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honinn », non plus seulement en tant qu’il est le Premier désirable, source de tout bonheur, mais en tant qu’il est le Premier bien en soi, fondement de tout devoir. Et ce Bien suprême, nous l’avons vu, s’identifie avec le Premier être, le Premier intelligent, qui niérite dès lors le nom de Premier Législateur.

Cette dernière preuve par la loi morale n’est pas sans rapport avec celle par la sanction morale. — On peut établir a priori que le Législateur suprême, dont l’existence vient d'être prouvée, doit être aussi souverain Juge, rémunérateur et vengeur. En effet, parce qu’il est intelligent et bon. Il se doit à Lui-même de donner à chaque être tout ce qui lui est nécessaire pour atteindre la fin à laquelle Il lappelle (I^, q. 21, a. i), de donner aux justes la connaissance de la vérité et la béatitude qu’ils méritent. Et par ailleurs, aimant nécessairement le Bien par-dessus tout. Il se doit aussi d’en faire respecter les droits absolus et d’en réprimer la violation (la Hae^ q. g-^ a. 1 et 3).

Mais l’existence du souverain Juge et d’une sanction éternelle peut s'établir aussi a posteriori, par rinsufïisance de toutes les autres sanctions. Cette preuve est celle qui, selon Kaxt, engendre la foi rationnelle en l’existence de Dieu, foi dont « la certitude est subjectivement suflisante, liien qu’objectivement insufTisante ». On connaît l’argument kantien : L’existence de Dieu et la vie future sont deux suppositions inséparaljles de l’obligation morale ; la loi morale se formule : Fais ce qui peut te rendre digne d'être heureux (le bonheur et la vertu sont nécessairement liés l’un à l’autre par un jugement synthétique a priori). Or Dieu seul peut réaliser l’harmonie de la vertu et du bonheur. Donc Dieu doit exister. Plus le.sentiment moral d’un homme est grand, plus ferme et plus vive est sa foi en tout ce qu’il se sent obligé d’admettre, sous un point de vue pratiquement nécessaire. {Critique delà Raison pratique,.ll, c..) — Cette preuve aurait une certitude objectivement suffisante si le principe « le juste doit être parfaitement heureux «  était éA’ident de soi, a priori, c’est-à-dire, pour nous qui n’admettons pas les synthèses a priori, s’il était analytique.

Sans chercher s’il est possible d’arriver à cette évidence avant d’avoir la certitude de l’existence de Dieu, on peut se contenter de voir dans cette preuve par la sanction morale un a fortiori de la preuve par l’ordre du monde, qui nous reste à exposer. S’il y a de l’ordre dans le monde physique, et si cet ordre exige une intelligence ordonnatrice, o /br/io/-/ doit-il y avoir de l’ordre dans le monde moral, qui lui est infiniment supérieur. L’harmonie doit donc finalement se faire entre la loi morale, qui nous oblige à pratiquer la vertu, et nos aspirations naturelles au bonheur. Le juste doit être un jour parfaitement heureux.

La preuve par la sanction morale peut aussi être présentée comme un a fortiori de celle par le désir naturel du bien total, sans mélange de non-bien. Si ce désir naturel postule l’existence de ce bien et la possibilité de l’atteindre (comme le relatif qui n’a pas en soi sa raison d'être postule l’absolu), a fortiori cette béatitude (natiu-elle) sera-t-elle postulée par l’acte délibéré et méritoire du juste qui se surajoute au désir naturel commun à tous les hommes. Et cela peut être aflirmé avec une certitude objectivement suffisante avant d’avoir démontré scientifiquement l’existence de Dieu.

')" Preuve par l’ordre du monde. — Lacinquièmc preuve-type présentée par S. Thomas est celle par l’ordre du monde. Elle a été préparée par la précédente qui concluait de la multiplicité à une unité supérieure. Celle-ci va s'élever d’une multiplicité ordonnée (l’ordre du monde) à une unité de conception, à

une intelligence ordonnatrice. Nous allons voir qu’elle peut partir non seulement de l’ordre du monde physique, mais de tout être dans lequel on trouvera une partie ordonnée à une autre, ne fût-ce qiie l’essence ordonnée à l’existence, l’intelligence à son acte (potentia dicitur ad actum). On pourra ainsi s'élever à une intelligence qui sera son intellection, bien plus, qui sera lintelligible toujours actuel qu’elle contemple, l’Etre même. — Après un exposé très rapide de la preuve, nous en montrerons la rigueur par la réponse aux objections qu’elle a soulevées.

S. Thomas réduit la preuve à ceci : « Nous voyons que les êtres dépourvus d’intelligence, comme les êtres matériels, agissent d’une manière conforme à leur fin ; car on les voit toujours, ou du moins le plus souvent, agir de la même manière pour ai"river à ce qu’il y a de mieux. D’où il est manifeste ffue ce n’est point par hasard, mais d’après une intention, qu’ils parviennent ainsi à leur fin. Or, les êtres dépourvus d’intelligence ne tendent aune fin qu’autant qu’ils sont dirigés par un être intelligent qui connaît cette fin : comme la flèche est dirigée par l’archer. Donc il y a un être intelligent qui conduit toutes les choses naturelles à leur fin, et c’est cet être qu’on appelle Dieu. »

On peut dire plus brièvement en mettant la majeure en premier lieu : « Un moj’en ne peut être ordonné à une fin que par une cause intelligente. Or il y a dans la nature, chez les êtres dépourvus d’intelligence, des moyens ordonnés à des fins. Donc la nature est l’effet d’une cause intelligente. »

Cette preuve, dont Kant ne parle qu’avec respect, procède tout naturellement de la raison spontanée mise en contact avec le monde, aussi est-elle des plus anciennes. Chez Homkre, Zeus est le suprême ordonnateur ; il dispose et dirige tout (v-ktiç /// ; 7two, il. VIII, 22 ; XYII, 339). — Parmi les philosophes, XÉxoPUAXE dit de Dieu : « il dirige tout par la puissance de l’esprit ">. Axax.vgore, le premier, sépare nettement l’esprit de la matière et place l’intelligence à l’origine et au-dessus des choses, cette intelligence gouverne (cf. Aristote., Met., 1. 1, c. 3). — Socrate développe la preuve par les causes finales (cf. Mémorables, I, 4 ; Phédon, 96, 199), il insiste sur les heureuses combinaisons ducorps humain, l’enchaînement harmonieux des moyens et des fins. Il ne voit pas seulement dans la nature les traces d’une intelligence, il y trouve la preuve d’une puissance bienfaisante, pleine de sollicitude pour les hommes (Mémorables, IV, 3). Il ne disait pas que les phénomènes se produisent parce que cela est nécessaire, mais parce que cela est bon. Tel est du luoins le résumé du Discours de Socrate dans Platon (Phédon, 96, 199). C’est ce que répète ici S. Thomas : les êtres privés de connaissance agissent au moins le plus souvent de la même manière, pour arriver à ce qu’il y a de mieux ». Ainsi Socrate reconnaissait la Providence. — FL.'LToy (Phédon, 100) raille fort ceux qui, comme Démocrite, veulent expliquer l’univers par la cause matérielle et la cause efficiente, sans l’intelligence. Dans le l. X des Lois, de ce que Dieu a ordonné le monde et jusque dans les moindres détails, il déduit une doctrine optimiste : Dieu a ordonné toutes clioses en vue de la plus grande perfection. L’objection du mal se résout par la considéx’ation de l’ensemble. — Aristote a surtout mis en relief et même démontré métaphysiquement la mineure de cette preuve : « Omne agens agit propter finem » (Physic, 1. II, c. 3). Quant à la majeure, son enseignement n’est pas clair. Selon Zeller, le Dieu d' Aristote ignorerait le monde ; nous ne croyons pas que ce soit dans le texte, et plusieurs passages indiquent plutôt le contraire (les controverses qui ont