percevoir, parce que, au lieu d’associer ou de juxtaposer seulement des images, l’intelligence atteint les raisons des choses, et le moyen a une relation à la fin en tant précisément qu il a en elle sa ra ison d'être. Cette l’Aison d'être ne peut être perçue évidemment que par la faculté qui a pour objet formel l'être même, et non pas la couleur ou le son, ou les faits d expérience interne. De plus, la perception de cette raison d'être suppose la réduction du moyen et de la fin à l’unité d’une même représentation, et seule la représentation intellectuelle ramène ainsi à l’unité ce qu’elle contient. De même que, dans la preuve par les degrés des êtres, on s'élève du multiple à l’un, ici on s'élève d’une multiplicité ordonnée à une unité ordonnatrice. « Rationis est dirigere, quia rationis est ordinare. » (I^ 11^^. q. 90, a. I.) L’ordre du monde exige donc une intelligence ordonnatrice.

Kaxt objecte : l’existence de la finalité admise, on ne peut affirmer que la raison propre de l’ordre soit dans une intelligence, ce n’est cju’une analogie ; nous disons que c’est une intelligence, parce que nous ne connaissons pas autre chose.

Si nous disons : c’est une intelligence, ce n’est point seulement parce que le hasard, l’aveugle nécessité, l’instinct ou la liberté aveugle n’expliquent rien, c’est parce que l’ordre suppose que le moyen a sa raison d'être dans la fin, et que l’intelligence est essentiellement ce qui perçoit la raison d être, c’est là son objet formel. De plus l’intelligence, pure relation transcendantale à l'être, est analogue comme lui, et, pas plus que lui, n’implique en soi imperfection ; c’est une perfection absolue.

Instance : il pourrait y avoir plusieurs intelligences ordonnatrices. — Réponse : Nous voyons que toutes les forces de la nature s’harmonisent en vue d’une fin commune, ce qui suppose une intention commune. De plus, ces multiples intelligences auraient toutes une relation k l’intelligible, à l'être, mais ne seraient pas l'être. En chacune d’elles il y aurait une multiplicité ordonnée, celle de la puissance de connaître et de l’objet. Il faut donc remonter à une intelligence suprême identique à l'être, qui ait précisément ordonné à l'être toutes les intelligences inférieures.

Kant insiste : Cette preuve établit tout au plus l’existence il’une intelligence très puissante et très étendue, mais non pas infinie, elle nous conduit à concevoir Dieu comme l’architecte du monde, et non comme le créateur.

Cajetan (in lam, q. 2, a. 3) répondait d’avance à cette objection en disant : il suffit que cette preuve conduise à une intelligence, sans préciser autrement, puisque les quatre précédentes ont établi l’existence d’un premier moteur, d’une cause première, d’unêtie nécessaire, d’un premier être absolument simple et souverainement parfait. Mais, si l’on y regarde de près, on s’aperçoit que l’intelligence requise par cette cinquième preuve doit être acte pur. Si elle ne l'était pas, il faudrait distinguer en elle l’essence et l’existence, l’intelligence et l’intellectiou, l’intelleclion et rintelligil)le (cf. I », q.54, a.i, 2, 3). Or l’essence nepeul èive ordonnée il l’existence, l’inlclligcnce à l'être intelligible que par une int<'lligence supérieure qui soil identique à l'être même toujours actiu’llemenl connu.

SciioPEMiviiin admet la finalité dans le monde, nuiis ne lui donne d’autre cause qu’une volonté inconsciente, dont on a un exemple dans l’instinct. M. lÎKKGsoN soutient aujourd’hui une doctrine à peu

près semblable. — On a répondu : c’est substituer le zoomorphisme à l’anthropomorphisme ; on n’y voit aucun avantage. Mais en réalité il n’j- a pas a, nthropomorphisme à affirmer une intelligence, puisque l’intelligence, non pas en tant qu’humaine, mais en tant qu’intelligence, est une perfection absolue, sans trace aucune d’imperfection. Si elle est réalisée à l'état pur dans un être, ce n’est pas dans l’homme, c’est en Dieu. — De plus, l’instinct par lequel on voiulrait la remplacer est lui-même un cas de finalité à expliquer. Enfin la cause qui a produit l’homme doit être au moins d'égale dignité. Se contenter d’une finalité instinctive, c’est revenir à l’hylozoïsme antique et prêter à la matière des sympathies et des antipathies qui, loin d'être un principe suprême d’explication, sont elles-mêmes à expliquer. L'élément matériel le plus simple, l’atome, le cristal, bien loin de pouvoir être le principe des choses, ne s’explique que par une idée de type ou de fin que seule une intelligence a pu concevoir et lui donner.

Hartmann reconnaît que la volonté inconsciente de Schopenhauer ne peut prendre en elle aucun principe de détermination, aussi admet-il une intelligence, mais inconsciente. Mais comment une intelligence inconsciente connaîtrait-elle la fin et la raison de fin, et pourrait-elle y adapter les moyens ?

M. Lachelier (Fondement de l’induction, p. 63) fait une dernière instance empruntée à Hegel : Supposons que la source de l’ordre soit en Dieu, l’ordre doit être antérieur d’une certaine manière au travail intellectuel de Dieu. Donc tout ordre régulier ne suppose pas le travail d’une intelligence. Dès lors pourquoi ne pas supposer, avec l’idéalisme absolu de Hegel, que la nature est éternelle et porte en elle-même son ordre, c’est-à-dire l’Idée qui évolue ? il y aurait une finalité logique inconsciente, qui arriverait à la conscience dans l’homme.

Il est aisé de répondre. L’ordre qui demande une cause est celui qui se fait, qui devient, et non pas celui qui est et ne devient pas ; l’ordre qui demande une cause est encore celui qui implique une multiplicité actuelle de parties, et non pas celui qui est imi)liqué à titre de multiplicité virtuelle dans une unité absolue. Le devenir suppose l'être, le multiple suppose l’un, le composé suppose le simple, c’est ce qu’ont établi les preuves précédentes. L’ordre qui est en Dieu et qui a une priorité logique sur la pensée divine est celui qui est virtuellement impliqué dans l’essence même de Dieu, dont la perfection est infiniment participable, et dont l'éminente simplicité est riche d’une multiplicité AÎrtuelle infinie (la, q. 14, a.5, 6, 8, II, 12 et q. 15, a. i, 2). Comment cet indivisible suprême condense-t-il en lui cette multiplicité? Ceuxlà commencent à le soupçonner qui embrassent toute une science dans ses principes fondamentaux ou qui parviennent, comme Mozart, à entendre une mélodie non pas successivement mais toute à la fois dans la loi même qui l’engendre. — Revenir au contraire à l'évolulionnisme idéaliste de Hegel, c’est poser un de%'enir qui est à lui-même sa raison, c’est par conséquent nier la valeur objective du principe d’identité ou de non-contradiction, c’est faire sortir la conscience de la non-conscience, ou, ce qui revient au même, le plus du moins, l'être du néant.

La preuve par les causes finales conserve donc toute sa valeur, elle est certaine, d’une certitude non pas seulement physique mais métaphysique, comme les I>reu es précédentes. Elle ne se fonde pas seulement sur la méthode expérimentale ou inductive. comme le soutient Stuart Mill ; sa mineure repose sur le principe de finalité, nécessaire et évident de soi, sa majeure sur le rapport immédiat et analytique de l’intelligence à l'être ou à la raison d'être.